La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/05/2024 | FRANCE | N°474617

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28 mai 2024, 474617


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 30 mai et 30 novembre 2023 et les 26 janvier et 25 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... D... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 30 mars 2023 par lequel le président de CY Cergy Paris Université a prononcé à son encontre une mesure de suspension de fonctions d'une durée maximale de quatre mois à titre conservatoire à compter du

30 mars 2023, sans privation de traitement, et, d'autre part, la décision révélée par un...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 30 mai et 30 novembre 2023 et les 26 janvier et 25 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 30 mars 2023 par lequel le président de CY Cergy Paris Université a prononcé à son encontre une mesure de suspension de fonctions d'une durée maximale de quatre mois à titre conservatoire à compter du 30 mars 2023, sans privation de traitement, et, d'autre part, la décision révélée par un courrier du 30 mars 2023 du président de CY Cergy Paris Université lui interdisant d'accéder aux locaux de l'université pendant cette même période ;

2°) d'enjoindre au président de CY Cergy Paris Université de la rétablir dans ses fonctions dans un délai de sept jours ;

3°) de mettre à la charge de CY Cergy Paris Université et de l'Etat la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

-l'arrêté du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 mai 2024, présentée par Mme D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, par un arrêté du 30 mars 2023, le président de CY Cergy Paris Université a suspendu à titre conservatoire pour une durée maximale de quatre mois, sans privation de traitement, Mme D..., professeure des universités enseignant au sein de cet établissement, après avoir engagé à son encontre une procédure disciplinaire, au motif d'un comportement contraire à la déontologie et de faits de harcèlement moral responsables d'une dégradation des conditions de travail et que, d'autre part, par un courrier notifiant la mesure de suspension, également en date du 30 mars 2023, le président de CY Cergy Paris Université a informé Mme D... de ce qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accès aux locaux de l'université pendant la période de suspension. Mme D... demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 mars 2023 et de la décision qui serait révélée par le courrier de la même date.

Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de suspension :

2. Aux termes de l'article L. 951-4 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut prononcer la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur pour un temps qui n'excède pas un an, sans privation de traitement. "

3. La mesure de suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur, prise sur le fondement de ces dispositions, revêt un caractère conservatoire et vise à préserver l'intérêt du service public universitaire. Elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l'intéressé au sein de l'établissement universitaire où il exerce ses fonctions présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours. En l'absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction.

4. Une telle mesure a pour effet de suspendre l'exercice par l'intéressé de ses fonctions au sein de l'établissement, en particulier ses activités d'enseignement et de recherche. Elle emporte nécessairement la suspension du droit, attaché à l'exercice des fonctions, d'accéder aux locaux de l'établissement. En revanche, elle est en principe sans effet sur l'exercice d'un mandat électif attaché à la qualité de membre du personnel de l'enseignement supérieur.

5. En outre, eu égard à la nature de l'acte de suspension prévu par les dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère grave et vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte. L'administration est en revanche tenue d'abroger la décision en cause si de tels éléments font apparaître que la condition tenant à la vraisemblance des faits à l'origine de la mesure n'est plus satisfaite.

6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation que l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, devenu l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, relatif à la suspension des fonctionnaires, n'est pas applicable aux professeurs des universités.

7. Dans ses écritures qui ont été communiquées à la requérante, la ministre chargée de l'enseignement supérieur, au nom de laquelle le président de CY Cergy Université, sur le fondement de l'article 2 de l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, pris en application de l'article L. 951-3 du code de l'éducation, a édicté la décision attaquée, demande que soient substituées, comme base légale de l'arrêté attaqué, aux dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, inapplicables en l'espèce, celles de l'article L. 951-4 du code de l'éducation. Il y a lieu, dès lors que la substitution de base légale sollicitée ne prive Mme D... d'aucune garantie, celle-ci ayant au demeurant pris acte de cette demande de substitution de base légale, d'accueillir la demande ainsi présentée.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que plusieurs témoignages concordants émanant de doctorants, dont Mme D... dirigeait la thèse, imputaient à cette dernière des propos déplacés, des agissements humiliants et des sollicitations abusives à leur égard, ce comportement ayant causé une dégradation manifeste du climat de travail de sorte que, même si la matérialité de ces faits est contestée par Mme D..., le président de CY Cergy Paris Université a pu, en l'état des éléments portés alors à sa connaissance, estimer que les faits imputés à Mme D... revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite de ses activités au sein de l'université présentait, en l'espèce, des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation.

9. Toutefois, en troisième lieu, cette décision prise le 30 mars 2023 et notifiée le même jour, ne pouvait entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle a pris fin le congé de maladie dont bénéficiait Mme D.... Or, il ressort de l'article 1er de l'arrêté du 30 mars 2023 que la suspension a pris effet à cette même date alors que Mme D... était en congé de maladie jusqu'au 31 mars 2023. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté de suspension est entaché d'illégalité dans cette mesure.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de suspension du 30 mars 2023 qu'en tant qu'il produit effet du 30 au 31 mars 2023.

Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'interdiction d'accéder aux locaux de l'université qui serait révélée par le courrier du 30 mars 2023 :

11. Ainsi qu'il a été dit au point 4, une mesure de suspension prise sur le fondement de l'article L. 951-4 du code de l'éducation emporte par elle-même suspension du droit attaché aux fonctions d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur d'accéder aux locaux de l'université pendant la durée de la suspension.

12. Si, par le courrier attaqué du 30 mars 2023 le président de CY Cergy Paris Université a indiqué à Mme D... de ce qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accès aux locaux de l'université pendant la période de suspension, le président de l'université n'a pas pris, ce faisant, de mesure d'interdiction d'accès aux locaux de l'université pour cause de désordre sur le fondement de l'article R. 712-8 du code de l'éducation, mais s'est borné à informer l'intéressée des effets attachés à la mesure de suspension qui avait été prise à son encontre sur le fondement de l'article L. 951-4. En délivrant cette information, le président n'a pas pris de décision susceptible de faire, en elle-même, l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

13. Il suit de là que la ministre chargée de l'enseignement supérieur est fondée à soutenir que les conclusions de la requête dirigées contre une décision d'interdiction d'accès aux et locaux de l'université pendant la période de la suspension qui aurait été prise distinctement de la mesure de suspension et qui aurait été révélée par le courrier du 30 mars 2023 notifiant la mesure de suspension ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. La mesure de suspension n'étant annulée par la présente décision qu'en tant qu'elle produit effet du 30 au 31 mars 2023, il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat de prononcer une injonction.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme D... qui, pour l'essentiel, est la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu, en tout état de cause, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par CY Cergy Paris Université

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 30 mars 2023 du président de CY Cergy Paris Université est annulé en tant qu'il produit effet du 30 au 31 mars 2023.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de CY Cergy Paris Université présentées au titre de l'article L. 761-1. du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... D..., à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et à CY Cergy Paris Université.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat et Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Fraval

Le secrétaire :

Signé : M. Christophe Bouba


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 474617
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE - QUESTIONS PROPRES AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ENSEIGNEMENT - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET GRANDES ÉCOLES - UNIVERSITÉS - GESTION DES UNIVERSITÉS - GESTION DU PERSONNEL - STATUTS ET PRÉROGATIVES DES ENSEIGNANTS - SUSPENSION D'UN MEMBRE DU PERSONNEL DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ART - L - 951-4 DU CODE DE L'ÉDUCATION) – EFFETS – SUSPENSION DU DROIT D’ACCÈS AUX LOCAUX [RJ1] – CONSÉQUENCE – IRRECEVABILITÉ DES CONCLUSIONS DIRIGÉES CONTRE UNE PRÉTENDUE DÉCISION DISTINCTE D’INTERDICTION D’ACCÈS AUX LOCAUX.

30-02-05-01-06-01-045 Une mesure de suspension prise sur le fondement de l’article L. 951-4 du code de l’éducation emportant par elle-même suspension du droit attaché aux fonctions d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur d’accéder aux enceintes et locaux de l’université pendant la durée de la suspension, un courrier du président d’université indiquant à un professeur des universités qu’il fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accès aux locaux de l’université pendant sa période de suspension ne constitue pas une mesure d’interdiction d’accès aux locaux de l’université pour cause de désordre sur le fondement de l’article R. 712-8 du code de l’éducation, mais se borne à informer l’intéressé des effets attachés à la mesure de suspension prise à son encontre sur le fondement de l’article L. 951-4. Une telle information ne constitue pas une décision susceptible de faire, en elle-même, l’objet d’un recours pour excès de pouvoir....Il suit de là que les conclusions dirigées contre une décision d’interdiction d’accès aux enceintes et locaux de l’université pendant la période de la suspension qui aurait été prise distinctement de la mesure de suspension sont irrecevables.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉCISIONS POUVANT OU NON FAIRE L'OBJET D'UN RECOURS - ACTES NE CONSTITUANT PAS DES DÉCISIONS SUSCEPTIBLES DE RECOURS - ACTES DÉCLARATIFS - COURRIER INFORMANT UN MEMBRE DU PERSONNEL DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - SUSPENDU SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE L - 951-1 DU CODE DE L’ÉDUCATION - DE LA SUSPENSION DE SON DROIT D’ACCÈS AUX LOCAUX DE L’UNIVERSITÉ.

54-01-01-02-05 Une mesure de suspension prise sur le fondement de l’article L. 951-4 du code de l’éducation emportant par elle-même suspension du droit attaché aux fonctions d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur d’accéder aux enceintes et locaux de l’université pendant la durée de la suspension, un courrier du président d’université indiquant à un professeur des universités qu’il fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accès aux locaux de l’université pendant sa période de suspension ne constitue pas une mesure d’interdiction d’accès aux locaux de l’université pour cause de désordre sur le fondement de l’article R. 712-8 du code de l’éducation, mais se borne à informer l’intéressé des effets attachés à la mesure de suspension prise à son encontre sur le fondement de l’article L. 951-4. Une telle information ne constitue pas une décision susceptible de faire, en elle-même, l’objet d’un recours pour excès de pouvoir....Il suit de là que les conclusions dirigées contre une décision d’interdiction d’accès aux enceintes et locaux de l’université pendant la période de la suspension qui aurait été prise distinctement de la mesure de suspension sont irrecevables.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 mai. 2024, n° 474617
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474617.20240528
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award