Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril 2023 et 31 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 8 février 2023 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a rejeté sa demande tendant à la modification du site internet de l'Agence en ce qui concerne la pratique de la " réception d'ovocytes de la partenaire " (ROPA), d'autre part, l'interprétation des dispositions législatives applicables que le ministre de la santé et de la prévention, sollicité sur ce point par l'agence, a fait connaître à celle-ci ;
2°) d'enjoindre à l'Agence de la biomédecine de supprimer de son site internet toute mention d'une interdiction de la pratique de la ROPA et de modifier ses directives à destination des centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), du groupe d'études pour le don d'ovocytes (GEDO) et des centres d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de biologie de la reproduction afin de leur faire connaître que la pratique de la ROPA n'est pas prohibée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 juin 2024, présentée par le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 8 février 2023 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a rejeté sa demande tendant à la modification du site internet de l'Agence en ce qui concerne la pratique de la " réception d'ovocytes de la partenaire " (ROPA), qui désigne, selon les indications figurant au sein de la rubrique consacrée à l'assistance médicale à la procréation du site internet de l'Agence, " une technique d'assistance médicale à la procréation réalisée au sein d'un couple de femmes, quand l'une fournit les ovocytes et l'autre porte l'enfant ", d'autre part, l'interprétation des dispositions législatives applicables que le ministre de la santé et de la prévention, sollicité sur ce point par l'agence, a fait connaître à celle-ci.
Sur la compétence du Conseil d'Etat :
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ". Hormis le cas où il aurait été doté par un texte d'un pouvoir réglementaire, un établissement public national ne peut être regardé comme une autorité à compétence nationale, au sens de ces dispositions.
3. Le recours dirigé contre la décision par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a, en reprenant à son compte l'interprétation qu'elle avait sollicitée du ministre de la santé et de la prévention, rejeté la demande du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles tendant à la modification du site internet de l'agence en ce qui concerne la mention qu'il comporte de l'interdiction de la pratique de la ROPA entre dans le champ du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, dès lors que cet établissement public national dispose, en vertu de l'article R. 1418-1-1 du code de la santé publique, d'un pouvoir réglementaire. Contrairement à ce que soutient l'Agence de la biomédecine, elle peut ainsi être regardé comme une autorité à compétence nationale au sens du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, de sorte que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigé contre ses actes réglementaires ou contre ses circulaires et instructions de portée générale.
Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation :
4. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.
5. L'indication concernant la pratique de la ROPA figurant au sein de la rubrique consacrée à l'assistance médicale à la procréation figurant sur le site internet de l'Agence de la biomédecine vise à diffuser une information relative à cette pratique et fait état de son interdiction en France. Cette interprétation du droit positif est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent recourir à cette pratique d'assistance médicale à la procréation. Par suite, elle peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
6. En revanche, l'interprétation des textes juridiques relatifs à cette pratique faite par le ministre de la santé et de la prévention, que la directrice générale de l'Agence de la biomédecine avait sollicité sur ce point et dont elle a fait état dans la réponse qu'elle a adressée au Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, sans la diffuser, ne révèle par elle-même aucune décision et ne saurait être regardée comme constituant un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnes. Il en résulte que les conclusions de l'association requérante à fin d'annulation sont irrecevables en tant qu'elles sont dirigées contre ce qu'elle identifie comme des " instructions " que le ministre chargé de la santé aurait données à l'agence.
