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31/05/2024 | FRANCE | N°467271

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 31 mai 2024, 467271


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 467271, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 septembre 2022 et 8 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur pris en application de l'article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l'

assistance médicale à la procréation, en tant qu'il crée l'article R. 2143-7 du c...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 467271, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 septembre 2022 et 8 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 du décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur pris en application de l'article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, en tant qu'il crée l'article R. 2143-7 du code de la santé publique.

2° Sous le n° 467467, par une requête, un nouveau mémoire, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 11 septembre et 23 décembre 2022 et 26 février, 7 mars, 18 mars et 29 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... D... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n°2022-1187 du 25 août 2022 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur pris en application de l'article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation, en tant qu'il modifie les articles R. 2141-36 et R. 2141-37 du code de la santé publique, et l'article 3 du même décret, en tant qu'il crée les articles R. 2143-1, R. 2143-2, R. 2143-5, R. 2143-7, R. 2143-9, R. 2143-14, R. 2143-15 et R. 2143-19 du code de la santé publique.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code civil ;

- le code du patrimoine ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 ;

- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;

- le décret n° 2023-785 du 16 août 2023 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1052 QPC du 9 juin 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 25 août 2022, pris pour l'application de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la Première ministre a défini les modalités du droit d'accès aux origines des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur. Mme A... C... et M. B... D... demandent au Conseil d'Etat, par les requêtes enregistrées sous les n° 467271 et 467467, d'annuler différentes dispositions résultant de ce décret.

2. Ces deux requêtes présentant à juger des questions semblables, il a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable :

3. L'article 5 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique a inséré dans le titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, relatif à l'assistance médicale à la procréation, un chapitre III portant sur l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur. Alors que, sous le régime antérieur, les personnes conçues par assistance médicale à la procréation n'avaient pas accès à de telles données, l'article L. 2143-2 du code de la santé publique dispose désormais que : " Toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l'identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l'article L. 2143-3./ Les personnes qui souhaitent procéder à un don de gamètes ou proposer leur embryon à l'accueil consentent expressément et au préalable à la communication de ces données et de leur identité, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article. En cas de refus, ces personnes ne peuvent procéder à ce don ou proposer cet accueil (...) ". En vertu de l'article L. 2143-3 du même code, lors du recueil du consentement, le médecin collecte, outre l'identité des personnes souhaitant procéder au don de gamètes ou proposer leur embryon à l'accueil, des données non identifiantes portant sur l'âge, l'état général, les caractéristiques physiques, la situation familiale et personnelle, le pays de naissance, la motivation du don. Ces données sont, en vertu de l'article L. 2143-4 du même code, conservées par l'Agence de la biomédecine dans un traitement de données dont elle est responsable. Il résulte des dispositions des articles L. 2143-5 et L. 2143-6 que, lorsqu'une personne, à sa majorité, souhaite accéder aux données non identifiantes relatives au tiers donneur ou à son identité, elle doit s'adresser à une commission d'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur placée auprès du ministre chargé de la santé, chargée de se prononcer sur les demandes. L'article L. 2143-9 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer les modalités d'application de ces dispositions législatives.

4. Il résulte des dispositions transitoires prévues par l'article 5 de la loi du 2 août 2021 que l'obligation pour toute personne souhaitant procéder à un don de gamètes ou proposer un embryon à l'accueil de consentir préalablement à la communication de son identité et de ses données non identifiantes entre en vigueur le 1er septembre 2022. De plus, aux termes du C du VII de l'article 5 : " A compter d'une date fixée par décret, ne peuvent être utilisés pour une tentative d'assistance médicale à la procréation que les gamètes et les embryons proposés à l'accueil pour lesquels les donneurs ont consenti à la transmission de leurs données non identifiantes et à la communication de leur identité en cas de demande des personnes nées de leur don. " Aux termes du D du VII du même article : " A la veille de la date fixée par le décret prévu au C du présent VII, il est mis fin à la conservation des embryons proposés à l'accueil et des gamètes issus de dons réalisés avant le premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la présente loi. " Parallèlement, le A du VIII du même article dispose que le droit d'accès aux origines " s'applique aux personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à compter de la date fixée par le décret prévu au C du VII du présent article ". Cette date a été fixée au 31 mars 2025 par le décret du 16 août 2023 fixant la date mentionnée au C du VII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique d'utilisation exclusive des gamètes et embryons pour lesquels les donneurs ont consenti à la transmission de leurs données non identifiantes et à la communication de leur identité.

5. Le législateur a enfin entendu ouvrir aux tiers donneurs qui ont consenti un don de gamètes sous l'empire du régime antérieur la possibilité de lever l'anonymat au bénéfice des personnes nées de leur don. Il résulte ainsi des dispositions du 5° de l'article L. 2143-6 du code de la santé publique que la commission d'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur est chargée " de recueillir et d'enregistrer l'accord des tiers donneurs qui n'étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don pour autoriser l'accès à leurs données non identifiantes et à leur identité ainsi que la transmission de ces données à l'Agence de la biomédecine, qui les conserve conformément au même article L. 2143-4 ". De plus, aux termes du 6° du même article, la commission est également chargée " de contacter les tiers donneurs qui n'étaient pas soumis aux dispositions du présent chapitre au moment de leur don, lorsqu'elle est saisie de demandes au titre de l'article L. 2143-5, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu'à la transmission de ces données à l'Agence de la biomédecine. Afin d'assurer cette mission, la commission peut utiliser le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques et consulter ce répertoire. Les conditions de cette utilisation et de cette consultation sont fixées par un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. La commission est également autorisée à consulter le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie afin d'obtenir, par l'intermédiaire des organismes servant les prestations d'assurance maladie, l'adresse des tiers donneurs susmentionnés ". Le D du VII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 dispose, par ailleurs, que " Les personnes majeures conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à partir des embryons ou des gamètes utilisés jusqu'à la date fixée par le décret prévu au C du VII du présent article peuvent se manifester, si elles le souhaitent, auprès de la commission mentionnée à l'article L. 2143-6 du code de la santé publique pour demander l'accès aux données non identifiantes du tiers donneur détenues par les organismes et établissements mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 2142-1 du même code et, le cas échéant, à l'identité de ce tiers donneur. "

6. Les modalités d'application de ces dispositions ont été déterminées par le décret du 25 août 2022 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur pris en application de l'article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation.

Sur le désistement de certaines des conclusions de la requête n° 467467 :

7. Par deux mémoires des 8 janvier et 7 août 2023, M. D... a indiqué se désister de ses conclusions dirigées, d'une part, contre l'article 3 du décret 25 août 2022 en tant qu'il crée l'article R. 2143-2 du code de la santé publique, et, d'autre part, contre l'article 2 du même décret en tant qu'il modifie les articles R. 2141-36 et R. 2141-37 du même code. Ce désistement est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur la recevabilité de certaines des autres conclusions de la requête n° 467467 :

8. Outre les conclusions dont il s'est désisté, ainsi qu'il a été dit au point 7, M. D... n'a demandé l'annulation, avant l'expiration du délai de recours contentieux, que de l'article 3 du décret du 25 août 2022 en tant qu'il insère dans le code de la santé publique l'article R. 2143-1, le second alinéa du I de l'article R. 2141-7, le premier alinéa du 2° du I de l'article R. 2143-9 et l'article R. 2143-14. Les conclusions tendant à l'annulation de l'article R. 2143-5, du IV de l'article R. 2143-7, du III de l'article R. 2143-9, du II de l'article R. 1243-15 et de l'article R. 2143-19 du code de la santé publique, dans leur version résultant du décret attaqué, n'ont été présentées que dans des mémoires enregistrés les 23 décembre 2022, 18 mars 2023 et 29 août 2023, après l'expiration du délai du recours contentieux. Ces conclusions sont ainsi tardives et, par suite, irrecevables.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

En ce qui concerne la définition du tiers donneur mentionnée à l'article R. 2143-1 du code de la santé publique :

9. Aux termes de l'article L. 2143-1 du code de la santé publique : " Pour l'application du présent chapitre, la notion de tiers donneur s'entend de la personne dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés en application du chapitre IV du titre IV du livre II de la première partie du présent code ainsi que du couple, du membre survivant ou de la femme non mariée ayant consenti à ce qu'un ou plusieurs de ses embryons soient accueillis par un autre couple ou une autre femme en application de l'article L. 2141-5. / Lorsque le tiers donneur est un couple, son consentement s'entend du consentement exprès de chacun de ses membres ". Aux termes de l'article L. 1244-4 du même code : " Le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants ".

10. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 2143-1 du même code : " Pour l'application du présent chapitre : / 1° Lorsque le ou les embryons mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2143-1 ont été conçus grâce à un don de sperme, un don d'ovocyte ou un don de sperme et un don d'ovocyte, la notion de tiers donneur s'entend de la ou des personnes ayant consenti à ces dons de gamètes ainsi que du couple, du membre survivant ou de la femme non mariée ayant consenti à l'accueil de ses embryons en application de l'article L. 2141-5 ".

11. En premier lieu, en précisant que la notion de tiers donneur recouvrait tant les donneurs de gamètes que le couple, le membre survivant ou la femme non mariée ayant consenti à l'accueil de ses embryons, le décret du 25 août 2022 n'a fait que tirer les conséquences des dispositions législatives citées au point 5, qui n'excluent pas que la qualité de tiers donneur soit reconnue au donneur de gamètes dans l'hypothèse dans laquelle ce don a permis de concevoir des embryons surnuméraires eux-mêmes susceptibles de faire l'objet d'un don. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'incompétence ne peut, par suite, qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, les dispositions contestées de l'article R. 2143-1 n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à l'application de la règle fixée par l'article L. 1244-4 du code de la santé publique, cité au point 9, selon laquelle le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut délibérément conduire à la naissance de plus de dix enfants. Le moyen tiré de sa méconnaissance doit donc être écarté. Il ne saurait davantage être utilement soutenu que les dispositions contestées, dont ce n'est pas l'objet, seraient illégales en tant qu'elles ne prévoient pas qu'un donneur de gamètes puisse s'opposer à ce que l'embryon ainsi conçu soit proposé au don à une femme seule.

13. En troisième lieu, M. D... soutient que les dispositions de l'article R. 2143-1, en ce qu'elles reconnaissent la qualité de tiers donneur au donneur de gamètes dans l'hypothèse dans laquelle ce don a permis de concevoir des embryons surnuméraires eux-mêmes susceptibles de faire l'objet d'un don, rendues applicables dès le 1er septembre 2022, auraient de ce fait méconnu le principe de sécurité juridique, dans la mesure où les couples disposant d'embryons surnuméraires conçus grâce à un don de gamètes n'ont eu que quelques jours pour effectuer le don de tels embryons à des tiers, un tel don ne pouvant plus être effectué à compter du 1er septembre 2022 sans l'accord du donneur de gamètes.

14. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4, en vertu des dispositions du C du VII de l'article 5 de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique et du décret du 16 août 2023 pris pour son application, la règle selon laquelle " ne peuvent être utilisés pour une tentative d'assistance médicale à la procréation que les gamètes et les embryons proposés à l'accueil pour lesquels les donneurs ont consenti à la transmission de leurs données non identifiantes et à la communication de leur identité en cas de demande des personnes nées de leur don " ne s'applique qu'à compter du 31 mars 2025. Le moyen ne peut donc, en tout état de cause, qu'être écarté.

En ce qui concerne les modalités de consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité des tiers donneurs ayant consenti un don sous le régime juridique antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, définies par l'article R. 2143-7 du code de la santé publique :

15. Aux termes du I de l'article R. 2143-7 du code de la santé publique : " I.- Les tiers donneurs non soumis aux dispositions du chapitre III du titre IV du livre Ier de la deuxième partie de la partie législative du présent code au moment du don peuvent, à tout moment, s'adresser à la commission d'accès des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs, afin de consentir auprès de celle-ci à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes mentionnées à l'article L. 2143-3. / Ils peuvent également exprimer ce consentement auprès de la commission lorsque celle-ci les contacte après avoir été saisie d'une demande d'accès à leurs données d'identité ou non identifiantes en application du D du VIII de l'article 5 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ".

16. En premier lieu, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2023-1052 QPC du 9 juin 2023, a jugé que les dispositions du 6° de l'article L. 2143-6 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi du 2 août 2021, qui permettent à la commission d'accès des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation (CAPADD), intitulé donné par le pouvoir réglementaire à la commission instituée par cet article, de contacter les anciens donneurs afin de recueillir leur consentement à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes à la personne née de leur don, ne portaient pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en assortissant toutefois sa décision d'une réserve tenant à ce que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet, en cas de refus du tiers donneur, de soumettre celui-ci " à des demandes répétées émanant d'une même personne ". Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du second alinéa du I de l'article R. 2143-7 du code de la santé publique seraient illégales au motif que les dispositions législatives du 6° de l'article L. 2143-6 du même code seraient contraires à la Constitution, alors même que ces dispositions ne comportent pas de disposition expresse permettant de garantir qu'un ancien donneur ne sera pas soumis à des demandes répétées émanant d'une même personne.

17. En deuxième lieu, si le second alinéa du I de l'article R. 2143-7 du code de la santé publique rappelle la possibilité ouverte à la CAPADD de contacter les tiers donneurs après avoir été saisie d'une demande d'accès à leurs données d'identité ou non identifiantes, il ne fait que réitérer, sur ce point, les dispositions du 6° de l'article L. 2143-6. Par suite, les moyens soulevés par M. D... tirés de ce que les dispositions du second alinéa du I de l'article R. 2143-7 ne respecteraient pas le contrat moral passé avec les anciens donneurs, auraient dû prévoir une exclusion pour les donneurs de gamètes contre rémunération, méconnaîtraient le principe d'anonymat du don pour les anciens donneurs dont il apparaîtrait qu'ils sont décédés depuis plus de 25 ans et dont les dossiers médicaux auraient alors le caractère d'archives publiques communicables, ou méconnaîtraient les articles 2 et 9 du code civil relatifs à la non-rétroactivité de la loi et au respect de la vie privée ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés. De même, M. D... ne saurait utilement soutenir que les dispositions en cause méconnaîtraient le secret médical, en permettant aux médecins des organismes ou établissements où sont effectués les dons de gamètes de transmettre des informations couvertes par ce secret à la CAPADD, dès lors qu'il ressort des dispositions citées au point 5 que le législateur a entendu déroger expressément au secret médical en autorisant cette transmission à la CAPADD pour les besoins de ses missions.

18. En troisième lieu, M. D... et Mme C... soutiennent que l'article R. 2143-7 serait illégal en tant qu'il ne prévoit pas que le consentement de l'autre membre du couple dont faisait partie le donneur de gamètes au moment du don soit requis lorsque le tiers donneur est saisi par la CAPADD dans le cas prévu par le 6° de l'article L. 2143-6, y compris lorsque le don a été réalisé, conformément au droit alors applicable, avec le consentement des deux membres du couple.

19. En prévoyant la possibilité pour les tiers donneurs ayant réalisé un don de gamètes avec le consentement de l'autre membre de leur couple avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 d'être contactés, postérieurement à l'entrée en vigueur de ceux-ci, par la CAPADD, aux fins de recueillir leur consentement à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes à l'enfant né de leur don à sa majorité, sans subordonner cette communication au consentement de l'autre membre du couple, les dispositions critiquées de l'article R. 2143-7 tirent les conséquences des nouvelles dispositions législatives applicables, puisqu'aux termes de l'article L. 1244-2 du code de la santé publique, dans sa version résultant de la loi du 2 août 2021, le consentement de l'autre membre du couple du donneur de gamètes n'est plus requis lors de la réalisation du don. Elles ne sont pas entachées de rétroactivité, le consentement de l'autre membre du couple, lorsqu'il était requis, ne concernant que la seule réalisation du don, et n'étant donc pas affecté par les nouvelles dispositions. En tout état de cause, ce dispositif, qui est prévu par la loi, a pour objectif de donner une portée étendue au droit d'accès aux origines des enfants nés d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, y compris, sous les réserves qu'il prévoit, aux enfants nés d'un don de gamètes avant l'entrée en vigueur de la loi. Il est proportionné, car il ne s'applique qu'après le recueil du consentement exprès du tiers donneur. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, en tout état de cause, des dispositions de l'article L. 1244-2 du code de la santé publique, du principe de non-rétroactivité des actes administratifs, de l'article 1193 du code civil et de l'article L. 1111-14 du code de la santé publique ne peuvent qu'être écartés.

20. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 du règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) : " 1. Le traitement n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie : (...) / e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement (...) ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 21 du même règlement : " 1. La personne concernée a le droit de s'opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement des données à caractère personnel la concernant fondé sur l'article 6, paragraphe 1, point e) ou f), y compris un profilage fondé sur ces dispositions. Le responsable du traitement ne traite plus les données à caractère personnel, à moins qu'il ne démontre qu'il existe des motifs légitimes et impérieux pour le traitement qui prévalent sur les intérêts et les droits et libertés de la personne concernée, ou pour la constatation, l'exercice ou la défense de droits en justice ".

21. Aucune disposition de la loi du 2 août 2021 ni du décret contesté ne fait obstacle à ce qu'un ancien donneur fasse valoir, auprès de l'organisme ou de l'établissement où il a réalisé son don, son droit d'opposition au traitement de ces données. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du RGPD, au motif que les anciens donneurs ne pourraient pas s'opposer à ce que des données personnelles les concernant soient transmises par cet organisme ou établissement à la CAPADD, doit être écarté.

22. En cinquième lieu, si l'article R. 2143-7 ne prévoit pas que les anciens donneurs contactés par la CAPADD soient informés de la manière dont ils ont été retrouvés et ne fixe pas de modèle de formulaire pour enregistrer le refus du donneur, afin d'éviter qu'il ne soit sollicité à plusieurs reprises, s'il ne prévoit pas davantage un délai minimum de réponse à la demande de la CAPADD, l'absence de telles dispositions, quelle que soit, le cas échéant, leur utilité, n'entache pas le décret attaqué d'illégalité.

En ce qui concerne les modalités de demande d'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur définies par l'article R. 2143-9 :

23. Aux termes de l'article R. 2143-9 du code de la santé publique : " I.- Les personnes nées d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur qui, à leur majorité, souhaitent accéder, en application des dispositions de l'article L. 2143-5, à l'identité du tiers donneur, aux données non identifiantes mentionnées à l'article L. 2143-3 ou à ces deux catégories de données, saisissent la commission d'accès des personnes nées d'une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs au moyen d'un formulaire que celle-ci met à disposition du public. / Les demandes transmises au moyen de ce formulaire sont, à peine d'irrecevabilité, accompagnées des pièces justificatives suivantes : (...) / 2° Il justifie de son lien de filiation avec les bénéficiaires de l'assistance médicale à la procréation par la production d'une copie intégrale de son acte de naissance datée de moins de trois mois (...) "

24. Les dispositions citées au point précédent n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'empêcher que l'enfant né d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur puisse prouver son lien de filiation avec ses parents d'intention, bénéficiaires de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, par tout moyen laissé à l'appréciation du service instructeur lorsqu'il n'est pas en mesure de produire une copie intégrale d'un acte de naissance établissant le lien de filiation de moins de trois mois. M. D... n'est donc pas fondé à soutenir que ces dispositions seraient illégales comme susceptibles de faire obstacle au droit d'accès à l'identité et aux données non identifiantes du tiers donneur, notamment en cas de désaveu de paternité.

En ce qui concerne les modalités de conservation des données du " registre des dons de gamètes et d'embryons " définies à l'article R. 2143-14 :

25. Aux termes de l'article L. 2143-4 du code de la santé publique : " Les données relatives aux tiers donneurs mentionnées à l'article L. 2143-3, les données relatives à leurs dons et aux personnes nées à la suite de ces dons ainsi que l'identité des personnes ou des couples receveurs sont conservées par l'Agence de la biomédecine dans un traitement de données dont elle est responsable en application du 13° de l'article L. 1418-1, dans des conditions garantissant strictement leur sécurité, leur intégrité et leur confidentialité, pour une durée limitée et adéquate tenant compte des nécessités résultant de l'usage auquel ces données sont destinées, fixée par un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui ne peut être supérieure à cent vingt ans. / Ces données permettent également à l'Agence de la biomédecine de s'assurer du respect des dispositions relatives aux dons de gamètes prévues à l'article L. 1244-4 ".

26. Aux termes de l'article R. 2143-14 du code de la santé publique : " Les données mentionnées à l'article R. 2143-11 sont conservées par l'Agence de la biomédecine pour une durée de cent-vingt ans à compter de la date de leur enregistrement dans le traitement. / Par dérogation au premier alinéa, dans le cas où un don ne donne lieu à aucune naissance vivante, les données mentionnées au 1° de l'article R. 2143-11 sont supprimées ". Aux termes de l'article R. 2141-35 du code de la santé publique : " Les règles de bonnes pratiques applicables à la stimulation ovarienne, y compris lorsqu'elle est mise en œuvre indépendamment d'une technique d'assistance médicale à la procréation, sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Agence de la biomédecine et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ". Aux termes du point V.4 de l'annexe de l'arrêté du 30 juin 2017 modifiant l'arrêté du 11 avril 2008 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation, dans sa rédaction alors applicable : " le don d'ovocytes est limité à deux cycles complets (stimulation ovarienne et prélèvement d'ovocytes en vue de don) au cours de la vie d'une femme ".

27. En premier lieu, la durée de conservation des données figurant dans le traitement de données à caractère personnel dont l'Agence de la biomédecine est la responsable de traitement, intitulé " registre des dons de gamètes et d'embryons ", fixée à 120 ans, permet aux personnes nées d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur d'exercer leur droit d'accès aux origines à tout moment, à compter de leur majorité, en tenant compte de leur espérance de vie. La fixation du point de départ du délai lors de l'enregistrement des données dans le traitement est plus favorable pour les personnes nées d'un don avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, dans le cas où le tiers donneur aurait consenti, depuis cette entrée en vigueur, à ce que son identité et ses données identifiantes soient communiquées. Si M. D... soutient que le délai de 120 ans pourrait être, en certains cas, insuffisant, ce plafond résulte de la loi elle-même. En outre, en permettant que les données personnelles des tiers donneurs n'ayant donné lieu à aucune naissance vivante soient supprimées du traitement, le pouvoir réglementaire a assuré la conciliation entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée du tiers donneur et, d'autre part, le droit à connaître ses origines de l'enfant né d'une procréation médicalement assistée avec tiers donneur.

28. En deuxième lieu, le fait que les données relatives à l'ensemble des tiers donneurs, tels que définis à l'article R. 2143-1, soient conservées dans le registre, permettant ainsi à la personne née à la suite d'un don de disposer d'informations sur les différentes personnes ayant pris part au processus d'engendrement, y compris le cas échéant celles avec lesquelles elle n'a pas de lien biologique, ne saurait être regardé comme méconnaissant les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

29. En troisième lieu, la règle selon laquelle les données relatives aux tiers donneurs sont supprimées du registre si le don ne donne lieu à aucune naissance vivante n'a pas par elle-même pour effet de contourner la limitation du nombre de dons d'ovocytes auxquels les femmes peuvent procéder au cours de leur vie, qui résulte en tout état de cause d'un arrêté, ainsi qu'il a été dit au point 26.

30. En quatrième lieu, la circonstance que l'article R. 2143-14 ne prévoie pas une dérogation à l'obligation de conserver les données d'anciens donneurs dont le dossier médical aurait disparu n'entache pas, en tout état de cause, celui-ci d'illégalité.

31. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu les dispositions législatives applicables en prévoyant une durée de conservation excessive des données figurant dans le " registre des dons de gamètes et d'embryons " et en ne respectant pas le principe de minimisation des données ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre le décret attaqué :

32. Les autres moyens des requêtes ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peuvent, par suite, qu'être écartés.

33. Il résulte de ce qui précède que le surplus des conclusions de la requête de M. D... et la requête de Mme C... doivent être rejetés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre en ce qui concerne cette dernière.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement de M. D... de ses conclusions dirigées contre l'article 2 du décret attaqué en tant qu'il modifie les articles R. 2141-36 et R. 2141-37 du code de la santé publique et l'article 3 du décret en tant qu'il crée l'article R. 2143-2 du code de la santé publique.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... et la requête de Mme C... sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., à M. B... D..., au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 31 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467271
Date de la décision : 31/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mai. 2024, n° 467271
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:467271.20240531
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