Vu la procédure suivante :
La société anonyme gardéenne d'économie mixte (SAGEM) a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Saint-Tropez à lui verser les sommes hors taxes (HT) de 48 804 000 euros au titre de son manque à gagner, de 6 250 000 euros au titre de sa perte d'industrie, de 50 000 euros au titre de son préjudice d'image et de 97 450 euros au titre du coût de la constitution de son offre, en réparation du dommage causé par son éviction de la procédure d'attribution d'une concession d'aménagement, pour laquelle la commune avait confié à la société Services Conseil Expertises Territoires (SCET) une mission de conducteur d'opération. Par un jugement n° 1601998 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Saint-Tropez à verser à la SAGEM la somme de 97 450 euros HT et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un arrêt avant dire droit n° 21MA00626 du 3 avril 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la SAGEM, notamment, annulé l'article 3 de ce jugement rejetant le surplus de sa demande, puis, statuant par la voie de l'évocation, déclaré la commune de Saint-Tropez responsable du préjudice correspondant au manque à gagner qu'elle a subi du fait de son éviction et ordonné une expertise en vue de son évaluation.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 5 juin, 30 août, 13 novembre et 6 décembre 2023 et 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Tropez demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la SAGEM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la commune de Saint-tropez, à la SCP Richard, avocat de la société gardéenne d'économie mixte (SAGEM), à la société Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Services Expertise et à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Kaufman et Broad provence ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 23 décembre 2010, la commune de Saint-Tropez a lancé une procédure de consultation en vue de la passation d'une concession d'aménagement. Elle a confié à la société Services Conseil Expertises Territoires (SCET) une mission de conducteur d'opération. Le 22 août 2011, le contrat de concession a été signé avec la société Kaufman et Broad Provence. Par une décision n° 413584 du 15 mars 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi par la société gardéenne d'économie mixte (SAGEM), a prononcé l'annulation de ce contrat. La SAGEM a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de la commune à l'indemniser, à hauteur de 55 201 450 euros HT, du préjudice résultant de son éviction. Par un jugement du 30 décembre 2020, ce tribunal a condamné la commune de Saint-Tropez à lui verser une somme de 97 450 euros au titre de l'indemnisation des frais de présentation de son offre et rejeté le surplus des conclusions des parties. Par un arrêt avant dire droit du 3 avril 2023, contre lequel la commune de Saint-Tropez se pourvoit en cassation en tant qu'il lui fait grief, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la SAGEM, notamment annulé l'article 3 de ce jugement rejetant le surplus de sa demande, puis, statuant par la voie de l'évocation, déclaré la commune de Saint-Tropez responsable du préjudice correspondant au manque à gagner qu'elle a subi du fait de son éviction et ordonné une expertise sur l'évaluation de ce préjudice.
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la commune requérante, il résulte de l'article 8 du dispositif de l'arrêt avant dire droit attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas omis de statuer sur ses conclusions appelant en garantie la société SCET par la voie de l'appel provoqué, mais qu'elle les a réservées.
3. En second lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la SAGEM avait perdu du fait des irrégularités commises lors de l'attribution de la convention une chance sérieuse de l'obtenir, la cour administrative d'appel de Marseille s'est bornée à relever que, sur plusieurs critères, son offre avait été sous-évaluée ou mal évaluée, sans rechercher si, sans ces irrégularités, cette offre aurait été mieux classée que celles des autres candidats et si la SAGEM avait ainsi des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats. Par suite, la commune de Saint-Tropez est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Saint-Tropez est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il la déclare responsable du préjudice correspondant au manque à gagner qu'aurait subi la SAGEM du fait de son éviction. Par voie de conséquence, il y a également lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant, d'une part, qu'il rejette corrélativement la demande de cette société tendant à l'indemnisation de ses frais de soumissionnement, qui n'a été rejetée que parce que cette indemnisation est incluse dans celle du manque à gagner, et, d'autre part, qu'il ordonne une expertise sur l'évaluation du préjudice correspondant au manque à gagner qu'aurait subi la SAGEM, dès lors qu'elle est privée de toute utilité compte tenu du motif de cassation retenu.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAGEM la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Saint Tropez au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Tropez, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 5 à 7 de l'arrêt du 3 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille, ainsi que son article 4 en tant qu'il rejette la demande de la SAGEM tendant à l'indemnisation de ses frais de soumissionnement, sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La SAGEM versera à la commune de Saint-Tropez une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la SAGEM au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Tropez et à la société gardéenne d'économie mixte.
Copie en sera adressée à la société Services Conseil Expertises Territoires et à la société Kaufman et Broad Real Estate.