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21/06/2024 | FRANCE | N°488466

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 21 juin 2024, 488466


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française motonautique demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-640 du 19 juillet 2023 portant redéfinition du périmètre et de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles (Côtes d'Armor) ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de

justice administrative.







Vu les autres pièces du dossier ;



Vu : ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française motonautique demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-640 du 19 juillet 2023 portant redéfinition du périmètre et de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles (Côtes d'Armor) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les conclusions de la Fédération française motonautique tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 juillet 2023 portant redéfinition du périmètre et de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles doivent être regardées comme dirigées seulement contre le 1° du IV de l'article 22 de ce décret, qui interdit la circulation des véhicules nautiques à moteur de type jet-ski et scooter des mers sur l'ensemble du territoire de la réserve.

2. Aux termes de l'article L. 332-1 du code de l'environnement : " I. - Des parties du territoire terrestre ou maritime d'une ou de plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présente une importance particulière ou qu'il convient de les soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader. / II. - Sont prises en considération à ce titre : / 1° La préservation d'espèces animales ou végétales et d'habitats en voie de disparition sur tout ou partie du territoire national ou présentant des qualités remarquables ; / 2° La reconstitution de populations animales ou végétales ou de leurs habitats ; / (...) / 4° La préservation de biotopes (...) ; / 5° La préservation ou la constitution d'étapes sur les grandes voies de migration de la faune sauvage ; / 6° Les études scientifiques ou techniques indispensables au développement des connaissances humaines (...) ". Aux termes de l'article L. 332-3 du même code : " I. - L'acte de classement d'une réserve naturelle peut soumettre à un régime particulier et, le cas échéant, interdire à l'intérieur de la réserve toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore, au patrimoine géologique et, plus généralement, d'altérer le caractère de ladite réserve. / Peuvent notamment être réglementés ou interdits la chasse, la pêche, les activités (...) sportives et touristiques, (...) la circulation ou le stationnement des personnes, des véhicules et des animaux. (...) / II. - L'acte de classement tient compte de l'intérêt du maintien des activités traditionnelles existantes dans la mesure où elles sont compatibles avec les intérêts définis à l'article L. 332-1 ".

3. En vertu de ces dispositions, peuvent être classées en réserve naturelle nationale les parties du territoire au sein desquelles la conservation des espèces et du milieu naturel revêt une importance écologique ou scientifique particulière ou qu'il convient de soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader, ainsi que les zones qui contribuent directement à la sauvegarde de ces parties du territoire, en particulier lorsqu'elles en constituent, d'un point de vue écologique, une extension nécessaire ou qu'elles jouent un rôle de transition entre la zone la plus riche en biodiversité et le reste du territoire. Les dispositions rappelées précédemment permettent de soumettre à un régime particulier, voire d'interdire, à l'intérieur de la réserve, toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore ou d'altérer le caractère de la réserve.

4. Le décret attaqué, qui étend la superficie totale de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles de 280 à environ 19 700 hectares, a défini en son sein des zones de protection intégrale et des zones de protection renforcée, et a précisé les restrictions ou interdictions applicables à certaines activités dans ces périmètres. Aux termes du II de l'article 5 de ce décret : " Est classé en zone de protection renforcée, l'espace maritime autour de l'île Rouzic inscrit à l'intérieur du périmètre délimité par les points géographiques suivants (...). / 1° Au sein de cette zone, toute activité est interdite du 1er avril au 31 août à l'exception d'opérations, de travaux ou d'activités scientifiques réalisée par le gestionnaire dans le cadre de ses missions et de missions opérationnelles militaires, de police, de sécurité, de secours, de sauvetage et de lutte contre les pollutions marines ". Aux termes du III et du IV de l'article 22 du décret : " III. - La navigation de plaisance est autorisée conformément à la réglementation en vigueur sous réserve du respect du II de l'article 5 du présent décret. Elle peut être réglementée par le préfet compétent. / IV. - Est interdite sur l'ensemble du territoire de la réserve naturelle, la circulation : / 1° Des véhicules nautiques à moteur, de type jet-ski et scooter des mers ; (...). / Pour assurer la sécurité de la navigation des véhicules nautiques à moteur, cette interdiction ne s'applique pas à l'espace maritime inscrit à l'intérieur du périmètre délimité par les points géographiques suivants, référencés selon le système géodésique WGS84 et exprimés en degrés minutes décimales (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête publique et de l'étude scientifique qui lui est jointe, que la réserve naturelle des Sept-Iles, telle que définie par le décret attaqué, constitue un ensemble faiblement anthropisé d'une richesse écologique exceptionnelle, abritant une grande diversité d'habitats naturels terrestres, côtiers, marins et sous-marins, dont une vingtaine d'habitats d'intérêt européen, tels que des bancs de maërl, des forêts de laminaires, des champs de gorgones et des hauts plateaux rocheux, ainsi que de très nombreuses espèces de faune et de flore marines qui en dépendent, parmi lesquelles plus d'une centaine figurant à l'inventaire des espèces benthiques déterminantes du littoral breton, de nombreux mammifères marins dont le marsouin commun, le dauphin commun et une colonie de reproduction du phoque gris, ainsi que de nombreuses espèces régulières d'oiseaux marins protégées au niveau national et reconnues d'intérêt européen, dont 11 espèces nicheuses. Parmi celles-ci, le Fou de Bassan, classé comme espèce vulnérable, fait l'objet d'une attention particulière. Le site accueille l'unique colonie française, laquelle suscite des préoccupations quant à son état de santé et voit son effectif stagner. Le décret attaqué instaure, au sein de la réserve des Sept-Iles, une zone de quiétude destinée spécifiquement à la protection des Fous de Bassan. Il ressort également du dossier d'enquête publique que le décret attaqué vise, par l'extension de la réserve et le renforcement de la réglementation qui y est applicable, à mieux protéger ce patrimoine naturel unique en Bretagne Nord en tenant davantage compte des écosystèmes et des atteintes aux fonctions biologiques des espèces qui sont susceptibles de résulter des activités humaines.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, comme le relève notamment l'étude scientifique jointe au rapport d'enquête publique, et contrairement à ce que soutient la fédération requérante, la circulation des véhicules nautiques à moteur de type jet ski et scooter des mers, eu égard à leur mode d'utilisation et à leurs caractéristiques techniques, notamment leur grande vitesse, leurs mouvements erratiques et leur niveau sonore élevé, est de nature à perturber fortement les mammifères marins, notamment du fait des risques de collision et des pressions acoustiques sous-marines engendrées sur une large gamme de fréquences. Il ressort également des pièces du dossier que la circulation de ces véhicules contrarie les effets de la zone de quiétude instituée pour les Fous de Bassan et nuit au développement de cette espèce et d'autres oiseaux marins présentant une forte sensibilité au dérangement humain, pour lesquels cette réserve constitue un espace de repos, d'alimentation et de reproduction. Il a ainsi été observé que les perturbations occasionnelles des Fous de Bassan peuvent conduire à l'abandon définitif des formations de radeaux, lieux de fonctions biologiques vitales pour l'espèce. L'interdiction des véhicules nautiques à moteur dans la réserve des Sept-Iles édictée à l'article 22 du décret contesté, préserve, par ailleurs, leur passage dans le chenal d'accès à la baie de Perros-Guirec. Il résulte de ce qui précède que, au vu des risques environnementaux découlant de leur utilisation, les restrictions à la circulation des véhicules nautiques à moteur résultant du décret attaqué sont justifiées en application des dispositions de l'article L. 332-3 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entaché le décret attaqué sur ce point ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête publique et de l'étude scientifique qui lui est jointe, que l'observation des interactions entre la faune et les activités humaines dans la zone considérée entre 2003 et 2018 fait apparaître que le risque de mise à l'eau des phoques en reposoirs et d'envol des oiseaux en reposoirs engendré par le passage des véhicules nautiques à moteur , a été qualifié de " très fréquent ", alors que le risque engendré par le passage des bateaux de plaisance ou de découverte a été qualifié de " peu fréquent ". Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, il n'est pas établi qu'un véhicule nautique à moteur serait moins perturbateur qu'un bateau de plaisance en ce qu'il n'utiliserait pas d'hélice, serait plus maniable, produirait moins de vagues et favoriserait l'oxygénation de l'eau. Dès lors, si la réserve reste accessible aux bateaux de plaisance, à l'exception toutefois, pendant cinq mois de l'année, de la zone de protection renforcée, mais est interdite dans l'ensemble de son périmètre aux véhicules nautiques à moteur, la différence de traitement ainsi instituée entre plaisanciers, selon le type de véhicules qu'ils utilisent, répond à une différence de situation qui est en rapport direct avec l'objet du texte qui l'établit, et n'apparaît pas manifestement disproportionnée au regard de la protection recherchée d'un écosystème marin exceptionnel. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération française motonautique n'est pas fondée à demander l'annulation du 1° du IV de l'article 22 du décret attaqué. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération française motonautique est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française motonautique, au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mai 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 juin 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 488466
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2024, n° 488466
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488466.20240621
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