Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de défense des salariés actionnaires du groupe EDF demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler la décision de l'Etat de procéder à une offre publique d'achat suivie d'un retrait obligatoire pour acquérir la totalité des actions et des obligations à option de conversion ou d'échange en actions nouvelles ou existantes (OCEANEs) détenues par les actionnaires minoritaires d'Electricité de France (EDF) en tant qu'elle prévoit un retrait obligatoire contraignant ces actionnaires minoritaires ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision de l'Etat de procéder à une telle offre publique d'achat ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 ;
- l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par la déclaration de politique générale qu'elle a prononcée devant l'Assemblée nationale le 6 juillet 2022, la Première ministre a notamment rendu publique l'intention de l'Etat de détenir 100 % du capital de la société Electricité de France (EDF). Par un communiqué de presse en date du 19 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a annoncé l'intention de l'Etat de lancer une offre publique d'achat simplifiée sur les titres de capital de la société EDF dans l'objectif de retirer la société de la cote et a précisé que l'offre serait, le cas échéant, suivie d'un retrait obligatoire si ses conditions de mise en œuvre étaient satisfaites. La loi de finances rectificative du 16 août 2022 a porté au compte d'affectation spéciale des participations financières de l'Etat des crédits de paiement permettant de réaliser l'opération en cause à hauteur de 9,7 milliards d'euros. Par un arrêté du 4 octobre 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, publié au Journal officiel du 5 octobre 2022, l'Etat a décidé de se porter acquéreur de l'ensemble des actions de la société EDF. Un projet de note d'information relatif à ce projet d'offre publique d'achat simplifiée mentionnant la mise en œuvre, le cas échéant, à la clôture de l'offre, d'une procédure de retrait obligatoire, prévue à l'article L. 433-4 du code monétaire et financier a été déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers, le 4 octobre 2022. L'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision annoncée par ce projet de note, en tant qu'elle prévoit le recours à la procédure contraignante du retrait obligatoire.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 24 de l'ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique : " Les opérations par lesquelles l'Etat se porte acquéreur d'une participation sont décidées par décret lorsqu'elles entraînent le transfert de la majorité du capital d'une société au secteur public. / Les autres opérations d'acquisition par l'Etat sont décidées par le ministre chargé de l'économie (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 octobre 2022 décidant l'acquisition par l'Etat d'actions de la société Électricité de France : " L'Etat décide de se porter acquéreur de l'ensemble des actions de la société Électricité de France émises ou à émettre et qu'il ne détient ni directement ni indirectement, soit un maximum de 803 469 846 actions, à un prix unitaire de 12,00 euros par action représentant un montant maximum de neuf milliards six cent soixante-seize millions trois cent quarante-huit mille quarante-neuf euros et trente-cinq centimes
(9 676 348 049,35 euros), en ce compris une partie des frais de courtage et la taxe sur la valeur ajoutée y afférente ".
3. En second lieu, aux termes du II de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier : " 1. Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les modalités selon lesquelles, à l'issue de toute offre publique et dans un délai de trois mois à l'issue de la clôture de cette offre, les titres non présentés par les actionnaires minoritaires, dès lors qu'ils ne représentent pas plus de 10 % du capital et des droits de vote, sont transférés aux actionnaires majoritaires à leur demande, et les détenteurs de ces titres sont indemnisés (...) ". Aux termes du I de l'article 231-20 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'AMF dispose d'un délai de dix jours de négociation suivant le début de la période d'offre pour apprécier la conformité du projet d'offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables ". Aux termes de l'article 237-2 du même règlement : " Lors du dépôt du projet d'offre, l'initiateur fait connaître à l'AMF s'il a l'intention de demander la mise en œuvre du retrait obligatoire une fois l'offre terminée et en fonction de son résultat ". Aux termes de l'article 237-3 de ce règlement : " I.- L'AMF se prononce sur la conformité du projet de retrait obligatoire, dans les conditions définies aux articles 231-21 et 231-22 (...) ". Aux termes de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier: " L'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 est de la compétence du juge judiciaire (...) / Lorsque les recours mentionnés au premier alinéa du présent article visent une décision individuelle de l'Autorité des marchés financiers relative à une offre publique mentionnée aux sections 1 à 3 du chapitre III du titre III du livre IV, la juridiction saisie se prononce dans un délai de cinq mois à compter de la déclaration de recours ".
4. En vertu des dispositions de l'ordonnance du 20 août 2014 citées au point 2, c'est l'arrêté du 4 octobre 2022 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui a décidé que l'Etat se porterait acquéreur de l'ensemble des actions de la société EDF et fixé le prix offert pour l'acquisition de ces actions. Cet arrêté impliquait par lui-même que, pour sa complète exécution, soit, le cas échéant, mise en œuvre la procédure de retrait obligatoire prévue à l'article L. 433-4 du code monétaire et financier. Par suite, la requête ne peut être utilement regardée que comme étant dirigée contre cet arrêté, et non contre le projet de note d'information déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers le même jour ou contre une décision distincte qui aurait été révélée par le communiqué de presse du 19 juillet 2022. Cet arrêté, qui présente, dans la mesure où il fixe le prix et l'indemnité offerts à tout détenteur de titres de la société, un caractère réglementaire et qui est détachable de la procédure suivie devant l'Autorité des marchés financiers, pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux dans le délai de deux mois à compter de sa publication au Journal officiel le 5 octobre 2022. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient le ministre, la requête n'est pas tardive.
5. Toutefois, l'association de défense des salariés actionnaires du groupe EDF a été invitée, le 1er mars 2023, par la 9ème chambre de la section du contentieux à régulariser sa requête en produisant ses statuts et s'est abstenue de répondre à cette invitation. En l'absence de cette production, la requérante n'établit ni la qualité du signataire de la requête pour agir en son nom, ni son intérêt pour agir contre l'acte attaqué.
6. Il résulte de ce qui précède que la requête n'est pas recevable et doit en conséquence être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association de défense des salariés actionnaires du groupe EDF est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association de défense des salariés actionnaires du groupe EDF et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 25 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :