Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement le groupe hospitalier Sud Ile-de-France et son assureur la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser une somme totale de 506 612,31 euros en réparation des préjudices que lui ont causés diverses fautes dans sa prise en charge médicale à la suite de son accident du 20 octobre 2009. Par un jugement n° 1708254 du 2 octobre 2020, le tribunal administratif a condamné solidairement le groupe hospitalier Sud Ile-de-France et la SHAM à verser à M. B... la somme de 11 465,33 euros en réparation de ses préjudices.
Par un arrêt n° 20PA03708 du 12 août 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. B..., porté à 14 973 euros la somme que le groupe hospitalier Sud Ile-de-France et son assureur ont été condamnés à lui verser et rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne tendant au remboursement de ses débours et au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 octobre 2022, 12 décembre 2022 et 20 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses demandes ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions dans l'instance d'appel ;
3°) de mettre à la charge du groupe hospitalier Sud Ile-de-France et de la Société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du groupe hospitalier Sud Ile-de-France et de la Société relyens mutual insurance et à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de M. B....
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juillet 2024, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B..., admis le 20 octobre 2009 au centre hospitalier Marc Jacquet, devenu groupe hospitalier Sud Ile-de-France, pour y être opéré en urgence du genou gauche, a subi entre le 20 janvier 2020 et le 23 juin 2020 un retard de diagnostic fautif de la thrombose de l'artère fémorale gauche dont il a souffert dans les suites de cette opération. La cour administrative d'appel de Paris a porté à 14 973 euros l'indemnité que le tribunal administratif de Melun avait condamné le centre hospitalier et son assureur à lui verser en réparation des préjudices causés par cette faute, mais a rejeté la demande de remboursement de ses débours et de versement de l'indemnité forfaitaire de gestion formulée par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Seine-et-Marne au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. La CPAM de la Seine-et-Marne se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions d'appel.
2. Aux termes du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement (...) ". Il appartient au juge administratif d'assurer, en tout état de la procédure, le respect de ces dispositions. Ainsi, le tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident doit appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée et la cour administrative d'appel, saisie dans le délai légal d'un appel de la victime, doit également appeler en cause cette même caisse, la méconnaissance de ces obligations entachant le jugement ou l'arrêt d'une irrégularité que le juge d'appel ou le juge de cassation doit, au besoin, relever d'office. Toutefois, lorsqu'un jugement ayant statué sur des conclusions indemnitaires de la victime fait l'objet d'un appel, la caisse ne peut régulièrement présenter devant le juge d'appel d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, en y ajoutant seulement, le cas échéant, celles tendant au remboursement des prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement ou portant sur des prestations dont elle était dans l'impossibilité de justifier le montant avant cette date. Il n'en va différemment que si le tribunal a, à tort, omis de mettre la caisse en cause devant lui, auquel cas celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes. L'irrecevabilité des conclusions de la caisse faute pour celle-ci d'avoir chiffré le montant des débours dont elle recherche le remboursement ne peut toutefois, conformément aux dispositions de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, et en l'absence de fin de non-recevoir, être opposée par le juge qu'après avoir invité la caisse à les régulariser. En l'absence d'une telle invitation à régulariser par le tribunal administratif, les conclusions présentées par la caisse en appel tendant au remboursement de ces mêmes débours ne peuvent être regardées comme nouvelles, et de ce fait irrecevables.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Paris que la CPAM de la Seine-et-Marne, appelée en la cause par le tribunal administratif de Melun, avait produit, avant clôture de l'instruction, un mémoire par lequel elle ne se bornait pas à demander à ce que ses droits soient réservés mais demandait à bénéficier, au cas où la responsabilité du centre hospitalier de Melun serait reconnue, " de la plénitude de ses actions récursoires " et indiquant qu'elle ferait dans ce cas connaitre le montant de prestations patrimoniales exclusivement imputables aux faits en cause, sans pour autant chiffrer ses débours. Le tribunal administratif a reconnu la responsabilité du centre hospitalier et statué sur les droits de M. B..., sans se prononcer sur les conclusions de la caisse ni l'inviter à les régulariser en les chiffrant. Pour rejeter la demande de remboursement de ses débours formulée par la caisse en appel, la cour administrative d'appel a relevé que celle-ci, régulièrement mise en cause en première instance, n'avait pas présenté de conclusions chiffrées devant le tribunal administratif et jugé que dès lors que les prestations dont elle demandait le remboursement avaient été servies à l'assuré social antérieurement à la date du jugement, les conclusions de la caisse étaient nouvelles en appel et de ce fait irrecevables. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune fin de non-recevoir tirée de l'absence de chiffrage de ses conclusions n'avait été opposée à la caisse en première instance et alors que le tribunal administratif n'avait pas invité la caisse à régulariser ses conclusions, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt. Ce dernier doit, par suite, être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie, y compris celles tendant à l'octroi de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue au neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, qui présente un caractère accessoire à la demande de remboursement des débours de la caisse, ainsi que sur l'indemnisation de la perte de gains professionnels, seul poste de préjudice au titre duquel la caisse indique avoir exposé des débours.
4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du groupe hospitalier Sud Ile-de-France et de la Société relyens mutual insurance le versement d'une somme totale de 3 000 euros à la CPAM de la Seine-et-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la CPAM de la Seine-et-Marne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 12 août 2022 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue sur le recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne et en tant qu'il statue sur les sommes mises à la charge du groupe hospitalier Sud Ile de France et de son assureur au titre des pertes de gains professionnels.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation prononcée à l'article 1er, devant la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Le groupe hospitalier Sud Ile-de-France et la Société relyens mutual insurance verseront une somme totale de 3 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... ainsi que par le groupe hospitalier Sud Ile de France et la Société relyens mutual insurance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne, au groupe hospitalier Sud Ile-de-France, à la Société relyens mutual insurance et à M. A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 24 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 10 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras