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30/05/2024 | FRANCE | N°471272

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 30 mai 2024, 471272


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 400 euros en réparation des préjudices subis du fait de quatorze fouilles intégrales dont il a fait l'objet. Par un jugement n° 2002441 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser la somme de 500 euros.



Par un pourvoi, enregistré le 10 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'E

tat :



1°) d'annuler ce jugement ;



2°) réglant l'af...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 400 euros en réparation des préjudices subis du fait de quatorze fouilles intégrales dont il a fait l'objet. Par un jugement n° 2002441 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser la somme de 500 euros.

Par un pourvoi, enregistré le 10 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de M. B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., détenu au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne), a fait l'objet de quatorze fouilles intégrales entre les mois d'avril 2018 et de juillet 2020. Il a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 400 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de fouilles injustifiées. Par un jugement du 9 décembre 2022, contre lequel le garde des sceaux, ministre de la justice se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Caen a partiellement fait droit à la demande de M. B... en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 500 euros en réparation des préjudices résultant de cinq des fouilles intégrales réalisées.

2. Aux termes de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans sa rédaction applicable jusqu'au 25 mars 2019 : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d'établissement peut également ordonner des fouilles dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenues. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l'objet d'un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l'administration pénitentiaire. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. / Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n'exerçant pas au sein de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire ". Ces dispositions, dans leur rédaction applicable à compter du 25 mars 2019, prévoient que : " Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l'établissement sans être restées sous la surveillance constante de l'administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef d'établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. / Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d'établissement peut également ordonner des fouilles de personnes détenues dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de leur personnalité. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l'objet d'un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l'administration pénitentiaire. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. (...) ". En vertu de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-80 du même code : " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement ".

3. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.

4. Pour estimer que cinq des quatorze fouilles intégrales dont M. B... a fait l'objet les 7 avril, 19 juillet, 30 octobre et 13 décembre 2018 et le 30 mai 2020 n'apparaissaient ni nécessaires, ni proportionnées aux buts en vue desquels elles ont été décidées, le tribunal administratif a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que ces fouilles aient été justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement de l'intéressé fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment des différents comptes rendus d'incidents produits par l'administration, que le séjour au centre pénitentiaire de M. B..., qui présentait un profil d'une particulière dangerosité après avoir été condamné à la réclusion perpétuelle à perpétuité pour deux assassinats, l'un commis lors d'une évasion à l'issue d'une permission de sortie et l'autre commis à l'encontre d'un de ses codétenus, était émaillé de nombreux incidents, consistant notamment en des menaces, dégradations et possession d'objets prohibés qui s'étaient succédés sans interruption dans une période proche de celle des fouilles litigieuses, et qui étaient susceptibles de mettre en danger la sécurité des agents pénitentiaires, des autres détenus et de l'intéressé lui-même, le tribunal administratif a dénaturé les faits et pièces du dossier.

5. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que la fouille du 14 juin 2018 est intervenue à la suite de la dégradation d'une plaque en vitrocéramique et pour suspicion de possession d'une arme artisanale. Celle du 3 juillet 2018 est intervenue à la suite de la dégradation de sa cellule, par " mesure de sécurité et prévention du risque suicidaire ". Celle du 7 septembre 2018 a eu lieu à l'occasion d'une fouille de cellule pour des motifs de sécurité et alors qu'un compte rendu d'incident du même jour indique que cinq lames de rasoir ont été découvertes dans la cellule de l'intéressé. Celles des 18 septembre et 24 novembre 2018 ont été réalisées à l'occasion d'un placement au quartier disciplinaire pour des motifs de sécurité et des comptes rendus d'incidents des 13 septembre et 14 octobre 2018 indiquant que l'intéressé avait inondé la coursive et que des bris de verre et un manche en métal aiguisé avaient été retrouvés. Les fouilles des 22 juin, 20 novembre et 12 décembre 2019 et du 16 janvier 2020 ont été réalisées alors que l'intéressé avait menacé de mettre le feu à sa cellule le 22 juin 2019, a été retrouvé en possession de lames de rasoirs les 20 novembre 2019 et 11 janvier 2020 et d'une arme artisanale le 10 décembre 2019.

8. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les cinq fouilles intégrales dont M. B... a fait l'objet les 7 avril, 19 juillet, 30 octobre et 13 décembre 2018 et le 30 mai 2020 étaient justifiées au regard des nombreux incidents d'une particulière gravité ayant émaillé le séjour de M. B... qui se sont succédés sans interruption dans une période proche de celle des fouilles litigieuses et qui étaient susceptibles de mettre en danger la sécurité des agents pénitentiaires, des autres détenus et de l'intéressé lui-même.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que les quatorze fouilles intégrales entreprises par les agents de l'administration pénitentiaire sur la personne de M. B... étaient justifiées. Compte tenu de ces circonstances, dès lors qu'il n'est pas établi que des fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique auraient été suffisantes, ces fouilles apparaissaient nécessaires et proportionnées. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'application de ces mesures a été constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard.

10. résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 9 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 2 mai 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 30 mai 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 471272
Date de la décision : 30/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2024, n° 471272
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471272.20240530
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