Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 7 juillet 2023 et le 19 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) Campus (Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Occitanie), l'Association pour le développement de l'apprentissage dans l'industrie en Aquitaine (CFAI d'Aquitaine), le Centre de formation d'apprentis de l'industrie de Champagne-Ardenne (CFAI de Champagne-Ardenne), l'Association gestionnaire de la formation dans les industries de Savoie (CFAI de Savoie), l'association Ployvia Formation (CFA Polyvia Formation) et l'Association pour la formation professionnelle dans les industries de l'ameublement Est-Nord (AFPIA Est-Nord) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Première ministre sur leur demande, adressée le 7 mars 2023, tendant à ce que soit pris un décret fixant les critères et les montants de la modulation des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage fixés par les branches lorsqu'il existe d'autres sources de financement public, pour l'application des dispositions du 1° du I de l'article L. 6332-14 du code du travail ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre de prendre ce décret dans un délai de trois mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- le décret n° 2018-1345 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2020-1450 du 26 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 6221-1 du code du travail prévoit qu'un contrat d'apprentissage est conclu par tout apprenti ou son représentant légal avec un employeur, par lequel ce dernier s'engage à lui assurer, outre le versement d'un salaire, une formation professionnelle complète, dispensée pour partie en entreprise et pour partie en centre de formation d'apprentis ou section d'apprentissage. En vertu du 1° du I de l'article L. 6332-14 du code du travail, les opérateurs de compétences prennent en charge " les contrats d'apprentissage (...) au niveau de prise en charge fixé par les branches (...). Ce niveau est déterminé pour les contrats d'apprentissage en fonction du domaine d'activité du titre ou du diplôme visé. Ces niveaux de prise en charge prennent en compte les recommandations de France compétences mentionnées au 10° de l'article L. 6123-5 en matière d'observation des coûts et de niveaux de prise en charge. Les niveaux de prise en charge fixés par les branches peuvent faire l'objet de modulations en fonction de critères et selon un montant déterminés par décret, en particulier lorsque le salarié est reconnu travailleur handicapé ou lorsqu'il existe d'autres sources de financement public (...) ". L'article D. 6332-78 du même code prévoit que le niveau de prise en charge du contrat d'apprentissage, qui permet le financement des centres de formation d'apprentis par les opérateurs de compétences, comprend les charges de gestion administrative et les charges de production relatives à la conception et à la réalisation des enseignements ainsi qu'à l'évaluation des compétences acquises par les apprentis, à la réalisation des missions d'accompagnement et de promotion de la mixité et au déploiement d'une démarche qualité. L'article D. 6332-82 de ce code, créé par le décret du 28 décembre 2018 relatif aux modalités de détermination des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, prévoit par ailleurs, dans sa rédaction issue du décret du 26 novembre 2020 relatif à la majoration du niveau de prise en charge des contrats d'apprentissage pour les apprentis reconnus travailleurs handicapés, que l'opérateur de compétences majore le niveau de prise en charge, en application du 1° du I de l'article L. 6332-14, pour l'accueil d'un apprenti reconnu travailleur handicapé par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, en appliquant une majoration dans la limite d'un montant de 4 000 euros. L'UNICEM Campus et d'autres requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande, adressée le 7 mars 2023 à la Première ministre, tendant à ce que soit pris, pour l'application des dispositions du 1° du I de l'article L. 6332-14 du code du travail, un décret fixant les critères et les montants de la modulation des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage fixés par les branches lorsqu'il existe d'autres sources de financement public.
2. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par son article 13. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle.
3. En premier lieu, il résulte des dispositions du 1° du I de l'article L. 6332-14 du code du travail citées au point 1, éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel dont elles sont issues, que le législateur a entendu confier au pouvoir réglementaire la détermination des critères et montants selon lesquels les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage fixés par les branches peuvent faire l'objet de modulations. Le pouvoir réglementaire a défini, par les dispositions de l'article D. 6332-82 du code du travail mentionnées au point 1, un critère de modulation des niveaux de prise en charge fondé sur la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé de l'apprenti accueilli, ainsi que le montant maximum de la majoration pouvant être appliqué à ce titre. Si la loi lui ouvrait la possibilité de prévoir une telle modulation lorsqu'il existe d'autres sources de financement public, elle ne le lui imposait pas, contrairement à ce qui est soutenu. L'UNICEM Campus et autres ne sont dès lors pas fondés à soutenir que l'intervention du décret demandé serait nécessaire à l'application de cette disposition législative.
4. En second lieu, si l'UNICEM Campus et autres soutiennent que les centres de formation d'apprentis disposant d'autres sources de financement public bénéficieraient d'une compensation excédant ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts afférents à la mise en œuvre de leur mission de formation des apprentis, en méconnaissance des stipulations de l'article 107 paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif aux aides d'Etat, la carence alléguée du pouvoir réglementaire à adopter le décret demandé ne saurait avoir eu, par elle-même, pour effet d'instituer un régime d'aide d'Etat au profit des centres de formations d'apprentis bénéficiant de subventions publiques.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l'UNICEM Campus et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'UNICEM Campus et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction Campus, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Jean-Dominique Langlais, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 24 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber