Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-431 du 14 mai 2024 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 juin 2024, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 14 mai 2024 portant application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024.
2. Aux termes de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont désignés par décret les grands événements et les grands rassemblements de personnes ayant pour objet d'assister à la retransmission d'événements exposés à un risque d'actes de terrorisme en raison de leur nature et de l'ampleur de leur fréquentation. Ce décret désigne également les établissements et les installations qui les accueillent ainsi que leur organisateur. / L'accès de toute personne, à un autre titre que celui de spectateur, à tout ou partie des établissements et des installations désignées par le décret mentionné au premier alinéa est soumis, pendant la durée de l'événement ou du rassemblement et de leur préparation, à une autorisation de l'organisateur délivrée sur avis conforme de l'autorité administrative. Cette autorité administrative rend son avis à la suite d'une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation, selon les règles propres à chacun d'eux, du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de certains traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 31 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. Un avis défavorable ne peut être émis que s'il ressort de l'enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État / (...) ". L'article R. 211-32 du même code dispose : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne physique à un autre titre que celui de spectateur à tout ou partie des établissements et des installations mentionnés à l'article L. 211-11-1, l'organisateur saisit par écrit, pour avis conforme, selon le lieu de déroulement ou l'importance de l'événement ou du rassemblement, le ministre de l'intérieur, le préfet de département, à Paris le préfet de police ou dans le département des Bouches du Rhône le préfet de police des Bouches-du-Rhône. / La demande de l'organisateur comprend : / 1° L'identité de la personne, sa nationalité, ses date et lieu de naissance et son domicile ; / 2° Le motif de l'accès à l'établissement ou l'installation. / (...) / Le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 211-11-1 précise, parmi les autorités mentionnées au premier alinéa, celle compétente pour rendre l'avis. Il fixe le délai dans lequel l'organisateur saisit cette autorité ainsi que le délai, qui ne peut être supérieur à deux mois, à l'expiration duquel un avis défavorable est réputé avoir été rendu. / L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative, diligentée par le ministre de l'intérieur à la demande de l'autorité administrative saisie par l'organisateur. L'enquête est destinée à vérifier que le comportement ou les agissements de la personne ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État. / (...) / Seul le sens de l'avis est transmis à l'organisateur ". Le même article énumère également les 13 traitements automatisés de données à caractère personnel, outre le bulletin n° 2 du casier judiciaire, susceptibles d'être consultés dans le cadre de l'enquête administrative, selon les règles propres à chaque traitement et dans la seule mesure où elles le permettent.
3. L'article 1er du décret attaqué désigne la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 en qualité de " grand événement " au sens des dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure. Son article 2 définit une période de préparation et une période de déroulement de la cérémonie, respectivement, du 18 juillet 2024 au 26 juillet 2024 à 13h00 et du 26 juillet 2024 à 13 h 00 au 27 juillet 2024 et, pour chacune d'elles, un périmètre à l'intérieur duquel s'applique, pour l'accès à tout établissement ou installation, la procédure d'autorisation prévue par les articles L. 211-11-1 et R. 211-32 du code de la sécurité intérieure. Son article 3 désigne le préfet de police comme autorité compétente pour rendre l'avis conforme auquel est subordonné la délivrance d'une autorisation d'accès et résultant de l'enquête administrative prévue par les mêmes articles. L'article 4 fixe au 27 juillet 2024 à minuit la date limite de transmission par les organisateurs au préfet de police des demandes d'autorisation d'accès et à un mois le délai maximum dans lequel celui-ci doit leur adresser en retour son avis conforme.
4. M. A... soutient que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure, dès lors qu'il fixe un périmètre conduisant à soumettre à un régime d'autorisation d'accès et d'enquête administrative préalable les riverains, les personnes qui travaillent dans ce périmètre et les visiteurs, alors même qu'ils ne souhaiteraient pas accéder à des établissements ou installations liés à la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques.
5. Ainsi qu'il a été dit au point 2, les dispositions de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure imposent au pouvoir réglementaire la désignation des établissements et installations qui accueillent un grand événement et dont l'accès est soumis à autorisation. Ces dispositions excluent, en principe, que soient soumis à un tel régime tout autre local que ceux accueillant ces établissements et installations, non plus que les voies publiques permettant d'y accéder.
6. Il ressort cependant des pièces du dossier que la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024 se déroulera le 26 juillet 2024, pendant plusieurs heures, en différents tableaux comprenant un défilé nautique d'une centaine de bateaux sur un parcours de 6 kilomètres environ sur la Seine, allant du pont d'Austerlitz au pont d'Iéna, des spectacles et autres animations festives, ainsi qu'une séquence finale au Trocadéro. Sa préparation, à partir du 18 juillet 2024, notamment le pré-positionnement des bateaux des délégations, s'effectuera en amont du parcours, depuis le niveau du pont Nelson Mandela entre les communes de Charenton-le-Pont sur la rive droite et d'Ivry-sur-Seine sur la rive gauche de la Seine. Le débarquement des délégations se réalisera en aval du parcours, entre le pont d'Iéna et le pont du Garigliano. Il en résulte que, dans le cas très particulier de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de 2024, la Seine elle-même, les voies publiques, et en particulier les quais bas, les quais hauts et les ponts doivent être regardés comme les établissements et installations accueillant ce grand événement au sens et pour l'application de l'article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure.
7. Il ressort également des pièces du dossier que la cérémonie devrait réunir plus de 10 000 athlètes représentant plus de 200 nations, des centaines de chefs d'Etat et de gouvernement, d'artistes et d'autres personnalités, plus de 300 000 spectateurs munis de billets, positionnés sur les quais bas (100 000), les quais hauts (200 000) et certains ponts, 20 000 journalistes et des milliers de bénévoles. En outre, la retransmission de la cérémonie devrait être suivie par plus d'un milliard de téléspectateurs. Cette cérémonie présente ainsi, en raison de sa nature, de sa visibilité internationale, du risque particulier qu'implique notamment la présence de chefs d'Etat et de gouvernement, de l'ampleur attendue de sa fréquentation et de la configuration des lieux qui l'accueillent, un caractère exceptionnel et sans précédent. Dans ces conditions, en estimant que la prévention des actes de terrorisme justifiait, en l'espèce, la définition d'un périmètre incluant les immeubles qui, soit ne sont accessibles qu'en passant par les établissements et installations mentionnés au point 6, soit disposent d'ouvertures donnant un accès visuel à ces établissements et installations, ainsi le cas échéant que les voies et accès les desservant, le pouvoir réglementaire n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 211-11-1.
8. Toutefois, si le dispositif ainsi mis en place permet de soumettre à une autorisation et à une enquête administrative préalable les personnes souhaitant accéder, à un titre autre que celui de spectateur, au périmètre défini par le décret attaqué, la délivrance d'une telle autorisation est de droit pour les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans ce périmètre et qui en font la demande. Il appartient à l'autorité administrative compétente, s'il apparaît que le comportement ou les agissements d'une de ces personnes pourrait être de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État, de prendre, le cas échéant, des mesures de police administrative sur le fondement des textes l'y autorisant, notamment celles prévues au titre II du livre II du code de la sécurité intérieure, ou, si les conditions sont remplies, d'engager une procédure judiciaire.
9. Sous la condition posée au point 8 et eu égard aux enjeux et aux risques exposés au point 7, le décret attaqué, qui, par ailleurs, ne prévoit aucune mesure privative de liberté au sens de l'article 66 de la Constitution, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété des personnes soumises à la procédure d'autorisation d'accès.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam