La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/07/2024 | FRANCE | N°474395

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 05 juillet 2024, 474395


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale SUD-Solidaires des SDIS de France métropolitaine et d'outre-mer, le Syndicat SUD SDMIS du Rhône et de la Métropole de Lyon et les autres requérants dont le nom figure dans le mémoire introductif d'instance demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté leur demande d'abrogation du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relat

if aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contr...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale SUD-Solidaires des SDIS de France métropolitaine et d'outre-mer, le Syndicat SUD SDMIS du Rhône et de la Métropole de Lyon et les autres requérants dont le nom figure dans le mémoire introductif d'instance demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté leur demande d'abrogation du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger le même décret, dans le délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 ;

- le décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 ;

- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a imposé la vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, à certaines personnes, dont les sapeurs-pompiers et les professionnels de santé. L'Union syndicale SUD-Solidaires des SDIS de France métropolitaine et d'outre-mer et ses corequérants ont demandé à la Première ministre d'abroger le décret du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, qui fixe certaines modalités concernant notamment le schéma vaccinal requis. Ils demandent au Conseil d'Etat d'annuler le refus né du silence gardé sur leur demande.

2. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé / (...) ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.

3. En premier lieu, le décret du 13 mai 2023, toujours en vigueur à la date de la présente décision, a suspendu l'obligation vaccinale, faisant application du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, qui dispose : " Lorsque, au regard de l'évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute Autorité de santé, l'obligation prévue au I n'est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même I ". Dans sa recommandation du 29 mars 2023 au vu de laquelle ce décret a été pris, la Haute autorité de santé a constaté l'évolution de l'épidémie mais aussi celle des connaissances sur la maladie, sur l'incidence du variant " omicron ", moins dangereux pour les personnes atteintes et devenu prépondérant, et sur l'efficacité des vaccins, ainsi que les décisions prises par d'autres Etats en matière de vaccination obligatoire. Ces différentes circonstances, invoquées par les requérants, ont ainsi été prises en compte par le décret du 13 mai 2023. En application du même décret, il a nécessairement été mis fin aux mesures de suspension dont avaient fait l'objet les agents et les salariés qui ne satisfaisaient pas à leur obligation vaccinale. Il ne peut donc pas être utilement soutenu, en tout état de cause, qu'elles auraient eu, lorsqu'elles étaient en vigueur, des conséquences excessives pour les personnes concernées, ni que l'obligation n'avait pas été assez prévisible, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité du refus d'abrogation de l'acte en litige au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.

4. En deuxième lieu, si les requérants invoquent des caractéristiques propres à cette maladie, celle-ci a pris, avant que la couverture vaccinale ne soit suffisante, la forme de vagues soudaines, difficiles à prévenir et entraînant dans un délai très bref des conséquences particulièrement graves, y compris un nombre significatif de décès et la saturation des capacités hospitalières, et qui n'ont pu être endiguées qu'au prix de mesures d'exception, y compris le confinement, le couvre-feu et la fermeture d'établissements. Les autorités ont donc pu estimer que, si l'obligation pouvait être suspendue eu égard aux nouvelles circonstances, celles-ci ne sont pas de nature à établir que les dispositions dont l'abrogation a été demandée ne seraient plus nécessaires en cas d'évolutions ultérieures.

5. En troisième lieu, selon l'article 2 du décret du 30 juillet 2022, le justificatif du statut vaccinal ne peut procéder que de l'administration de l'un des vaccins contre la covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'Agence européenne du médicament ou présentant des garanties équivalentes. En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, l'autorisation ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même s'accompagne-t-elle d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables, et alors même que certains produits seraient d'une conception nouvelle. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques disponibles que la vaccination réduit fortement les risques de transmission du virus tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ses bénéfices et que les mesures dites " barrières " ou les médicaments ne permettent pas d'obtenir des résultats comparables. S'il est vrai que les effets du vaccin diminuent avec le temps, l'évolution des connaissances à ce sujet a été prise en compte par la décision de suspendre l'obligation vaccinale, ainsi qu'il a été dit au point 3, et le Gouvernement ne pourrait mettre fin à la suspension que si une telle mesure était exigée par les circonstances et justifiée par les connaissances alors disponibles. Sur la base de celles-ci, il lui appartiendrait le cas échéant d'apporter les compléments nécessaires au schéma vaccinal prévu actuellement par le décret du 30 juillet 2022.

6. En quatrième et dernier lieu, le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a intégralement fixé le champ d'application de l'obligation vaccinale. Le décret du 30 juillet 2022 se borne à prévoir, pour les personnes concernées, les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal, les modalités de présentation de ce document et les éléments permettant d'établir et de contrôler le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à la contamination par la covid-19 ainsi que d'un certificat de rétablissement. En tout état de cause, les professionnels de santé et les sapeurs-pompiers sont, eu égard à leurs missions, en contact avec des publics vulnérables que le législateur a entendu protéger tout en garantissant la continuité des soins et des services de secours. Dans sa recommandation déjà mentionnée, la Haute autorité de santé, pour estimer que l'obligation pouvait être suspendue, a tenu compte de ce que la couverture vaccinale était à présent très élevée, en ajoutant qu'il fallait la maintenir et que la vaccination restait " fortement recommandée " pour ces deux catégories. Enfin, les sapeurs-pompiers venus, pour un renfort de courte durée, de pays étrangers ne sont, en tout état de cause, pas dans la même situation que les sapeurs-pompiers français.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le refus implicite opposé à leur demande d'abrogation méconnaît les droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et présente un caractère discriminatoire prohibé par la même convention. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir présentée par la ministre du travail, de la santé et des solidarités, leurs conclusions aux fins d'annulation doivent être rejetées, de même que, par voie de conséquence, celles aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête l'Union syndicale SUD-Solidaires des SDIS de France métropolitaine et d'outre-mer et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale SUD-Solidaires des SDIS de France métropolitaine et d'outre-mer, premier requérant dénommé, pour l'ensemble des requérants, et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mai 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Emmanuel Weicheldinger

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 474395
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2024, n° 474395
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474395.20240705
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award