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28/05/2024 | FRANCE | N°476426

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 28 mai 2024, 476426


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés les 28 juillet 2023, 30 octobre 2023 et 11 mars 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, d'annuler la décision n° CS 2023-24 du 6 juillet 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD relaxant M. B... A... des poursuites engagées par l'AFLD et de prononcer à l'encontre de M. A... les mesures de sus

pension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 du code du sport pour une duré...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés les 28 juillet 2023, 30 octobre 2023 et 11 mars 2024 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler la décision n° CS 2023-24 du 6 juillet 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD relaxant M. B... A... des poursuites engagées par l'AFLD et de prononcer à l'encontre de M. A... les mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 du code du sport pour une durée de deux ans, ainsi que l'annulation de ses résultats individuels ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer toute autre sanction ;

3°) d'ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site de l'AFLD pendant la durée de la suspension ;

4°) de condamner M. A... à verser à l'AFLD la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du sport ;

- la délibération n° 2021-26 du 27 mai 2021 de l'Agence française de lutte contre le dopage relative aux obligations de localisation des sportifs mentionnés à l'article L. 232-15 du code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'agence française de lutte contre le dopage, et à la SCP Boucard-Maman, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a, par une décision du 6 juillet 2023, relaxé M. A... des poursuites engagées contre lui par le collège de l'AFLD pour la combinaison, au cours d'une période continue de douze mois, de trois manquements à ses obligations de localisation. La présidente de l'AFLD demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision et de prononcer à l'encontre de M. A... les mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 du code du sport pour une durée de deux ans, ainsi que l'annulation de ses résultats individuels.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes du I de l'article L. 232-5 du code du sport : " L'Agence française de lutte contre le dopage, autorité publique indépendante, définit et met en oeuvre les actions de lutte contre le dopage. (...). / A cet effet : (...) 2° Elle diligente les contrôles dans les conditions prévues au présent chapitre (...) ; 3° Elle effectue des enquêtes et recueille des renseignements afin de procéder à des contrôles ciblés ou de rechercher ou constater les violations des règles relatives à la lutte contre le dopage définies aux articles L. 232-9, L. 232-9-1, L. 232-9-2, L. 232-9-3, L. 232-10, L. 232-10-3, L. 232-10-4 et L. 232-17, ainsi que les manquements mentionnés à l'article L. 232-9-3 (...) ". Aux termes de l'article L. 232-15 du même code : " I. Sont tenus de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation permettant la réalisation de contrôles mentionnés à l'article L. 232-5 les sportifs, constituant le groupe cible, désignés pour une année par l'Agence française de lutte contre le dopage parmi : 1° Les sportifs inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau, des sportifs Espoirs ou des Collectifs nationaux au sens du présent code, ou les sportifs ayant été inscrits sur une de ces listes durant tout ou partie des trois dernières années (...) / Les conditions dans lesquelles les sportifs doivent satisfaire aux obligations prévues au présent article et les manquements à ces obligations sont définis par délibération de l'Agence française de lutte contre le dopage ". En vertu de l'article L. 232-9-3 du même code, toute combinaison de trois manquements aux obligations de localisation prévues par l'article L. 232-15 au cours d'une période continue de douze mois est passible des sanctions administratives prévues par les articles L. 232-21-1 à L. 232-23-3-12.

3. Aux termes de l'article 5 de la délibération de l'AFLD n° 2021-26 du 27 mai 2021 relative aux obligations de localisation des sportifs mentionnés à l'article L. 232-15 du code du sport : " Tout sportif inclus dans le groupe cible est tenu de fournir des renseignements précis, complets et actualisés sur sa localisation, comprenant au moins les informations suivantes : / - Une adresse postale complète et une adresse électronique auxquelles peuvent lui être adressées toutes les correspondances de l'agence relatives à ses obligations de localisation ; / - Pour chaque jour du trimestre à venir : / ' l'adresse complète du lieu où le sportif passera la nuit ; / ' un créneau horaire d'une heure, entre 6 heures et 23 heures, durant lequel le sportif est disponible et accessible pour un contrôle, ainsi qu'une adresse permettant sa réalisation conformément à l'article L. 232-13-1 du code du sport ; / ' le nom et l'adresse de chaque lieu où le sportif s'entrainera, travaillera ou effectuera toute autre activité régulière, ainsi que les horaires habituels de ces activités régulières ; (...) ". L'article 7 de cette délibération dispose qu'il " incombe au sportif de veiller à fournir tous les renseignements requis dans les informations sur sa localisation (...) de manière exacte et avec suffisamment de détails pour permettre à toute organisation antidopage qui le souhaite de le localiser en vue d'un contrôle, quel que soit le jour donné durant le trimestre, aux heures et aux lieux indiqués par le sportif dans les informations sur sa localisation pour le jour en question, y compris, mais sans s'y limiter, durant le créneau d'une heure indiqué pour le jour en question. / Plus précisément, le sportif doit fournir suffisamment de renseignements pour permettre à la personne chargée du contrôle de trouver le lieu, d'y accéder et d'y trouver le sportif sans préavis donné à ce dernier. Un manquement à cette obligation peut constituer un manquement à l'obligation de transmettre des informations (...) ". L'article 8 de cette délibération dispose que " Pour transmettre les informations permettant sa localisation, le sportif, son représentant légal ou la ou les personnes investies de l'autorité parentale saisissent les données en ligne via le module de gestion des informations de localisation des sportifs (...) ". L'article 10 de cette délibération dispose que " Lorsque, à la suite d'un changement de circonstances, les informations sur la localisation ne sont plus exactes ou complètes, le sportif doit les actualiser, en particulier les changements portant (...) sur le lieu où il passe la nuit. / Toute modification apportée aux informations déclarées devra être effectuée dès que possible après le changement de circonstances et, dans tous les cas, avant le créneau de soixante minutes déclaré pour le jour en question. Pour ce faire, le sportif doit actualiser en ligne les renseignements le concernant au moyen du logiciel mentionné à l'article 8. / Un manquement à cette obligation peut constituer un manquement à l'obligation de transmettre des informations (...). / En cas de circonstances exceptionnelles ne lui ayant pas permis d'actualiser en ligne les renseignements le concernant, le sportif peut actualiser ses informations de localisation par courrier électronique ou, si cela n'est pas possible, par téléphone, aux adresses électroniques et numéros de téléphone qui lui ont été indiqués à l'occasion de son inclusion dans le groupe cible ". Enfin, l'article 11 de cette délibération dispose que " Les manquements aux obligations de localisation des sportifs appartenant au groupe cible de l'agence sont : / a) Le manquement à l'obligation de transmettre des informations de localisation (...), par un sportif ou le tiers auquel il a délégué cette tâche dans les conditions prévues à l'article 8 de la présente délibération, de transmettre des indications exactes, précises et complètes permettant de localiser le sportif, pour un contrôle aux heures et aux lieux mentionnés dans les informations de localisation, ou d'actualiser le plus tôt possible ces dernières de sorte qu'elles restent exactes, précises et complètes conformément aux articles 5, 6 et 7 de la présente délibération (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de changement de circonstances, les informations de localisation exigées doivent, sauf à ce que le sportif établisse, en l'absence de toute négligence de sa part, l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de les communiquer, être actualisées dès que possible après le changement de circonstances et, dans tous les cas, avant le créneau de soixante minutes déclaré pour le jour en question, dans le module de gestion des informations de localisation des sportifs ou, en cas de circonstances exceptionnelles, transmises par un autre moyen de communication.

Sur le litige :

4. Il résulte de l'instruction que l'AFLD a engagé des poursuites à l'encontre de M. A..., inscrit dans le groupe cible des sportifs tenus, en application de l'article L. 232-15 du code du sport, de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation afin de permettre la réalisation par l'agence de contrôles mentionnés à l'article L. 232-5 de ce code, au motif qu'il avait commis trois manquements à ses obligations en matière d'information de localisation dans une période continue de 12 mois, le premier en ne communiquant pas dans les délais ses informations de localisation pour le deuxième trimestre 2022, le deuxième en ayant manqué un contrôle le 8 mai 2022 et le troisième en fournissant des informations de localisation inexactes pour la journée du 16 juin 2022 et en modifiant tardivement les informations pour la journée du 17 juin 2022.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que M. A..., qui était présent à Paris les 15, 16, 17 et 18 juin 2022, avait indiqué dans le logiciel ADAMS, qui constitue le module de gestion des informations de localisation des sportifs, qu'il séjournerait le 15 juin à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) à Paris, le 16 juin à son domicile aux Etats-Unis et les 17 et 18 juin dans un hôtel à Paris.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu' en se fondant sur la circonstance que l'erreur affectant les informations de localisation fournies par M. A... pour la journée du 16 juin 2022, qui le situaient à son domicile aux Etats-Unis alors qu'il était à Paris, résultait d'une mauvaise manipulation du logiciel ADAMS, pour estimer que cette erreur ne saurait caractériser l'existence d'un manquement, alors que l'intéressé n'établit pas avoir été dans l'impossibilité de transmettre des informations complètes et exactes pour cette journée, la commission des sanctions a commis une erreur de droit.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. A... n'a modifié ses informations de localisation pour les journées des 17 et 18 juin 2022, qui le situaient initialement aux Etats-Unis, que le 17 juin 2022 à 1 h 16 du matin, alors qu'il savait depuis plusieurs jours dans quel hôtel il séjournerait. Dans ces conditions, il lui appartenait, alors même qu'il n'a connu son numéro de chambre d'hôtel que tardivement, d'indiquer sa présence dans cet hôtel à ces dates à compter du moment où il a su qu'il y serait hébergé. Par suite, en estimant qu'il n'était pas établi que M. A... aurait été en mesure de modifier sensiblement plus tôt ses informations de localisation et en se fondant sur cette circonstance, ainsi que sur celles mentionnées au point 6, pour considérer que le troisième manquement visé par les poursuites engagées par l'Agence n'était pas constitué, et en en déduisant qu'aucune sanction ne pouvait être prise à son encontre en application de l'article L. 232-9-3 du code du sport, la commission des sanctions a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

8. Dans ces conditions, il y a lieu d'annuler la décision de la commission des sanctions de l'AFLD et de lui renvoyer l'affaire afin qu'elle apprécie s'il y a lieu, après examen des autres manquements pour lesquels l'Agence a engagé des poursuites, d'infliger à l'intéressé une sanction à raison des faits qui lui sont reprochés.

9. En application de l'article L. 232-23-6 du code du sport, la présente décision doit être publiée sur le site internet de l'AFLD, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à 15 jours à compter de sa notification.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AFLD, qui n'est pas la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 6 juillet 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la commission des sanctions de l'AFLD.

Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'AFLD.

Article 4 : M. A... versera à l'AFLD la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'Agence française de lutte contre le dopage et à M. B... A.... Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat ; M. Julien Eche, maître des requêtes et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 28 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Jérôme Goldenberg

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 476426
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 mai. 2024, n° 476426
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Goldenberg
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX ; SCP BOUCARD-MAMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:476426.20240528
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