Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 et 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... et l'Association EU BRITIZENS demandent au Conseil d'Etat :
1°) de saisir pour avis la Cour européenne des droits de l'homme sur la conformité à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de la perte de la citoyenneté européenne et du droit de participer aux élections au Parlement européen pour les citoyens britanniques résidant sur le territoire de l'Union européenne avant le 1er février 2020 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-226 du 12 mars 2024 portant convocation des électeurs pour l'élection des représentants au Parlement européen, à titre principal, en tant qu'il ne comporte pas de disposition de nature à permettre aux citoyens britanniques résidant sur le territoire de l'Union européenne avant le 1er février 2020 et à Mme B... de participer à ces élections, à titre subsidiaire, en tant qu'il ne comporte pas de disposition de nature à permettre à Mme B... de participer à ces élections au regard de sa situation privée et familiale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/87/CECA, CEE du Conseil du 20 septembre 1976 ;
- la décision (UE) 2020/135 du 30 janvier 2020 du Conseil relative à la conclusion de l'accord de retrait sur le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ;
- l'arrêt C-673/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 juin 2022 ;
- l'arrêt C-716/22 de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 avril 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Adam, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. Premièrement, aux termes de l'article 3 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ".
2. Deuxièmement, aux termes du paragraphe 1 de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 22 de ce traité : " Sans préjudice des dispositions de l'article 223, paragraphe 1, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ".
3. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord s'est retiré de l'Union européenne par l'effet d'un accord sur ce retrait, fondé sur l'article 50 du traité sur l'Union européenne et approuvé par la décision (UE) 2020/135 du 30 janvier 2020 du Conseil relative à la conclusion de l'accord sur le retrait de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique. Cet accord est entré en vigueur le 1er février 2020.
4. Par son arrêt du 9 juin 2020, EP c/ préfet du Gers (C-673/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 9 et 50 du traité sur l'Union européenne ainsi que les articles 20 à 22 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, combinés avec l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que, depuis ce retrait, le 1er février 2020, les ressortissants de cet Etat qui ont exercé leur droit de résider dans un Etat membre avant la fin de la période de transition, ne bénéficient plus du statut de citoyen de l'Union. Par son arrêt du 18 avril 2024, EP c/ préfet du Gers (C-716/22), cette même Cour a dit pour droit que l'accord de retrait, lu à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens que, depuis le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 1er février 2020, les ressortissants de cet Etat qui ont exercé leur droit de résider dans un Etat membre avant la fin de la période de transition, ne bénéficient plus d'un droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans leur Etat membre de résidence.
5. Troisièmement, aux termes de l'article 2-1 de la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen : " Les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France résidant sur le territoire français peuvent participer à l'élection des représentants de la France au Parlement européen dans les mêmes conditions que les électeurs français, sous réserve des modalités particulières prévues, en ce qui les concerne, par la présente loi. / Les personnes visées au premier alinéa sont considérées comme résidant en France si elles y ont leur domicile réel ou si leur résidence y a un caractère continu ". Aux termes de l'article 20 de la même loi : " Les électeurs sont convoqués par décret publié sept semaines au moins avant la date des élections fixée d'un commun accord entre les Etats membres de l'Union européenne ". Sur le fondement de ces dispositions, les électeurs ont été convoqués le dimanche 9 juin 2024 en vue de procéder à l'élection des représentants au Parlement européen par le décret du 12 mars 2024 portant convocation des électeurs pour l'élection des représentants au Parlement européen.
Sur le la requête :
6. Les requérantes demandent l'annulation du décret du 12 mars 2024 en tant qu'il ne comporte pas de disposition de nature à permettre aux citoyens britanniques résidant sur le territoire français et à Mme B..., en particulier, de participer à ces élections. Elles doivent être regardées comme invoquant, par la voie de l'exception, la contrariété des dispositions de l'article 2-1 de la loi du 7 juillet 1977 aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel et au principe de non-discrimination garanti par l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
7. En premier lieu, ainsi qu'il est dit aux points 2 à 5, il résulte des stipulations du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'accord de retrait que la perte de la citoyenneté européenne par les ressortissants du Royaume-Uni résidant dans un Etat membre de l'Union européenne et, par suite, de la perte du droit de vote à l'élection des représentants au Parlement européen, sont la conséquence de l'entrée en vigueur de cet accord, et non des dispositions de la loi du 7 juillet 1977, qui se bornent à définir les pays dont les ressortissants peuvent participer, en France, à cette élection. Par suite et en tout état de cause, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que la loi du 7 juillet 1977 méconnaîtrait les principes qu'elles invoquent, les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou les dispositions de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au motif qu'elles ne reconnaissent pas la citoyenneté européenne aux ressortissants du Royaume-Uni résidant dans un Etat membre de l'Union européenne.
8. En deuxième lieu, si les requérantes invoquent l'inconventionnalité des dispositions de la loi du 7 juillet 1977 au regard des stipulations de l'article 17 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au motif qu'elles les privent du droit de participer aux élections au Parlement européen, elles n'apportent aucune précision à l'appui de leur argumentation de nature à établir l'existence d'un abus de droit et d'une atteinte à la dignité de la personne humaine.
9. En troisième lieu, un ressortissant du Royaume-Uni qui a exercé son droit de résider dans un Etat membre conformément au droit de l'Union européenne avant la fin de la période de transition et qui continue d'y résider par la suite, ne saurait utilement se prévaloir de l'interdiction de discrimination prévue par l'accord de retrait mentionné au point 3 et par l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, pour revendiquer le droit de vote et d'éligibilité au Parlement européen dans son Etat membre de résidence, dont il se trouve privé à la suite de la décision souveraine du Royaume-Uni de se retirer de l'Union. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées constituent une mesure discriminatoire à l'encontre des citoyens britanniques qui résident sur le territoire de l'Union européenne ne peut qu'être écarté. Il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à la différence de situation entre les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne et les non ressortissants, tels que les citoyens britanniques.
10. En dernier lieu, si les requérantes soutiennent que la radiation de Mme B... des listes électorales méconnaît les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les dispositions de l'article L. 100-2 du code des relations entre le public et l'administration au motif qu'elle n'est pas intervenue au terme d'une procédure contradictoire, cette circonstance est en tout état de cause sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis, que la requête de Mme B... et de l'Association EU Britizens doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... et de l'Association EU Britizens est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., première requérante dénommée.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer