Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 septembre 2011 ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1604650 du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête.
Par un arrêt n° 20DA00484 du 19 mai 2022, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions en litige.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juillet 2022 et 3 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel, avocat de M. B... A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., qui exerce une activité de photographe professionnel, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, étendue au 30 septembre 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé que l'essentiel des travaux de photographie réalisés par l'intéressé, au profit du département du Nord, ne pouvaient être soumis au taux réduit de TVA de 5,5 % prévu au 2° de l'article 278 septies et que le taux normal de TVA aurait dû leur être appliqué. Par deux propositions de rectification des 20 décembre 2011 et 26 mars 2016, l'administration a notifié à l'intéressé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 mai 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, après avoir annulé le jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Lille ayant rejeté la demande de M. A... tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires, a fait droit à cette demande.
2. En premier lieu, en vertu des dispositions du 2° de l'article 278 septies du code général des impôts, aujourd'hui reprises au 3° du I de l'article 278-0 bis du même code, les livraisons d'œuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit sont imposables au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée. Aux termes de l'article 98 A de l'annexe III au même code : " (...) / II. Sont considérées comme œuvres d'art les réalisations ci-après : / (...) 7° Photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus (...) ".
3. En second lieu, aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ". Si ces dispositions instituent une garantie contre les changements de doctrine de l'administration, qui permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, c'est à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations. Les contribuables ne peuvent se prévaloir utilement, sur le fondement de l'article L. 80 A, d'une partie seulement d'une telle doctrine dont les éléments, bien qu'énoncés successivement, sont indissociables.
4. Aux termes du paragraphe introductif de l'instruction du 25 juin 2003, publiée le 2 juillet 2003 au bulletin officiel des impôts et référencée 3 C-3-03 : " L'article 278 septies du code général des impôts (CGI) soumet notamment au taux réduit de la TVA les livraisons par l'artiste lui-même, des œuvres d'art définies par le décret n° 95-172 du 17 février 1995, codifié sous l'article 98 A de l'annexe III au CGI. Constituent notamment des œuvres d'art au sens de ces dispositions, les photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus ". Cette instruction ajoute ensuite, au sein d'un chapitre intitulé " I. Critères de la photographie d'art ", un premier alinéa selon lequel : " 1. Ne peuvent être considérées comme des œuvres d'art susceptibles de bénéficier du taux réduit de la TVA que les photographies qui portent témoignage d'une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur ".
5. Il résulte des énonciations de l'instruction citées au point 4, qui sont indissociables sur ce point, que sont soumises au taux réduit de la TVA les livraisons, par l'artiste lui-même, de photographies telles que définies par l'article 98 A de l'annexe III au code général des impôts, comme le précise le paragraphe introductif de cette instruction, si, ainsi que l'ajoute le premier alinéa du I de cette même instruction, celles-ci portent témoignage d'une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur. Ces énonciations impliquent donc que, pour que la livraison bénéficie de cet avantage fiscal, la photographie réponde tant aux quatre critères matériels prévus à l'article 98 A de l'annexe III qu'à un critère supplémentaire, et non alternatif, tenant à l'intention créatrice manifeste de son auteur. Par suite, en se bornant à relever que les photographies produites par M. A... témoignaient d'une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur pour juger qu'il était fondé à soutenir, au regard des énonciations de l'instruction citées au point 4, que l'administration avait remis en cause à tort le taux réduit de TVA sous lequel il avait placé ces travaux, la cour a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, faute de tout élément probant en ce sens produit par M. A..., qui est seul en mesure de le faire, qu'au cours de la période vérifiée, il aurait lui-même assuré ou, du moins, contrôlé le tirage des travaux photographiques qu'il réalisait pour ses donneurs d'ordre, ni que les clichés auraient été numérotés et signés par leur auteur, alors que le ministre fait valoir, sans être sérieusement contredit, que l'intéressé réalisait des photographies qu'il adressait par voie dématérialisée au donneur d'ordre lequel, après un tri, en assurait le cadrage et le développement. Dans ces conditions, faute pour les photographies en cause de répondre aux conditions prévues par l'article 98 A de l'annexe III au code général des impôts et, par suite, de pouvoir être regardées comme des œuvres d'art au sens de l'article 278 septies de ce code, l'administration a pu, à bon droit, remettre en cause l'application du taux réduit de TVA au produit résultant de leur vente.
9. D'autre part, les photographies réalisées par M. A... au cours de la période vérifiée et cédées par ce dernier à ses donneurs d'ordre ne répondant pas aux conditions prévues par l'article 98 A de l'annexe III au code général des impôts, dont le respect est expressément requis par les énonciations du paragraphe introductif de l'instruction du 25 juin 2003 citée au point 4, elles n'entrent pas dans les prévisions de cette dernière, dont le requérant n'est, par suite, pas fondé à se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête présentée par M. A... devant la cour administrative de Douai doit être rejetée, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A... devant la cour administrative d'appel de Douai et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Hervé Cassagnabère, Mme Catherine Fischer-Hirtz, Mme Nicole da Costa, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 11 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin