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05/07/2024 | FRANCE | N°475937

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 05 juillet 2024, 475937


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juillet et 6 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 mai 2023 rapportant le décret du 22 novembre 2019 lui accordant la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;
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Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention i...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juillet et 6 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 mai 2023 rapportant le décret du 22 novembre 2019 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., ressortissante marocaine, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture de police de Paris, le 25 janvier 2018, par laquelle elle a indiqué être célibataire. Au vu de ses déclarations, elle a été naturalisée par décret du 22 novembre 2019, publié au Journal officiel du 26 novembre 2019. Toutefois, par bordereau reçu le 28 mai 2021, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que Mme B... avait épousé à E... D... (Maroc), le 24 avril 2019, M. D... C..., ressortissant marocain résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 26 mai 2023, publié au Journal officiel du 28 mai 2023, la Première ministre a rapporté le décret du 22 novembre 2019 prononçant la naturalisation de Mme B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation familiale. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressée du document par lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de la situation de l'intéressée. En outre, Mme B... ne saurait utilement se prévaloir, à l'encontre du décret attaqué, des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale de la requérante que le 28 mai 2021, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs au mariage de l'intéressée transmis par bordereau du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 26 mai 2023, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

5. En troisième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a contracté mariage, le 24 avril 2019, avec M. D... C..., ressortissant marocain résidant habituellement à l'étranger à E... D... (Maroc). Ce mariage a constitué un changement de sa situation familiale que l'intéressée aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme elle s'y était engagée lors du dépôt de cette demande. Si Mme B... soutient qu'elle a omis de signaler son mariage au Maroc en raison de difficultés qu'elle rencontre face aux démarches administratives dues à sa fragilité psychologique, elle n'apporte aucun élément sérieux de nature à établir qu'elle aurait été empêchée de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressée, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 20 décembre 2018 et de ses études en France ayant abouti à l'obtention d'un baccalauréat professionnel en 2015, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée. La circonstance qu'elle a un enfant né en France et y résidant est sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations au vu desquelles la nationalité française lui avait été accordée. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas inexactement appliqué les dispositions de l'article 27 2 du code civil.

7. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. Ainsi, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui n'avaient pas à être visées par le décret attaqué, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre ce décret. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mme B... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 mai 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 22 novembre 2019. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juin 2024 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, assesseur, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Jean-Yves Ollier

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Eche

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 475937
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2024, n° 475937
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Eche
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475937.20240705
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