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10/07/2024 | FRANCE | N°472887

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10 juillet 2024, 472887


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 7 avril 2023 et les 7 février et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision n° 2023-63 du 9 février 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 3,5 millions d'euros ;



2°) de mettre à la cha

rge de l'Arcom la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative....

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 7 avril 2023 et les 7 février et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2023-63 du 9 février 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 3,5 millions d'euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi du 29 juillet 1881 ;

- la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 ;

- la délibération du 9 avril 2014 fixant le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

- la convention du 29 mai 2019 conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société C8 ;

- la décision du 6 mai 2024 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société C8 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société C8 et à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 mai 2024, présentée par la société C8 .

Considérant ce qui suit :

1. La société C8 demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 2023-63 du 9 février 2023 par laquelle l'Arcom lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 3,5 millions d'euros pour des manquements à l'obligation de respect des droits de la personne prévue à 2-3-4 de la convention du 29 mai 2019 concernant le service de télévision C8 et à l'obligation de maîtrise de l'antenne prévue à l'article 2-2-1 de cette convention, à la suite de propos tenus le 10 novembre 2022 par le présentateur de l'émission " Touche pas à mon poste " à l'encontre d'une personnalité invitée sur le plateau.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes du trente-quatrième alinéa de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La convention mentionnée au premier alinéa définit également les prérogatives et notamment les pénalités contractuelles dont dispose l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique pour assurer le respect des obligations conventionnelles. Ces pénalités ne peuvent être supérieures aux sanctions prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article 42-1 de la présente loi ; elles sont notifiées au titulaire de l'autorisation qui peut, dans les deux mois, former un recours devant le Conseil d'Etat ". Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la même loi : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ". Aux termes des premier, quatrième et sixième alinéas de l'article 42-1 de la même loi: " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : /(...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme ;/ (...) A titre complémentaire, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut décider, sous réserve des secrets protégés par la loi, de publier, soit au Journal officiel, soit sur un service de communication au public par voie électronique édité par ses soins, soit par ces deux moyens, la sanction qu'elle a prononcée. Elle détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement ". Aux termes de l'article 2-3-4 de la convention du 29 mai 2019 conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société C8, l'éditeur " respecte les droits de la personne relatifs à sa vie privée, à son image, à son honneur et à sa réputation tels qu'ils sont définis par la loi et la jurisprudence ". Aux termes de l'article 2-2-1 de cette convention : " L'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. / Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne ".

3. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : " Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ". Aux termes de son article 33 : " L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d'une amende de 12 000 euros/ L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros ".

4. Les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 citées ci-dessus confient à l'Arcom un pouvoir de sanction qui s'exerce sans préjudice des poursuites que le ministère public ou les particuliers peuvent intenter, le cas échéant, devant les tribunaux répressifs dans les termes du droit commun, pour tout fait en relation avec le manquement sanctionné. La circonstance que le contenu d'un programme diffusé par un éditeur de services puisse donner lieu tant à cette répression pénale, dans les conditions fixées par les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, qu'à l'exercice par l'Arcom de son pouvoir de sanction reste à cet égard sans incidence.

Sur la légalité externe :

5. En premier lieu, si l'Arcom a relevé, dans les motifs de sa décision sanctionnant l'éditeur du service pour méconnaissance de ses obligations en matière de respect des droits de la personne et de maîtrise de l'antenne, que les propos tenus à l'encontre de l'invité par le présentateur de l'émission " revêtent un caractère injurieux et leur accumulation est d'une particulière agressivité ", elle s'est, par ces termes, bornée à décrire le contenu de l'émission en cause, sans se fonder sur l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionnant pénalement les injures par voie de presse ou par tout autre moyen de communication. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'Arcom était incompétente pour faire application de ces dispositions, en qualifiant d'injurieux les propos tenus par le présentateur de l'émission.

6. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 relatif à la procédure de sanction : " Le rapporteur expose devant l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ou devant la formation du collège composée de cinq membres mentionnée au même dernier alinéa, lors d'une séance à laquelle est convoquée la personne mise en cause, son opinion sur les faits dont il a connaissance et les griefs notifiés. Le cas échéant, il propose à l'autorité ou à la formation du collège composée de cinq membres mentionnée audit dernier alinéa d'adopter l'une des sanctions prévues aux articles 42-1,42-3,42-4,42-6,42-15,48-2 et 48-3. Au cours de cette séance, la personne mise en cause, qui peut se faire assister par toute personne de son choix, est entendue par l'autorité ou la formation du collège composée de cinq membres mentionnée au dernier alinéa de l'article 42-1, qui peut également entendre, en présence de la personne mise en cause, toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information. Cette séance se tient dans un délai de deux mois suivant la notification du rapport par le rapporteur/ Le rapporteur n'assiste pas au délibéré ". D'autre part, aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 3 de la délibération du 9 avril 2014 fixant le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel, applicable à la date de la décision attaquée : " Sauf cas d'urgence, l'ordre du jour est transmis aux conseillers quatre jours au moins avant la séance. (...) / Les dossiers de la séance, qui contiennent notamment les projets de délibération, sont préparés sous la responsabilité du directeur général. Sauf cas d'urgence, ils sont transmis aux conseillers quarante-huit heures au moins avant la séance. ". Aux termes de l'article 4 de cette délibération : " Les dossiers soumis à la délibération du conseil sont, dans la mesure du possible, examinés préalablement en groupe de travail. Le secrétariat du collège tient le calendrier des travaux de ces groupes./ Les dossiers sont rapportés devant le conseil par le président du groupe de travail ou son suppléant. (...)".

7. Il est constant que l'ordre du jour de la réunion du 9 février 2023, lors de laquelle le collège de l'Arcom a adopté la décision attaquée, ainsi que les éléments du dossier de séance concernant cette décision ont été communiqués aux membres de ce collège par un courriel adressé la veille sans que la condition d'urgence à laquelle le règlement intérieur de l'Arcom subordonne la dérogation aux délais qu'il institue ait été remplie.

8. Toutefois, il résulte de l'instruction que la séquence de l'émission " Touche pas à mon poste ", diffusée sur la chaîne C8 le 10 novembre 2022 était connue des membres du collège à la date de leur délibération et qu'en outre une audition, tenue la veille de cette délibération, leur avait permis d'entendre le rapport du rapporteur indépendant et les observations de la chaîne C8 et du groupe Canal + France et de les interroger, de telle sorte que ces membres ont disposé des éléments leur permettant de se forger une conviction précise et éclairée sur les faits en cause ainsi que sur le bien-fondé des griefs formulés et du projet de sanction qui leur était soumis. Dès lors, l'irrégularité alléguée n'a pu, en tout état de cause, ni priver l'intéressée d'une garantie, ni exercer d'influence sur le sens de la délibération. La société requérante n'est, par suite, pas fondée à en demander l'annulation pour ce motif.

9. En troisième lieu, d'une part, la seule circonstance, à la supposer établie, que deux des membres du collège de l'Arcom ayant pris part à la délibération de la décision attaquée auraient participé, en qualité de président et vice-président, au groupe de travail de l'autorité chargé, en application des dispositions citées ci-dessus de l'article 4 de son règlement intérieur, d'en préparer les délibérations, ne saurait être, par elle-même, de nature à établir une méconnaissance du principe d'impartialité. D'autre part, la société requérante ne fait état d'aucune circonstance, qui ne ressort pas davantage des pièces du dossier, tenant à leur vie personnelle ou à leurs activités professionnelles qui aurait été de nature à influer sur l'appréciation des deux membres en cause et aurait ainsi imposé qu'ils s'abstiennent de se prononcer. Enfin, en prévoyant que les dossiers soumis à la délibération du collège de l'Arcom sont examinés par un tel groupe de travail, sans en exclure ceux relatifs aux procédures de sanction, les dispositions précitées du règlement intérieur ne méconnaissent pas l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 qui donnent au rapporteur indépendant une compétence exclusive pour saisir le collège en matière de sanctions.

10. En quatrième lieu, la décision attaquée mentionne les textes dont elle fait application et indique de façon précise les faits constatés par l'Arcom et les obligations qui ont été méconnues. Le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée et de ce que l'Arcom n'aurait pas suffisamment examiné les éléments qui lui étaient soumis ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

11. En premier lieu, aux termes du premier alinéa du 3° de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique : " Une mise en demeure qui n'a été suivie d'aucune sanction prononcée dans les conditions prévues au présent article dans un délai de cinq ans à compter de son adoption est réputée caduque. La notification des griefs suspend ce délai jusqu'à la date à laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique statue sur les faits en cause ". Ces dispositions ont été introduites par l'article 27 de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique. Aux termes du IV de l'article 34 de la loi du 25 octobre 2021 dont ces dispositions sont issues : " La caducité prévue au premier alinéa du 3° de l'article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée ne s'applique pas aux procédures pour lesquelles le rapporteur a déjà notifié les griefs à la date de la publication de la présente loi ". Il résulte de ces dispositions que la règle de caducité des mises en demeure au terme d'un délai de cinq ans qu'elles instituent s'applique à l'ensemble des mises en demeure adoptées par l'Arcom, quelle que soit leur date, y compris si elles sont antérieures à la date de publication de la loi, sauf pour les besoins des procédures de sanction en cours à cette date de publication. Toutefois, d'une part, lorsque avant l'intervention de la loi du 25 octobre 2021 instaurant cette règle de caducité des mises en demeure, l'Arcom avait mis en demeure un éditeur de service puis, sur son fondement, prononcé légalement une sanction, cette dernière fait obstacle à la caducité de la mise en demeure, l'Arcom pouvant ainsi sanctionner à nouveau l'éditeur pour un manquement de même nature sans devoir réitérer une mise en demeure de se conformer à l'obligation méconnue. D'autre part, lorsque postérieurement à l'instauration de cette règle, une mise en demeure est suivie d'une sanction dans le délai de cinq ans, cette mise en demeure n'est pas, de ce fait, caduque et peut donner lieu ultérieurement, y compris après l'expiration d'un délai de cinq ans, à d'autres sanctions pour un même manquement sans qu'une nouvelle mise en demeure soit nécessaire.

12. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la mise en demeure du 30 mars 2010 sur laquelle est fondée la sanction contestée serrait caduque dès lors que, avant l'intervention de la loi du 25 octobre 2021 instaurant la règle de caducité des mises en demeure, des sanctions avaient été prises sur son fondement le 26 juillet 2017 et le 18 décembre 2019 pour un manquement à la même obligation, faisant ainsi obstacle à sa caducité.

13. En deuxième lieu, par une décision du 6 mai 2024, visée ci-dessus, le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société C8. Celle-ci n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la décision qu'elle attaque serait illégale en raison de la contrariété aux droits et libertés garantis par la Constitution de plusieurs dispositions de la loi du 30 septembre 1986 qui lui servent de base, notamment ses articles 28 et 42-2.

14. En troisième lieu, la société requérante soutient que la décision attaquée est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation en ce qu'elle qualifie d'injurieux les propos retenus pour caractériser le manquement. Il résulte de l'instruction que lors de l'émission " Touche pas à mon poste " diffusée sur la chaîne C8 le 10 novembre 2022, M. A... B..., convié en tant que représentant élu de la Nation, a été brutalement interrompu par le présentateur de l'émission alors qu'invité à s'exprimer sur l'accueil de personnes migrantes à bord d'un navire humanitaire, il commençait à exprimer un point de vue critique sur l'inégale répartition des richesses et à ce titre sur l'actionnaire principal de la chaîne et certaines de ses activités. M B..., qui a tenté vainement d'exprimer son opinion, a néanmoins pu rappeler sa qualité de député à raison de laquelle il avait été invité et reprocher au présentateur de porter atteinte à sa liberté d'expression. Sa remarque a suscité une prise à partie menaçante par le présentateur qui l'a qualifié " d'abruti ", de " tocard ", de " bouffon " et de " merde ". Le présentateur lui a également dit, se référant à son mandat d'élu : " si t'es député c'est grâce à nous (...) t'as même pas de liberté à l'Assemblée nationale (...) dès que tu parles ils te ferment ta gueule (...) qu'est-ce que t'as fait, toi ' T'as rien fait à part mettre un costume et faire un brushing (...) ". Certains des propos cités ont été prononcés à plusieurs reprises au cours d'une séquence qui a duré environ neuf minutes, avant que l'invité ne sorte du plateau sous les huées du public. Les échanges ont ensuite été commentés en l'absence de l'invité et ce dernier a alors été qualifié de " mange-merde ". Les propos tenus, eu égard à leur caractère grossier et méprisant, à leur accumulation et au climat de brutalité et d'intimidation qui les entourait, revêtaient notamment un caractère injurieux qui était de nature à porter atteinte à l'image, à l'honneur et à la réputation de la personne visée, sans que puisse être utilement invoquée l'existence alléguée de provocations au sens des dispositions de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, non applicables en l'espèce.

