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07/06/2024 | FRANCE | N°471814

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 07 juin 2024, 471814


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2118925/5-2 du 24 février 2023, enregistrée le 1er mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par Mme D... E....



Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 septembre 2021, 22 avril et 12 mai 2022 au greffe du tribunal administratif de Paris, Mme E... d

emande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le ta...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2118925/5-2 du 24 février 2023, enregistrée le 1er mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par Mme D... E....

Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 septembre 2021, 22 avril et 12 mai 2022 au greffe du tribunal administratif de Paris, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le tableau d'avancement de la magistrature pour 2021 ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'inscrire en rang utile au tableau d'avancement de la magistrature pour l'année 2021, ou, à défaut, d'adopter un nouveau tableau d'avancement de la magistrature pour l'année 2021 et de réexaminer sa situation, dans les deux cas dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- le décret du 8 juin 2021 portant nomination (magistrature) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " La hiérarchie du corps judiciaire comprend deux grades. L'accès du second au premier grade est subordonné à l'inscription à un tableau d'avancement ". Aux termes de l'article 34 du même texte : " Il est institué une commission chargée de dresser et d'arrêter le tableau d'avancement ainsi que les listes d'aptitude aux fonctions. Cette commission est commune aux magistrats du siège et du parquet. / Le tableau d'avancement est communiqué à chacune des formations du Conseil supérieur de la magistrature avant d'être signé par le Président de la République (...) ". L'article 36 du même texte dispose que : " Le tableau d'avancement est établi chaque année (...) / La commission d'avancement statue sur l'inscription au tableau d'avancement des magistrats du second grade dont la liste est adressée chaque année à son secrétariat dans les conditions prévues à l'article 27 et qui remplissent les conditions fixées par décret pour accéder aux fonctions du premier grade (...) / Les magistrats non présentés peuvent saisir la commission d'avancement ". Aux termes de l'article 22 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance : " Le tableau d'avancement comporte la liste alphabétique des magistrats jugés dignes d'obtenir un avancement ". L'article 24 de ce décret dispose que : " Chaque année, avant le 1er février, les autorités chargées de l'évaluation mentionnées à l'article 19 adressent au ministre de la justice leurs présentations en vue du tableau d'avancement, établies par ordre de mérite ainsi que leurs propositions de renouvellement des inscriptions au tableau d'avancement de l'année précédente (...) / Avant le 15 mars, les magistrats non compris dans les présentations ou les propositions de renouvellements peuvent adresser au secrétariat de la commission d'avancement selon le cas une demande d'inscription ou de renouvellement d'inscription au tableau d'avancement. L'autorité chargée de l'évaluation joint un avis circonstancié et contradictoire sur le défaut de présentation ou de proposition de renouvellement ". L'article 25 de ce décret dispose que : " le tableau d'avancement est arrêté par la commission avant le 1er juillet ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 26 de ce décret : " La commission statue sur l'inscription au tableau d'avancement de chaque magistrat présenté et de chaque magistrat qui l'a saisie en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 24, après examen de leur valeur professionnelle et appréciation de leurs aptitudes. Les magistrats dont elle admet l'inscription et ceux dont elle accueille le recours ainsi que ceux proposés en vue du renouvellement de leur inscription sont inscrits par ordre alphabétique (...) ".

2. Mme E..., substitut du procureur de la République, après avoir constaté qu'elle n'avait pas été présentée par le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux pour une inscription au tableau d'avancement de la magistrature pour l'année 2021, a saisi la commission d'avancement prévue par l'article 34 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature d'une demande d'inscription à ce tableau, dans les conditions prévues par l'article 24 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance. Conformément à cet article, le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, en tant qu'autorité chargée de l'évaluation de la requérante, a émis un avis sur le défaut de présentation de sa candidature. La commission d'avancement a arrêté le tableau par une décision du 24 juin 2021. Le tableau d'avancement de la magistrature pour l'année 2021, signé par le Président de la République, a ensuite été publié au Journal officiel du 31 août 2021. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, la requérante doit être regardée comme demandant l'annulation du tableau d'avancement litigieux en tant seulement que son nom n'y figure pas.

