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28/06/2024 | FRANCE | N°490743

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 juin 2024, 490743


Vu la procédure suivante :



Par un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 avril 2024, la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi contre le jugement n° 2214763/5-3 du 25 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de lui communiquer l

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 avril 2024, la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi contre le jugement n° 2214763/5-3 du 25 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de lui communiquer les signalements reçus à son sujet par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires depuis 2015, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2024, présentée par la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ". Le droit d'accès aux documents administratifs garanti par cette disposition peut faire l'objet de limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

3. L'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit, sous certaines réserves, que les administrations sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 311-2 du même code : " L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". Il résulte de ces dernières dispositions que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l'administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

4. L'association requérante soutient que, ainsi interprétées, ces dispositions de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration méconnaissent le droit d'accès aux documents administratifs, en ce qu'elles prennent en compte l'effet de la demande et pas seulement son objet.

5. Toutefois, d'une part, les dispositions contestées, qui visent à satisfaire aux exigences qui s'attachent au bon fonctionnement du service public, sont justifiées par un motif d'intérêt général. D'autre part, l'administration ne peut refuser la communication de documents administratifs au seul motif qu'il en résulterait pour elle une charge supplémentaire, mais doit justifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que cette charge, en raison notamment des opérations matérielles qu'elle impliquerait, serait disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Enfin, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si la charge est effectivement excessive, l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public. Par suite, la limitation ainsi apportée ne porte pas d'atteinte disproportionnée au droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

6. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat ; M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 28 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490743
Date de la décision : 28/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2024, n° 490743
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490743.20240628
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