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07/06/2024 | FRANCE | N°472858

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 07 juin 2024, 472858


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



D'une part, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, en premier lieu, d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa réclamation du 24 avril 2019 contre la soumission de sa pension aux règles de cumul emploi-retraite de la loi française et lui a enjoint de communiquer le montant brut annuel de sa rémunération de fonctionnaire européen en 2019, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 4 avr

il 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa demande de révisi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

D'une part, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, en premier lieu, d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa réclamation du 24 avril 2019 contre la soumission de sa pension aux règles de cumul emploi-retraite de la loi française et lui a enjoint de communiquer le montant brut annuel de sa rémunération de fonctionnaire européen en 2019, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 4 avril 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa demande de révision des bases de liquidation de sa pension et, en dernier lieu, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à la possibilité d'appliquer des règles de plafond cumul emploi-retraite à un revenu perçu à raison d'une activité exercée au sein des institutions de l'Union européenne.

D'autre part, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, en premier lieu, d'annuler la décision du 28 juin 2021 par laquelle le service des retraites de l'Etat a suspendu sa pension civile de retraite, en deuxième lieu, d'annuler la décision du 31 octobre 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa réclamation du 24 avril 2019 contre l'application du principe de cumul emploi-retraite, en troisième lieu, d'annuler la décision du 4 avril 2019 par laquelle le service des retraites de l'Etat a rejeté sa réclamation du 27 janvier 2019 tendant à ce que sa pension soit calculée sur la base du traitement dont elle aurait bénéficié dans son corps d'origine durant les six derniers mois de son détachement, en quatrième lieu, d'annuler le titre de pension n° B 18 074250 T du 3 décembre 2018 lui concédant une pension de retraite en ce qu'il fait état d'une durée d'assurance de 164 trimestres 21 jours au lieu de 169 trimestres, et applique une minoration de 25 % et, en cinquième lieu, de lui ouvrir la possibilité d'exercer à titre rétroactif le droit d'option sur les nouvelles bases définies par l'article 271 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Par un jugement nos 1914407, 2113872 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, annulé le titre de pension en tant qu'il prend en compte une durée d'assurance de 164 trimestres et applique un coefficient de minoration, en deuxième lieu, enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de procéder, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement, à une nouvelle liquidation de la pension de retraite de Mme B... tenant compte d'une durée d'assurance de 175 trimestres et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions des demandes de Mme B....

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 5 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes : " L'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il s'interpréter en ce sens qu'il s'oppose à ce que les articles L. 84, L. 85 et L. 86 du code des pensions civiles et militaires de retraite limitent la possibilité pour le titulaire d'une pension civile percevant des revenus d'activités d'une institution européenne de cumuler intégralement cette pension avec ses revenus d'activité ' " et " Le principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que l'article L. 84 du code des pensions civiles et militaires de retraite puisse limiter la possibilité pour le titulaire d'une pension civile de percevoir des revenus d'activités d'une institution européenne et de cumuler intégralement cette pension et ses revenus d'activités ' " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

-.le règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., née en 1956, a exercé au sein de l'administration française les fonctions de maître de conférences puis de conseillère de chambre régionale des comptes, avant d'être détachée à compter du 1er juillet 1994 auprès de la Commission européenne et d'opter, à compter du 1er janvier 2002, pour le régime de retraite des fonctionnaires européens. Elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite en qualité de magistrat de chambre régionale des comptes à compter du 1er janvier 2019 et s'est vu concéder une pension de retraite de l'Etat par arrêté du 3 décembre 2018. Par un courrier du 28 février 2019, le service des retraites de l'Etat l'a informée que, conformément aux règles de cumul emploi-retraite, sa pension ne pourrait être mise en paiement tant qu'elle ne justifierait pas des rémunérations perçues en qualité de fonctionnaire européen. Par une décision du 28 juin 2021, le service des retraites de l'Etat a suspendu en totalité le versement de la pension de Mme B... à compter du 1er janvier 2019. Celle-ci a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, de réviser les modalités de liquidation de sa pension en ce qui concerne la durée d'assurance prise en compte et l'indice retenu pour cette liquidation, d'autre part, d'annuler les décisions des 28 février 2019 et 28 juin 2021. Par un jugement du 7 février 2023, le tribunal administratif a annulé le titre de pension du 3 décembre 2018 en tant qu'il prend en compte une durée d'assurance de 164 trimestres seulement et applique un coefficient de minoration et enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de procéder à une nouvelle liquidation de la pension de retraite de Mme B... tenant compte d'une durée d'assurance de 175 trimestres mais a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Celle-ci se pourvoit en cassation contre ce jugement en tant qu'il lui est défavorable. Eu égard aux moyens soulevés, son pourvoi doit être regardé comme dirigé contre le jugement du 7 février 2023 du tribunal administratif de Nantes en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 28 juin 2021.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 84 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable au litige : " L'article L. 161-22 du code de la sécurité sociale, à l'exception de son premier alinéa, n'est pas applicable aux personnes régies par le présent code. (...) / Si, à compter de la mise en paiement d'une pension civile ou militaire, son titulaire perçoit des revenus d'activité de l'un des employeurs mentionnés à l'article L. 86-1, ou de tout autre employeur pour les fonctionnaires civils, il peut cumuler sa pension dans les conditions fixées aux articles L. 85, L. 86 et L. 86-1. / Par dérogation au précédent alinéa, et sous réserve que l'assuré ait liquidé ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi que des régimes des organisations internationales dont il a relevé, une pension peut être entièrement cumulée avec une activité professionnelle : / a) A partir de l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale ; / b) A partir de l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 du même code, lorsque l'assuré justifie d'une durée d'assurance et de périodes reconnues équivalentes mentionnée au deuxième alinéa du même article au moins égale à la limite mentionnée au même alinéa. / La pension due par un régime de retraite légalement obligatoire dont l'âge d'ouverture des droits, le cas échéant sans minoration, est supérieur à l'âge prévu à l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale n'est pas retenue pour apprécier la condition de liquidation de l'ensemble des pensions de retraite, et ce jusqu'à ce que l'assuré ait atteint l'âge à partir duquel il peut liquider cette pension ou, en cas de minoration, l'âge auquel celles-ci prennent fin ".

3. Il résulte de ces dispositions que le bénéfice de la dérogation prévue par le troisième alinéa de cet article, permettant à un ancien fonctionnaire civil de pouvoir entièrement cumuler sa pension avec les revenus d'une activité professionnelle, est notamment subordonné à la condition que l'intéressé ait préalablement liquidé ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, qu'ils soient français, étrangers ou relevant d'une organisation internationale.

4. En jugeant que Mme B..., qui a continué à exercer une activité professionnelle au sein de la Commission européenne après la date à laquelle elle a fait valoir ses droits à la retraite en qualité de première conseillère de chambre régionale des comptes, ne pouvait bénéficier de la dérogation prévue au troisième alinéa de l'article L. 84 dès lors qu'elle n'avait pas, à cette date, liquidé sa pension de retraite au titre du régime légal des institutions de l'Union européenne, le tribunal administratif de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 85 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le montant brut des revenus d'activité mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 84 ne peut, par année civile, excéder le tiers du montant brut de la pension pour l'année considérée. / Lorsqu'un excédent est constaté, il est déduit de la pension après application d'un abattement égal à la moitié du minimum fixé au a de l'article L. 17, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 86 du même code dispose que : " I. - Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 161-22 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 84 et de l'article L. 85, les revenus perçus à l'occasion de l'exercice des activités suivantes peuvent être entièrement cumulés avec la pension : / 1° Activités entraînant affiliation au régime général de la sécurité sociale en application du 15° de l'article L. 311-3 et de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale ainsi que les activités exercées par les artistes interprètes (...) ; / 2° Activités entraînant la production d'œuvres de l'esprit (...) ; / 3° Participation aux activités juridictionnelles ou assimilées, ou à des instances consultatives ou délibératives réunies en vertu d'un texte législatif ou réglementaire. / 4° Activités de professionnels de santé, (...) ". En application de ces dispositions, le service des retraites de l'Etat a, ainsi qu'il a été dit, suspendu en totalité le versement de la pension de Mme B... à compter du 1er janvier 2019.

6. D'une part, aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. / (...) ". Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions s'opposent à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, des libertés fondamentales garanties par ce traité. Si le droit primaire de l'Union ne saurait garantir à un assuré qu'un déplacement dans un autre Etat membre soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de pensions de vieillesse, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des Etats membres, toutefois, dans le cas où son application est moins favorable, une réglementation nationale n'est conforme au droit de l'Union que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'Etat membre où elle s'applique et qu'elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus. En particulier, lorsque les fonctionnaires détachés peuvent demeurer affiliés au régime de pension national, cette faculté doit être conçue de façon à ne pas avoir pour effet que le fonctionnaire qui en fait usage verse des contributions à fonds perdus.

7. D'autre part, aux termes de l'article 11 du règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, " les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les Etats membres doivent respecter le principe de l'unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, qui exclut que les résidents d'un Etat membre affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre soient tenus de financer en outre, même si ce n'est que partiellement, le régime de sécurité sociale de l'Etat de résidence et, à ce titre, soient soumis par ce dernier, en ce qui concerne tant les revenus découlant d'une relation de travail que ceux issus de leur patrimoine, à des dispositions légales instaurant des prélèvements qui présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois régissant les branches de sécurité sociale, le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique d'une contribution au financement d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre.

8. L'article 85 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite définit les modalités de plafonnement temporaire du montant de la pension servie aux anciens fonctionnaires civils qui perçoivent, après la mise en paiement de leur pension, des revenus d'activité et qui n'entrent dans le champ ni de la dérogation prévue au troisième alinéa de l'article L. 84 de ce code, ni des dispositions de son article L. 86. Ces dispositions, qui se bornent à prévoir une restriction temporaire du droit à jouissance de la pension à laquelle l'ancien fonctionnaire peut, à tout moment, mettre fin en renonçant à percevoir des revenus d'activité complémentaires, n'ont pas pour effet, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif sans les méconnaître, de porter atteinte aux droits à pension que l'intéressé acquiert, en application de ce code, en contrepartie des prélèvements auxquels il a été assujetti avant la liquidation de sa retraite. Ce plafonnement temporaire est en outre applicable que ces revenus d'activité soient perçus en France ou dans un autre Etat membre. Ainsi, contrairement à ce que soutient Mme B..., ces dispositions ne désavantagent pas le titulaire d'une pension de retraite qui perçoit des revenus d'activité en qualité de fonctionnaire européen par rapport à celui qui perçoit des revenus d'activité en France et ne conduit pas à verser des cotisations sociales à fonds perdus. Par suite, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Nantes a jugé que les articles L. 84 et L. 85 du code des pensions civiles et militaires de retraite ne méconnaissent ni le principe de libre circulation des travailleurs garanti par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni le principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale.

9. Il résulte de tout que ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle en l'absence de difficulté sérieuse, Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, lequel est suffisamment motivé. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 472858
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2024, n° 472858
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472858.20240607
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