3. En premier lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article 34 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 citées au point 1 que le tableau arrêté par la commission d'avancement est signé par le Président de la République. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort des mentions du tableau d'avancement pour 2021 qu'il a bien été signé par le Président de la République. D'autre part, aux termes de l'article 19 de la Constitution : " Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ". Les " ministres responsables " sont ceux auxquels incombent, à titre principal, la préparation et l'application des actes dont il s'agit. L'acte litigieux ayant pour objet d'établir la liste des magistrats de l'ordre judiciaire susceptibles d'obtenir un avancement, le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme " responsable " au sens de ces dispositions. Dès lors, il résulte des dispositions de l'article 19 de la Constitution que le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice, étaient tenus de contresigner le tableau d'avancement. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le tableau d'avancement aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le tableau a été arrêté par la commission d'avancement le 24 juin 2021, soit avant la date du 1er juillet mentionnée à l'article 25 du décret du 7 janvier 1993 précité, et a été communiqué aux deux formations du Conseil supérieur de la magistrature par le directeur des services judiciaires, par deux courriers datés du 7 juillet 2021. Mme E... n'est donc pas fondée à soutenir que la décision litigieuse serait entachée de vice de procédure pour ces motifs.

5. En troisième lieu, ni l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 ni le décret du 7 janvier 1993 ne définissent de règles de quorum applicables aux réunions de la commission d'avancement, ni ne confient à la commission d'avancement le soin de déterminer elle-même de telles règles. Dans ces conditions, la commission d'avancement, qui n'a pas compétence pour les fixer, ne peut valablement délibérer que si la majorité de ses membres titulaires ou suppléants sont présents. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort des pièces du dossier que la majorité des membres de la commission d'avancement étaient présents lors de ses différentes réunions. Par ailleurs, si la requérante soutient que M. F... C..., nommé procureur général près la cour d'appel de Bordeaux par un décret du 8 juin 2021, aurait dû s'abstenir de prendre part aux débats de la commission d'avancement, elle ne fait valoir aucun élément de nature à caractériser un manquement à son obligation d'impartialité. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la commission d'avancement qui a statué sur sa demande était irrégulièrement composée.

6. En quatrième lieu, si Mme E... fait valoir que le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, M. A... B..., avait siégé au sein de la formation disciplinaire qui lui a infligé un blâme en 2017, et qu'il avait rédigé, pour la direction des services judiciaires, un rapport sur des faits relatifs à son comportement dont l'avait saisi un avocat, ces seules circonstances n'étaient pas de nature à faire obstacle à ce que M. B... émette, en qualité d'autorité chargée de l'évaluation de Mme E..., l'avis circonstancié requis sur son refus de la présenter au tableau d'avancement pour l'année 2021. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'adoption du tableau d'avancement aurait été viciée du fait d'un manque d'impartialité de M. B....

7. En cinquième lieu, aucune disposition statutaire ne prévoit l'inscription de plein droit au tableau d'avancement des magistrats qui remplissent les conditions d'ancienneté. Cette inscription est également fondée sur la valeur professionnelle et les aptitudes des intéressés. Si des magistrats ayant une ancienneté comparable à celle de Mme E... ont été inscrits au tableau d'avancement, il ne saurait se déduire de cette seule circonstance que le rejet de sa candidature par la commission d'avancement a méconnu le principe d'égalité. La circonstance que le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux ait, en application des dispositions de l'article 24 du décret du 7 janvier 1993 citées au point 1, transmis à la commission d'avancement un avis défavorable à Mme E... ne saurait pas davantage être regardée comme entraînant une rupture d'égalité. Par ailleurs, si Mme E... soutient que ses mérites étaient suffisants et fait valoir que les appréciations de la procureure de la République de Bordeaux étaient élogieuses et favorables à son inscription au tableau, il ressort des pièces du dossier que son niveau était jugé " satisfaisant " dans la majorité des items de l'évaluation, que seuls sept d'entre eux étaient évalués à un niveau " très bon " et aucun à un niveau " excellent " ou " exceptionnel ". Par suite, au vu de l'ensemble des pièces du dossier la requérante n'est pas fondée à soutenir que le tableau d'avancement de la magistrature pour 2021 serait entaché de méconnaissance du principe d'égalité ou d'erreur manifeste d'appréciation.

8. En dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 : " Indépendamment des règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions. L'Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".

9. Si Mme E... soutient que le refus du procureur général près la cour d'appel de Bordeaux de la présenter à l'avancement pour l'année 2021 se fonde sur des faits de harcèlement moral dénoncés par elle, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision du procureur général ait pris en considération de tels éléments mais qu'elle était uniquement fondée sur l'appréciation de ses qualités professionnelles. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 doit, en tout état de cause, être écarté. Par ailleurs, dès lors qu'il résulte de l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que celle-ci n'est pas applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire, Mme E... ne peut utilement soutenir que la décision litigieuse méconnaîtrait l'article 6 quinquies de cette loi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation du tableau d'avancement de la magistrature 2021. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 mars 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 7 juin 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 471814
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2024, n° 471814
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471814.20240607
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