Sur la légalité interne de la décision de l'Agence de la biomédecine :
7. Aux termes de l'article L. 1211-5 du code de la santé publique : " Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. / Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique ". Selon l'article L. 1244-7 de ce code : " Le bénéfice d'un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d'un couple tiers anonyme. / La donneuse d'ovocytes doit être particulièrement informée des conditions de la stimulation ovarienne et du prélèvement ovocytaire, des risques et des contraintes liés à cette technique, lors des entretiens avec l'équipe médicale pluridisciplinaire. Elle est informée des conditions légales du don, notamment du principe d'anonymat et du principe de gratuité (...) ". L'article L. 2141-2 du même code dispose que : " (...) Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation (...) Lorsqu'un recueil d'ovocytes par ponction a lieu dans le cadre d'une procédure d'assistance médicale à la procréation, il peut être proposé de réaliser dans le même temps une autoconservation ovocytaire ". En vertu de l'article L. 2141-12 du même code : " I.- Une personne majeure qui répond à des conditions d'âge fixées par un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine, peut bénéficier, après une prise en charge médicale par l'équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, du recueil, du prélèvement et de la conservation de ses gamètes en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation dans les conditions prévues au présent chapitre. (...) / II.- La personne dont les gamètes sont conservés en application du I du présent article est consultée chaque année civile. Elle consent par écrit à la poursuite de cette conservation. / Si elle ne souhaite plus poursuivre cette conservation ou si elle souhaite préciser les conditions de conservation en cas de décès, elle consent par écrit : / 1° A ce que ses gamètes fassent l'objet d'un don en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du présent code ; / 2° A ce que ses gamètes fassent l'objet d'une recherche dans les conditions prévues aux articles L. 1243-3 et L. 1243-4 ; / 3° A ce qu'il soit mis fin à la conservation de ses gamètes. / (...) En cas de décès de la personne et en l'absence du consentement prévu aux mêmes 1° ou 2°, il est mis fin à la conservation des gamètes ". Enfin, le premier alinéa de l'article 16-3 du code civil prévoit qu'" il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ".
8. Il découle nécessairement de la combinaison de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique par laquelle l'accès à l'assistance médicale à la procréation a été ouvert, sans que soit maintenue la condition qui prévalait antérieurement de l'infertilité du couple ou d'un risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité, à tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée, qu'eu égard au principe d'anonymat du don d'ovocyte et à la circonstance qu'un prélèvement d'ovocytes ne peut avoir d'autre finalité qu'un don anonyme lorsqu'il n'est pas destiné à la réalisation d'une assistance médicale à la procréation au bénéfice de la personne prélevée, et alors même qu'elle n'est pas expressément interdite par la loi, la pratique de la ROPA n'est pas autorisée en France. Par suite, l'Agence de la biomédecine, en faisant état sur son site internet de l'absence d'autorisation en France de cette pratique, n'a pas donné une interprétation erronée du droit positif, alors même qu'ainsi que le soutient l'association, aucune autre disposition ne s'y opposerait et, en particulier, qu'une telle pratique ne pourrait être regardée comme une gestation pour le compte d'autrui, que prohibe l'article 16-7 du code civil.
9. En deuxième lieu, l'interprétation contestée résultant, comme il a été dit, des dispositions législatives citées au point 7, l'association requérante ne peut utilement soutenir qu'elle méconnaîtrait les articles 2, 4, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les troisième, dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, ces dispositions législatives ne pouvant quant à elles être contestées devant le Conseil d'Etat en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution.
10. Enfin, l'absence d'autorisation de la pratique de la ROPA ne prive par elle-même les femmes en couple formé de deux femmes ou les personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe, en couple formé d'un homme et d'une femme, ni de la possibilité de devenir parent, ni de celle de bénéficier, dans les conditions prévues par la loi, de l'assistance médicale à la procréation. L'association requérante n'est par suite pas fondée à soutenir qu'en n'autorisant le prélèvement d'ovocytes qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation au bénéfice de la personne prélevée ou d'un don anonyme, le législateur aurait excédé la marge d'appréciation qui est la sienne en la matière, de sorte que les dispositions citées au point 7 porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou seraient constitutives d'une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de cette convention.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles doit être rejetée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles une somme de 3 000 euros à verser à l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles est rejetée.
Article 2 : Le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles versera à l'Agence de la biomédecine une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, à l'Agence de la biomédecine et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juin 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 19 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber