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05/06/2024 | FRANCE | N°470898

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 05 juin 2024, 470898


Vu la procédure suivante :





M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 7 février 2019 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique dont elle était saisie et annulé la décision de l'inspecteur du travail, a autorisé la société Transports Bruneel à le licencier pour inaptitude et, d'autre part, la décision du 25 juillet 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de la 3ème section d'inspection de l'unit

de contrôle ouest de l'unité départementale du Morbihan a autorisé son licenciemen...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 7 février 2019 par laquelle la ministre du travail, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique dont elle était saisie et annulé la décision de l'inspecteur du travail, a autorisé la société Transports Bruneel à le licencier pour inaptitude et, d'autre part, la décision du 25 juillet 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de la 3ème section d'inspection de l'unité de contrôle ouest de l'unité départementale du Morbihan a autorisé son licenciement. Par un jugement n° 1901573 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21NT03323 du 29 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement ainsi que les décisions du 25 juillet 2018 et du 7 février 2019.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 janvier, 28 avril et 23 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Transports Bruneel demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Transports Bruneel soutient que l'arrêt attaqué est entaché :

- d'erreur de droit en ce qu'il s'abstient de rechercher si l'inaptitude physique de M. A... résulte d'agissements par lesquels elle l'aurait empêché d'exercer normalement son mandat syndical ;

- d'erreur de droit dans l'application des règles gouvernant la charge de la preuve ;

- d'erreur de droit en ce que la seule circonstance qu'il existe des tensions entre le salarié protégé et son employeur et qu'une procédure de licenciement pour faute a été antérieurement engagée ne suffit pas à caractériser l'existence d'un lien entre la demande de licenciement pour inaptitude et le mandat ou l'appartenance syndicale ;

- de dénaturation des pièces du dossier desquelles il résulte que la dégradation de l'état de santé de M. A... était d'abord liée à son comportement et à son profil psychologique.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 octobre et 8 novembre 2023, M. A... conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Transports Bruneel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannontin Avocats, avocat de la société Transports Bruneel et à la SCP Poupet et Kacenelenbogen , avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 avril 2024, présentée par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 25 juillet 2018, l'inspecteur du travail de la 3ème section d'inspection de l'unité de contrôle ouest de l'unité départementale du Morbihan a accordé l'autorisation de licencier pour inaptitude M. A..., salarié de la société Transports Bruneel, exerçant en qualité de conducteur de poids lourd et détenant par ailleurs différents mandats dont celui de membre titulaire de la délégation unique du personnel. Saisie d'un recours hiérarchique par M. A..., la ministre en charge du travail a, par une décision du 7 février 2019, retiré la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. A.... Par un jugement du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des décisions de la ministre chargée du travail et de l'inspecteur du travail. La société Transports Bruneel se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 29 novembre 2022 ayant, sur appel de M. A..., annulé le jugement du tribunal administratif de Rennes ainsi que les décisions des 25 juillet 2018 et 7 février 2019.

2. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise, et non de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

3. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'autorité administrative n'avait pu légalement autoriser le licenciement de M. A..., la cour administrative d'appel de Nantes s'est fondée sur ce que la dégradation de son état de santé était en partie liée aux relations conflictuelles existant avec son employeur depuis le mois d'août 2015, M. A... s'étant opposé à la cessation de l'activité " Transport Vrac Bennes céréalières ", ce dont elle a déduit que la demande de son employeur tendant à son licenciement pour inaptitude était en lien direct avec des obstacles mis à l'exercice de ses fonctions représentatives, ce qui révélait l'existence d'un rapport entre le projet de licenciement et ses mandats. En statuant ainsi, sans rechercher si M. A... avait été en l'espèce empêché d'exercer normalement ses mandats, ni, le cas échéant, si d'autres circonstances permettaient d'établir que la demande de licenciement était en rapport avec les fonctions représentatives exercées, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Transports Bruneel est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 29 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes qu'elle attaque.

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Transports Bruneel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société requérante qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 29 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Transports Bruneel et par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Transports Bruneel et à M. B... A....

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 470898
Date de la décision : 05/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2024, n° 470898
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Edouard Solier
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SAS HANNOTIN AVOCATS ; SCP POUPET & KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470898.20240605
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