15. En quatrième lieu, eu égard, d'une part, au caractère injurieux des propos tenus et à la teneur de l'ensemble des échanges tels que décrits ci-dessus et, d'autre part, aux pouvoirs dévolus par la loi à l'Arcom pour sanctionner les manquements aux obligations qui s'imposent aux éditeurs de services afin de garantir le respect des droits de la personne et empêcher de tels débordements à l'antenne, la décision attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. En cinquième lieu, il découle du principe de nécessité des peines défini à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qu'une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts. Toutefois, aux termes de l'article 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, les dispositions de l'article 121-2 du code pénal relatives à la responsabilité pénale des personnes morales " ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions de l'article 93-3 de la présente loi sont applicables ", c'est-à-dire dans les " cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [y compris le délit d'injure publique] est commise par un moyen de communication au public par voie électronique ". Il en résulte qu'aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l'encontre des éditeurs de services visés à l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 pour un délit d'injure publique commise par un moyen de communication au public par voie électronique. Par ailleurs, les dispositions contestées, en tout état de cause, ne confient pas à l'Arcom le pouvoir d'engager des poursuites ayant vocation à protéger les mêmes intérêts sociaux que les dispositions mentionnées de la loi du 29 juillet 1881 et ne conduisent pas non plus à sanctionner les mêmes personnes. Le moyen tiré de ce que, la sanction contestée serait contraire au principe de non-cumul des sanctions ne peut dès lors qu'être écarté.

17. En cinquième lieu, aux termes de l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 : " Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. / (...)/ Lorsque le manquement est constitutif d'une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l'amende pénale. ".

18. D'une part, il résulte de ce qui est dit au point 4 que la société requérante ne peut utilement arguer, au soutien de son moyen contestant la proportionnalité de la sanction qui lui a été infligée, qu'elle dépasse le plafond de 12 000 euros prévu par l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 en matière de sanction des injures.

19. D'autre part, compte tenu de la nature des griefs retenus par l'Arcom, à savoir la méconnaissance par la chaîne C8 de son obligation d'assurer le respect des droits de la personne et de son obligation de maîtrise de l'antenne, de la durée de la séquence litigieuse, de la gravité des faits et du comportement du présentateur de l'émission qui, s'adressant à un représentant élu de la Nation, a tenu à son encontre des propos particulièrement dénigrants, vulgaires, et menaçants, ainsi que des précédentes sanctions dont avait fait l'objet l'éditeur du service au titre de l'émission concernée en raison d'atteintes aux droits de la personne, il ne résulte pas de l'instruction que la sanction pécuniaire de 3,5 millions d'euros infligée à la requérante, soit environ 3,6 % de son chiffre d'affaire hors taxes, doive être regardée comme excessive.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société C8 n'est pas fondée à demander l'annulation de la sanction attaquée.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Arcom qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société C8 la somme de 3 000 euros que l'Arcom demande au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.

Article 2 : La société C8 versera à l'Arcom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle De Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 12 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Amel Hafid

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472887
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2024, n° 472887
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amel Hafid
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; SCP GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472887.20240710
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