Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 17 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... doit être regardée, eu égard à la teneur de ses écritures, comme demandant au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, à titre principal pour des motifs d'illégalité interne et, à titre subsidiaire, en accueillant tout autre des moyens soulevés, la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19 et de la note " DGS-Urgent " n° 2022-28 du 16 février 2022 intitulée " Vaccination contre le covid-19 - échéance du 15 février 2022 : équivalence infection-injection, vaccination des cas contacts et obligation vaccinale " ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger le même décret et la même note, dans le délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 ;
- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a imposé la vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, à certaines personnes, dont celles exerçant leur activité dans les établissements de santé. Mme A... a demandé à la Première ministre d'abroger le décret du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, qui fixe certaines modalités concernant notamment le schéma vaccinal requis, ainsi que note " DGS-Urgent " n° 2022-28 du 16 février 2022, relative au même schéma. La requérante doit être regardée comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler le refus né du silence gardé sur sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé / (...) ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.
3. En premier lieu, le décret du 13 mai 2023, toujours en vigueur à la date de la présente décision, a suspendu l'obligation vaccinale, faisant application du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, qui dispose : " Lorsque, au regard de l'évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute Autorité de santé, l'obligation prévue au I n'est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même I ". Dans sa recommandation du 29 mars 2023 au vu de laquelle ce décret a été pris, la Haute autorité de santé a constaté l'évolution de l'épidémie ainsi que des connaissances sur l'efficacité des vaccins. Ces circonstances ont ainsi été prises en compte et, par ailleurs, il ne peut pas être utilement soutenu, à l'appui de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger en litige, qu'elles auraient dû l'être plus tôt. En application du même décret du 13 mai 2023, il a été mis fin aux mesures de suspension dont avaient fait l'objet les agents qui ne satisfaisaient pas à leur obligation vaccinale. Il ne peut pas être utilement soutenu, en tout état de cause, qu'elles auraient eu, lorsqu'elles étaient en vigueur, des conséquences excessives pour les personnels concernés, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité du refus d'abrogation des actes en litige au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.
4. En deuxième lieu, il résulte du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que des directeurs d'administration centrale n'avaient pas besoin d'une telle délégation pour signer la note " DGS-Urgent " du 12 février 2022. La circonstance que le " responsable de la task force vaccination " l'ait également signée, à titre superfétatoire, ne l'entache pas d'illégalité.
5. En troisième lieu, d'une part, le II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 déjà mentionnée dispose qu'un décret détermine les conditions de vaccination et précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. Faisant application de ces dispositions, le 1° de l'article 2 du décret du 30 juillet 2022, qui prévoit deux doses de vaccin et une dose complémentaire, précise qu'une infection à la covid-19 équivaut à l'administration d'une des deux premières doses et qu'une telle infection équivaut aussi à la dernière. D'autre part, selon le I de l'article 13 de la même loi, les personnes concernées peuvent, par dérogation, présenter un certificat de rétablissement, mais seulement pendant sa durée de validité, fixée à quatre mois par le 2° de l'article 2 du décret. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que ce serait la note " DGS-Urgent " qui aurait fixé ces différentes règles et notamment imposé l'administration d'au moins une dose de vaccin, empiétant par-là sur les prérogatives du législateur ou sur celles du Premier ministre. Par ailleurs, les moyens, soulevés contre la même note, et tirés de " la neutralisation de la validité du certificat de rétablissement " et de " l'instauration d'une restriction non prévue " par la loi et le décret, ne sont pas accompagnés d'éléments permettant d'apprécier leur bien-fondé.
6. En quatrième lieu, il ressort des avis scientifiques disponibles que les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d'une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées. Les schémas vaccinaux fixés par le décret en litige et rappelés au point précédent ont été pris au regard de ces mêmes avis. Il ressort aussi de ces avis que la vaccination réduit fortement les risques de transmission et, au surplus, ainsi qu'il a été déjà dit au point 3, la Haute autorité de santé a pris en compte l'évolution des connaissances à cet égard lorsqu'elle a estimé que l'obligation vaccinale pouvait être suspendue. Enfin, en édictant l'obligation vaccinale pour les agents hospitaliers, le législateur a entendu protéger les personnes vulnérables et garantir la continuité des soins et de certains services. Dans sa recommandation déjà mentionnée, la Haute autorité de santé a ajouté que la vaccination restait " fortement recommandée " pour ces professionnels. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que la différence de traitement entre les personnes vaccinées et les personnes rétablies serait injustifiée ni que les dispositions en litige seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ou ne seraient pas adaptées, nécessaires et proportionnées.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir présentées par la ministre du travail, de la santé et des solidarités, que les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation du refus implicite opposé à sa demande d'abrogation doivent être rejetées, de même que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 mai 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 5 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
Le rapporteur :
Signé : M. Emmanuel Weicheldinger
La secrétaire :
Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang