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04/07/2024 | FRANCE | N°463773

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 04 juillet 2024, 463773


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le numéro 463773, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 mai 2022 et 11 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des moniteurs guides de pêche français demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la mer du 24 mars 2022 précisant les conditions d'exercice de la pêche de loisir réalisant des captures de thon rouge (Thunnus thynnus) dans le cadre du plan pluriannuel de gestion du thon rouge d

ans l'Atlantique Est et la Méditerranée pour l'année 2022 ;



2°) de mett...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 463773, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 mai 2022 et 11 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des moniteurs guides de pêche français demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre de la mer du 24 mars 2022 précisant les conditions d'exercice de la pêche de loisir réalisant des captures de thon rouge (Thunnus thynnus) dans le cadre du plan pluriannuel de gestion du thon rouge dans l'Atlantique Est et la Méditerranée pour l'année 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 468037, par une ordonnance n° 2211554 du 4 octobre 2022, enregistrée le 5 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par le Syndicat des moniteurs guides de pêche français.

Par cette requête, le Syndicat des moniteurs guides de pêche français présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 463773.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (UE) 2016/1627 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code du sport ;

- le code des transports ;

- le décret n° 84-810 du 30 août 1984 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même arrêté. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Le Syndicat des moniteurs guides de pêche français demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté de la ministre de la mer du 24 mars 2022 précisant les conditions d'exercice de la pêche de loisir réalisant des captures de thon rouge dans le cadre du plan pluriannuel de gestion du thon rouge (Thunnus thynnus) dans l'Atlantique Est et la Méditerranée pour l'année 2022. Eu égard aux termes dans lesquels elle est formulée, sa requête doit être regardée comme tendant à l'annulation de trois ensembles de dispositions divisibles, relatifs, d'une part, à la notion de " navire charter de pêche " définie par l'article 1er, d'autre part, à l'absence de décompte du quota annuel de thon rouge pour 2022 des poissons morts accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher ", prévue par l'article 4, enfin, à la répartition du quota de thon rouge alloué à la pêche de loisir pour 2022, opérée par les annexes 1 et 2.

Sur la compétence en premier ressort du Conseil d'Etat :

3. L'opération par laquelle le ministre chargé de la pêche maritime procède à la répartition d'un quota de pêche ne présente pas de caractère réglementaire. Dès lors, les conclusions de la requête dirigées contre l'arrêté en tant qu'il procède à cette répartition ne relèvent pas de la compétence en premier ressort du Conseil d'Etat en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative.

4. Par suite, il y a lieu d'attribuer le jugement de ces conclusions au tribunal administratif de Paris, compétent pour en connaître en application des dispositions de l'article R. 312-1 du code de justice administrative.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

5. Une décision du 29 juillet 2022 du conseil national du Syndicat des moniteurs guides de pêche français habilite son secrétaire général à le représenter en justice dans la présente affaire, conformément aux stipulations de ses statuts. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense, tirée du défaut de qualité pour agir de ce même secrétaire général, ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

6. Aux termes de l'article L. 914-3 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsqu'elles ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration, les décisions des personnes publiques prises en application de la législation nationale ou des règlements de l'Union européenne relatifs à la pêche maritime et à l'aquaculture marine ayant une incidence sur l'environnement sont soumises à participation du public dans les conditions et limites prévues aux articles L. 120-1 à L. 120-2 du code de l'environnement. ". Les dispositions ainsi mentionnées des articles L. 120-1 à L. 120-2 du code de l'environnement sont désormais codifiées notamment à l'article L. 123-19-1 du même code. Aux termes du II de cet article : " (...) le projet d'une décision (...), accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Au plus tard à la date de la mise à disposition prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues. (...) / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision ".

7. Le Syndicat des moniteurs guides de pêche français, qui ne soutient pas que la consultation du public organisée du 16 février au 8 mars 2022 n'aurait pas été accompagnée d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, ni que l'administration n'aurait pas publié, à la suite de cette consultation, une synthèse des observations et propositions recueillies, ne peut utilement soutenir que l'arrêté serait entaché d'un vice de procédure, faute pour l'administration d'avoir répondu à ses demandes d'informations complémentaires ou d'avoir pris en compte ses observations.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne les conclusions relatives à la notion de " navire charter de pêche " :

8. En vertu, d'une part, du II de l'article R. 921-83 du code rural et de la pêche maritime, la pêche maritime de loisir est exercée notamment " à partir d'embarcations ou de navires autres que ceux titulaires d'un permis d'armement à la pêche ou aux cultures marines " et elle " peut être exercée à partir de navires de pêche armés au commerce et transportant des passagers à titre onéreux en vue d'effectuer une activité de pêche de loisir ". Aux termes, d'autre part, du premier alinéa du I de l'article L. 212-1 du code du sport : " Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d'occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du présent article et de l'article L. 212-2 du présent code, les titulaires d'un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification professionnelle ".

9. En premier lieu, en définissant le " navire charter de pêche " comme étant " un navire armé au commerce transportant des passagers à titre onéreux et transportant des moniteurs-guides de pêche en mer agréés par le ministère des sports lorsqu'une activité de formation de pêche de loisir est dispensée à bord ", l'article 1er de l'arrêté attaqué, qui n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre les activités que les moniteurs guides de pêche français exercent en application des dispositions de l'article L. 212-1 du code du sport ou d'ouvrir les activités d'animation et d'encadrement contre rémunération en matière de pêche de loisir à des tiers non habilités à les assurer, n'a pas méconnu les dispositions citées au point 8.

10. En second lieu, les dispositions litigieuses ne méconnaissent ni les définitions des types de navires données, pour son application, par l'article 1er du décret du 30 août 1984 relatif à la sauvegarde de la vie humaine en mer, à la prévention de la pollution, à la sûreté et à la certification sociale des navires, ni les dispositions combinées des articles L. 5511-1 et R. 5511-5 du code des transports définissant les personnes considérées comme des gens de mer pour l'application du livre V de ce code.

En ce qui concerne les conclusions relatives à l'absence de décompte des poissons morts accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher " :

11. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) 2016/1627 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 relatif à un programme pluriannuel de rétablissement des stocks de thon rouge dans l'Atlantique Est et la Méditerranée : " Chaque Etat membre disposant d'un quota pour le thon rouge réglemente les pêcheries sportives et récréatives en allouant un quota spécifique pour ces pêcheries et en informe la Commission lors de la transmission de son plan de pêche ". Le paragraphe 6 de son article 19 prévoit que " chaque État membre impute les prises mortes des pêcheries sportives et récréatives sur le quota qu'il a alloué " conformément à cet article. Le syndicat requérant soutient que faute de comporter de disposition relative au décompte des prises mortes survenant accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher ", l'arrêté attaqué méconnaît ces dispositions.

12. L'arrêté attaqué prévoit, d'une part, à son article 3, que " la pratique du pêcher-relâcher et la possibilité de capturer, détenir et débarquer du thon rouge, constituent deux activités réglementées différentes ". Selon son article 4, la pratique dite du " pêcher-relâcher " est autorisée " à la condition de relâcher le poisson vivant immédiatement après la capture " et, dans ce cadre, " la détention du poisson à bord est interdite ", tandis que, s'agissant de la réalisation de captures à visée récréative et sportive, " la capture, la détention à bord et le débarquement sont autorisés, pour les navires battant pavillon français uniquement ", " limités à un thon par navire et par jour ", dans des conditions précisées par l'arrêté tenant notamment au respect des dates de pêche et du quota. L'arrêté dispose, d'autre part, à son article 5, que " chaque thon doit être marqué immédiatement après sa capture " et que " seuls les poissons marqués d'une bague (rose clair pour 2022) peuvent être conservés à bord et débarqués ". Enfin, aux termes de son article 7, " les pêcheurs de loisir de thon rouge sont soumis à obligation de déclaration des débarquements et au renvoi des bagues de marquage utilisées à FranceAgriMer dans un délai impératif de 48 heures suivant le débarquement ". En application de l'article 8, FranceAgriMer " assure un suivi des déclarations de débarquement " et, avec la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture et les fédérations de pêche de loisir, " le suivi du nombre de captures réalisées ainsi que de la consommation du quota national au cours de la campagne de pêche ".

13. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, si les poissons capturés, bagués et débarqués doivent être déclarés et sont pris en compte dans le quota de pêche, l'arrêté attaqué ne prévoit pas d'obligation de déclaration des prises mortes survenant accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher ", ni les modalités d'une telle déclaration. Contrairement à ce que soutient le ministre en défense, les pêcheurs intéressés ne sauraient déduire les modalités de cette déclaration, ni les fédérations intéressées celles de l'imputation de ces prises sur leur sous-quota, des seules dispositions de l'article 19 du règlement (UE) 2016/1627 citées au point 11. Dès lors, en ne prévoyant aucune disposition à cette fin, le pouvoir réglementaire a méconnu l'article 19 du règlement (UE) 2016/1627.

14. Par suite, le syndicat requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il ne prévoit pas le principe et les modalités de l'imputation, sur le quota, des poissons morts accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher ".

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au Syndicat des moniteurs guides de pêche français au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement des conclusions des requêtes du Syndicat des moniteurs guides de pêche français relatives à la répartition du quota de pêche pour 2022 est attribué au tribunal administratif de Paris.

Article 2 : L'arrêté du 24 mars 2022 est annulé en tant qu'il ne prévoit pas le principe et les modalités de l'imputation, sur le quota, des poissons morts accidentellement dans le cadre de la pratique dite du " pêcher-relâcher ".

Article 3 : L'Etat versera au Syndicat des moniteurs guides de pêche français une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes du Syndicat des moniteurs guides de pêche français est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des moniteurs guides de pêche français, au ministre l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au président du tribunal administratif de Paris.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463773
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 jui. 2024, n° 463773
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:463773.20240704
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