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17/05/2024 | FRANCE | N°466568

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 17 mai 2024, 466568


Vu la procédure suivante :



Par une décision du 5 avril 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société SMA Energie dirigées contre l'arrêt du 8 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a statué sur l'appel principal formé par la société Electricité de France (EDF), tendant à ce que la cour annule le jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 juillet 2019, qu'elle annule les stipulations de l'article 5 des conditions particulières complétant les c

onditions générales BGM6-V01 du contrat d'achat de l'énergie électrique pr...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 5 avril 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société SMA Energie dirigées contre l'arrêt du 8 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a statué sur l'appel principal formé par la société Electricité de France (EDF), tendant à ce que la cour annule le jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 juillet 2019, qu'elle annule les stipulations de l'article 5 des conditions particulières complétant les conditions générales BGM6-V01 du contrat d'achat de l'énergie électrique produite par les installations valorisant le biogaz conclu avec la société SMA Energie en tant qu'elles prévoient le versement de la prime à la méthanisation ou, à défaut, qu'elle juge que la société SMA Energie s'est livrée à des manœuvres frauduleuses dans la détermination du prix du contrat, et à ce qu'elle condamne la société SMA Energie à lui restituer la somme de 715 593,43 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2015, outre la capitalisation de ces intérêts à compter du 30 juillet 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la société SMA Energie et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société EDF ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SMA Energie a conclu avec la société Electricité de France (EDF), le 23 avril 2010, un contrat d'achat de l'électricité produite à partir du biogaz généré par l'installation de stockage de déchets non dangereux qu'elle exploite sur le site de La Vautubière à La Fare-les-Oliviers (Bouches-du-Rhône). Par un jugement du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société EDF tendant à ce qu'il annule, comme contraires à l'ordre public, les stipulations de l'article 5 des conditions particulières de ce contrat, en tant qu'elles prévoient le versement de la prime à la méthanisation, et à ce qu'il condamne la société SMA Energie à lui restituer la somme de 715 593,43 euros, augmentée des intérêts au taux légal, avec capitalisation de ces intérêts. Par un arrêt du 8 juin 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement, fait droit à la demande de la société EDF et rejeté les conclusions incidentes de la société SMA Energie. Par une décision du 5 avril 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société SMA dirigées contre cet arrêt en tant qu'il statue sur l'appel principal formé par la société EDF.

2. Aux termes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dans sa rédaction applicable à la date de conclusion du contrat liant les sociétés SMA Energie et EDF : " Sous réserve de la nécessité de préserver le fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 (...) sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : / 1° Les installations qui valorisent des déchets ménagers ou assimilés (...) ; / 2° Les installations qui utilisent des énergies renouvelables (...) / (...) Un décret précise les obligations qui s'imposent aux producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat, ainsi que les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité ainsi produite ". Aux termes de l'article 5 du décret du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat : " Les relations entre le producteur et l'acheteur font l'objet d'un contrat d'achat de l'électricité établi conformément au présent décret et à l'arrêté correspondant à la filière concernée, pris en application de l'article 8 du présent décret ". Aux termes de l'article 8 du même décret : " Des arrêtés des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, (...) fixent les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations bénéficiant de l'obligation d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée. Ces conditions d'achat précisent notamment : / 1° En tant que de besoin, les conditions relatives à la fourniture de l'électricité par le producteur ; / 2° Les tarifs d'achat de l'électricité ; / 3° La durée du contrat. (...) ".

3. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz : " Le présent arrêté fixe les conditions d'achat de l'électricité produite par : / 1° Les installations qui utilisent, à titre principal, l'énergie dégagée par la combustion ou l'explosion de gaz résultant de la décomposition ou de la fermentation de produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture (...), de la sylviculture et des industries connexes (...) ou du traitement des eaux (...) / ; 2° Les installations qui valorisent, en utilisant le biogaz, des déchets ménagers ou assimilés (...) mentionnées au 1° de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 (...) ". Aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Si la demande complète de contrat d'achat est effectuée après le 31 décembre 2006, les tarifs applicables sont ceux de l'annexe du présent arrêté indexés au 1er janvier de l'année de la demande (...) ". Aux termes de l'annexe à cet arrêté : " (...) Le tarif applicable à l'énergie fournie est égal à : T + M + PM, formule dans laquelle : / (...) 3° PM est la prime à la méthanisation égale à 2 cEUR/kWh, appliquée aux installations citées à l'article 1er, à l'exception des installations de stockage de déchets non dangereux ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le contrat d'achat de l'électricité produite par une installation bénéficiant de l'obligation d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 doit être établi conformément au décret du 10 mai 2001 et à l'arrêté interministériel correspondant à la filière concernée qui fixe, en particulier, les tarifs d'achat de l'électricité. Il découle de l'économie générale des dispositions régissant ce contrat d'achat que les parties à un tel contrat ne peuvent contractuellement déroger aux tarifs d'achat fixés par ces arrêtés.

5. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'annexe à l'arrêté du

10 juillet 2006 citées au point 3, ainsi que la cour administrative d'appel de Marseille l'a jugé, que les installations de stockage de déchets non dangereux, comme celle en litige, ne peuvent bénéficier de la prime à la méthanisation prévue par les dispositions tarifaires de cette annexe. Le moyen tiré de l'erreur de droit qui aurait été commise sur ce point par la cour doit donc être écarté.

6. En deuxième lieu, d'une part, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. D'autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

7. Dans le cas où l'irrégularité constatée n'affecte que des clauses divisibles du contrat, le juge, saisi d'un recours contestant la validité du contrat, peut prononcer, s'il y a lieu, la résiliation ou l'annulation de ces seules clauses. De même, le juge, saisi d'un litige relatif à l'exécution du contrat, peut, le cas échéant, régler le litige sur le terrain contractuel en écartant l'application de ces seules clauses.

8. Ainsi qu'il a été dit au point 4, les parties à un contrat d'achat d'électricité comme celui en cause dans le présent litige ne peuvent contractuellement déroger aux tarifs d'achat fixés par l'arrêté interministériel, pris sur le fondement du décret du 10 mai 2001, correspondant à la filière de production électrique concernée. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que les stipulations de l'article 5 du contrat conclu entre les sociétés SMA Energie et EDF revêtaient ainsi un caractère illicite en tant qu'elles prévoient le versement de la prime à la méthanisation, qui ne pouvait être légalement versée en l'espèce en application de l'arrêté du 10 juillet 2006. Par des motifs non contestés en cassation, la cour a retenu que cette clause était divisible des autres stipulations du contrat et a entendu prononcer son annulation. En statuant ainsi, la cour, qui a nécessairement jugé qu'il ne pouvait être fait application de cette clause contractuelle, n'a pas commis d'erreur de droit ni insuffisamment motivé son arrêt.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". En jugeant que l'action en restitution intentée par la société EDF n'était pas prescrite, au motif que celle-ci devait être regardée comme ignorant légitimement l'existence de sa créance jusqu'au jour où le juge du contrat prononce, dans l'exercice de son office rappelé aux points 6 et 7, l'annulation de la clause litigieuse, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société SMA Energie n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société SMA Energie la somme de 3 000 euros à verser à ce titre à la société EDF.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société SMA Energie est rejeté.

Article 2 : La société SMA Energie versera la somme de 3 000 euros à la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société SMA Energie et à la société Electricité de France.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge , conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 17 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Martin de Lagarde

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466568
Date de la décision : 17/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

39-04-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. - FIN DES CONTRATS. - NULLITÉ. - 1) RECOURS EN VALIDITÉ OU LITIGE D’EXÉCUTION FORMÉ PAR UNE PARTIE – OFFICE DU JUGE DE PLEIN CONTENTIEUX– IRRÉGULARITÉ TENANT AU CARACTÈRE ILLICITE OU VICE D’UNE PARTICULIÈRE GRAVITÉ [RJ1] – CAS OÙ L’IRRÉGULARITÉ PORTE SUR DES CLAUSES DIVISIBLES [RJ2] – 2) ACTION EN RESTITUTION – PRESCRIPTION – POINT DE DÉPART.

39-04-01 D’une part, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. D’autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel....1) Dans le cas où l’irrégularité constatée n’affecte que des clauses divisibles du contrat, le juge, saisi d’un recours contestant la validité du contrat, peut prononcer, s’il y a lieu, la résiliation ou l’annulation de ces seules clauses. De même, le juge, saisi d’un litige relatif à l’exécution du contrat, peut, le cas échéant, régler le litige sur le terrain contractuel en écartant l'application de ces seules clauses....2) Il résulte de l’article 2224 du code civil que la prescription de l’action en restitution intentée par une partie à un contrat administratif comportant des irrégularités justifiant son annulation ne commence à courir qu’à compter du jour où le juge prononce, dans l’exercice de son office rappelé ci-dessus, l’annulation de ce contrat ou d’une clause divisible de ce contrat.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 2024, n° 466568
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Martin de Lagarde
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466568.20240517
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