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14/05/2024 | FRANCE | N°459967

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 14 mai 2024, 459967


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés le 29 décembre 2021, les 29 mars et 28 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Ligue des droits de l'Homme demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1402 du 29 octobre 2021 modifiant le code de procédure pénale et relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques ;
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2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'articl...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire enregistrés le 29 décembre 2021, les 29 mars et 28 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Ligue des droits de l'Homme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1402 du 29 octobre 2021 modifiant le code de procédure pénale et relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le code de procédure pénale ;

- la décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010 du Conseil constitutionnel ;

- la décision du 27 juillet 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Ligue des droits de l'Homme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'Homme et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France et de l'Union syndicale Solidaires ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. Prévu par l'article 706-54 du code de procédure pénale en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs des infractions mentionnées à l'article 706-55 du même code, le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est destiné à centraliser notamment les empreintes génétiques issues des traces biologiques et les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables ou pénalement irresponsables de l'une de ces infractions ainsi que les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une de ces infractions. L'article 85 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié certaines dispositions du code de procédure pénale relatives au FNAEG. Afin, notamment, de tirer notamment les conséquences de cette loi, le décret du 29 octobre 2021 modifiant le code de procédure pénale et relatif au FNAEG et au service central de préservation des prélèvements biologiques a modifié les dispositions réglementaires du code de procédure pénale relatives au FNAEG. La Ligue des droits de l'Homme demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur l'intervention :

2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. En premier lieu, le Syndicat de la magistrature fait valoir qu'il a notamment pour mission d'" étudier et promouvoir toutes les réformes nécessaires concernant l'organisation du service public de la justice et le fonctionnement de l'institution judiciaire ", que les magistrats du parquet et de l'instruction peuvent, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, requérir du service gestionnaire du FNAEG qu'il soit procédé à des comparaisons d'empreintes génétiques et que les magistrats du parquet sont compétents pour prendre les décisions en matière d'effacement des données enregistrées dans le fichier. Toutefois, les dispositions attaquées ne sont pas de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail des magistrats judiciaires dont il défend les intérêts collectifs et ne portent par elles-mêmes aucune atteinte à leurs droits et prérogatives. Il ne justifie donc pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions qu'il conteste.

4. En deuxième lieu, le Syndicat des avocats de France, dont les statuts précisent qu'il a pour objet la défense des intérêts collectifs des avocats, ne justifie pas à ce titre d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions qu'il conteste. Il en va de même pour l'Union syndicale Solidaires dont les statuts précisent que ce syndicat professionnel se donne pour objet de rassembler toutes les organisations syndicales.

5. En troisième et dernier lieu, ces trois syndicats professionnels, dont l'objet est régi par les dispositions de l'article L. 2131-1 du code du travail, ne sauraient utilement se prévaloir des termes généraux de leurs statuts relatifs, pour le premier, à la défense des libertés et des principes démocratiques ainsi qu'au respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle ou garantis par les conventions internationales, pour le deuxième, au " fonctionnement d'une justice plus démocratique et plus proche des citoyens ", à la garantie des droits et libertés publiques et individuelles, au fonctionnement de la justice, aux conditions de détention ainsi qu'aux droits des justiciables et de toute personne privée de liberté, et, pour le troisième, à l'émancipation des individus et aux libertés individuelles et collectives. Il s'ensuit que leur intervention n'est pas recevable.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

6. En premier lieu, lorsque, comme en l'espèce, un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Le respect de cette exigence doit être apprécié par ensemble de dispositions ayant un rapport entre elles.

7. Il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite au dossier par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que le décret attaqué ne contient pas de disposition qui diffèrerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section de l'intérieur. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

8. L'article 706-54-1 du code de procédure pénale prévoit que les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables ou pénalement irresponsables de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 " peuvent être effacées sur instruction du procureur de la République, agissant à la demande de l'intéressé. A peine d'irrecevabilité, la personne ne peut former sa demande d'effacement qu'à l'issue d'un délai fixé par le décret prévu au dernier alinéa de l'article 706-54. / Les empreintes génétiques des personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 706-54 sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé. / L'effacement des empreintes est prononcé lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. Lorsqu'il est saisi par l'intéressé, le procureur de la République informe celui-ci de la suite qui a été réservée à sa demande ; si le procureur de la République n'a pas ordonné l'effacement, l'intéressé peut exercer un recours devant le président de la chambre de l'instruction ".

9. Dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret attaqué, l'article R. 53-10 du code de procédure pénale dispose : " I.- Sur décision de l'officier de police judiciaire, agissant soit d'office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction, font l'objet d'un enregistrement au fichier les résultats des analyses d'identification par empreintes génétiques : / 1° Des traces biologiques issues de personnes inconnues, recueillies dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête pour crime ou délit flagrant, ou d'une information, relatives à l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 ; / 1° bis Des traces biologiques issues de personnes inconnues, recueillies dans le cadre d'une enquête ou d'une information pour recherche des causes de la mort ou d'une disparition prévue par les articles 74,74-1 et 80-4 ; / 2° Des échantillons biologiques prélevés dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête pour crime ou délit flagrant, ou d'une information sur les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 ; / 3° Des traces biologiques issues des cadavres non identifiés, recueillies dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête pour crime ou délit flagrant, ou d'une information, relatives à l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55, ou dans le cadre d'une enquête ou d'une information pour recherche des causes de la mort prévue par les articles 74 et 80-4 ; (...) II. - Sur décision, selon le cas, du procureur de la République ou du procureur général, font l'objet d'un enregistrement au fichier les résultats des analyses d'identification par empreintes génétiques : / 1° Des échantillons biologiques prélevés sur des personnes définitivement déclarées coupables de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 ; / 2° Des échantillons biologiques prélevés sur des personnes poursuivies pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 ayant fait l'objet d'une décision définitive d'irresponsabilité pénale en application des articles 706-120,706-125,706-129,706-133 ou 706-134. (...) ".

10. De plus, aux termes des cinq premiers alinéas de l'article R. 53-14 du code de procédure pénale dans leur rédaction issue de l'article 9 du décret attaqué : " Sous réserve qu'il n'ait pas été procédé à leur effacement dans les conditions prévues aux articles R. 53-14-1 à R. 53-14-4, les données et informations sont conservées suivant les durées maximales détaillées aux alinéas suivants : / 1° Les données et informations relatives aux traces mentionnées aux 1° et 1° bis du I de l'article R. 53-10 sont conservées vingt-cinq ans à compter de la date d'enregistrement au fichier. Cette durée de conservation est portée à quarante ans lorsque les traces biologiques issues de personnes inconnues ont été recueillies dans le cadre d'une enquête ou d'une information relative à l'une des infractions figurant dans le tableau mentionné au 4° ; / 2° Les données et informations relatives aux personnes mentionnées au 2° du I de l'article R. 53-10 sont conservées quinze ans à compter de la date d'enregistrement au fichier ou, si les échantillons biologiques ont été prélevés sur une personne mineure, dix ans à compter de la date d'enregistrement au fichier ; / 3° Les données et informations relatives aux personnes mentionnées au II de l'article R. 53-10 sont conservées vingt-cinq ans à compter de la date d'acquisition du caractère définitif de la décision de culpabilité ou de la décision d'irresponsabilité pénale, ou si cette date n'est pas connue du service gestionnaire du fichier à compter de la date de la décision ou, si les échantillons biologiques ont été prélevés sur une personne mineure, quinze ans à compter de la date d'acquisition du caractère définitif de la décision de culpabilité ou de la décision d'irresponsabilité pénale, ou si cette date n'est pas connue du service gestionnaire du fichier à compter de la date de la décision ; / 4° La durée de conservation prévue aux 2° et 3° est portée à quinze ans lorsqu'elle est fixée à dix ans, à vingt-cinq ans lorsqu'elle est fixée à quinze ans et à quarante ans lorsqu'elle est fixée à vingt-cinq ans lorsque les empreintes génétiques concernent l'un des crimes ou délits figurant dans le tableau ci-dessous ".

11. Par ailleurs, dans sa rédaction issue de l'article 10 du décret attaqué, l'article R. 53-14-1 du code de procédure pénale prévoit notamment que : " Sont effacés par le service gestionnaire avant l'expiration du délai mentionné à l'article R. 53-14 : / 1° Les données mentionnées aux 1° et 1° bis du I de l'article R. 53-10 sur instruction du procureur de la République ou du juge d'instruction ou, à leur demande, de l'officier de police judiciaire, dès lors qu'il est établi que leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, notamment lorsque la prescription de l'action publique est acquise ; / 2° Les données relatives aux personnes mentionnées au 2° du I de l'article R. 53-10 en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, dès réception de l'avis l'en informant ; / 3° Les données relatives aux personnes mentionnées au 3° du I et au 1° du III de l'article R. 53-10 dès la réception d'un avis l'informant de l'identification définitive de la personne décédée (...) ".

12. En outre, aux termes de l'article R. 53-14-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de l'article 10 du décret attaqué : " I. - (...) / Le procureur de la République compétent fait droit à la demande d'effacement lorsqu'elle est présentée par une personne mentionnée au 2° du I en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, au 5° du I et au 4° du III de l'article R. 53-10. / En cas de décision de non-lieu, de classement sans suite pour absence d'infraction ou insuffisance de charges ou pour auteur inconnu, les données relatives aux personnes mentionnées au 2° du I de l'article R. 53-10 relevées au cours de l'enquête sont effacées sur demande de l'intéressé, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien. / Le procureur de la République ne peut s'opposer à la demande d'effacement formulée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent lorsque la prescription de l'action publique est acquise. / Les décisions du procureur de la République prévues par le deuxième alinéa de l'article 706-54-1 et le présent article ordonnant l'effacement ou le maintien des données sont prises pour des raisons liées à la finalité du fichier, au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée. / II. - Le procureur de la République compétent pour, en application des dispositions du premier alinéa de l'article 706-54-1, ordonner à la demande de l'intéressé, l'effacement des données relatives aux personnes mentionnées au II de l'article R. 53-10, est celui de la juridiction dans le ressort de laquelle a été menée la procédure ayant donné lieu à cet enregistrement. / A peine d'irrecevabilité, la demande d'effacement ne peut être adressée qu'à l'issue d'un délai de trois ans quand le délai de conservation est de quinze ans, de sept ans quand ce délai est de vingt-cinq ans et de dix ans quand ce délai est de quarante ans. Ces délais courent à compter de la date d'acquisition du caractère définitif de la décision de culpabilité ou de la décision d'irresponsabilité pénale. / (...) Les décisions du procureur de la République prévues au premier alinéa de l'article 706-54-1 et ordonnant l'effacement ou le maintien des données, sont prises pour des raisons liées à la finalité du fichier, au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée (...) ".

13. Il ressort des dispositions citées aux points 8 à 12 que les empreintes génétiques des personnes qui ont été reconnues définitivement coupables d'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 du code de procédure pénale ou qui ont fait l'objet d'une décision définitive d'irresponsabilité pénale alors qu'elles étaient poursuivies pour l'une de ces infractions peuvent être enregistrées dans le FNAEG en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs des infractions mentionnées à cet article. Il peut en aller de même, sur décision d'un officier de police judiciaire, agissant soit d'office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction, pour les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une de ces infractions. La durée de conservation maximale de ces données dans le fichier peut être de 10, 15, 25 ou 40 ans selon l'âge de l'intéressé, sa culpabilité et la nature de l'infraction concernée. Ces données peuvent faire l'objet d'un effacement anticipé intervenant tantôt d'office, tantôt sur demande des intéressés. La Ligue des droits de l'Homme demande l'annulation de ces dispositions en ce que les modalités d'effacement anticipé et les durées de conservation des données méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles qui découlent de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le défaut de base légale :

14. Par une décision du 27 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l'article 706-54-1 du code de procédure pénale, soulevée par la Ligue des droits de l'Homme. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait dépourvu de base légale en raison de la contrariété de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution.

En ce qui concerne l'effacement anticipé des données :

15. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 implique le droit au respect de la vie privée, tout comme les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif, ainsi que le rappelle d'ailleurs l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

16. En premier lieu, il ressort des dispositions du 2° de l'article R. 53-14-1 du code de procédure pénale, citées au point 10, que le service gestionnaire du FNAEG doit effacer d'office les données relatives aux personnes mentionnées au 2° du I de l'article R. 53-10 de ce code dès réception d'un avis l'informant d'une décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive. La circonstance que le I de l'article R. 53-14-2 du même code, cité au point 12, ouvre également à ces personnes la faculté de demander, à titre subsidiaire, l'effacement de leurs données, n'exonère pas le service gestionnaire de son obligation d'effacement d'office. Le moyen selon lequel le décret attaqué porterait atteinte au droit au respect de la vie privée en ne mettant pas en place un effacement d'office en cas de relaxe ou d'acquittement, doit donc être écarté.

17. En deuxième lieu, les décisions de non-lieu ou de classement sans suite ne font pas obstacle à la reprise ultérieure de poursuites relatives à la commission d'une infraction, en particulier à l'encontre des personnes dont les empreintes génétiques ont été prélevées en application des dispositions du 2° du I de l'article R. 53-10 du même code. Ces données sont donc susceptibles, en dépit de telles décisions, de conserver une utilité pour les finalités pour lesquelles elles ont été collectées et enregistrées dans le FNAEG. La Ligue des droits de l'Homme n'est donc pas fondée à soutenir que l'absence de procédure d'effacement d'office de ces données en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée alors, au demeurant, qu'il existe une procédure d'effacement sur demande, et ce moyen ne peut qu'être écarté.

18. En troisième lieu, aux termes des dispositions du dernier alinéa du I et de l'avant-dernier alinéa du II de l'article R. 53-14-2 du code de procédure pénale, citées au point 12, les décisions du procureur de la République prévues par cet article et l'article 706-54-1 du même code, cité au point 8, ordonnant l'effacement ou le maintien des données, sont prises pour des raisons liées à la finalité du fichier, au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée. Le moyen selon lequel le décret attaqué méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée en laissant un pouvoir discrétionnaire au procureur de la République ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne la durée de conservation des données :

19. En premier lieu, en se prononçant sur la conformité à la Constitution de l'article 706-54 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, jugé qu'il appartient au pouvoir réglementaire de proportionner la durée de conservation des empreintes génétiques enregistrées dans le FNAEG, compte tenu de l'objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées tout en adaptant ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs. Il est constant que les dispositions de l'article 10 du décret attaqué fixant les durées maximales de conservation tiennent compte de l'objet du fichier et des spécificités de la délinquance des mineurs en réduisant les durées de conservation des données relatives aux empreintes génétiques des mineurs, l'association requérante reconnaissant d'ailleurs elle-même que ces dispositions accroissent la durée de conservation des données en fonction de la nature de l'infraction. Par suite, le moyen selon lequel l'article 10 du décret attaqué ne respecterait pas les exigences formulées par le Conseil constitutionnel ne peut qu'être écarté.

20. En second lieu, les durées maximales de conservation des empreintes génétiques fixées par l'article 9 du décret attaqué et codifiées à l'article R. 53-14 du code de procédure pénale cité au point 10, diffèrent selon que la personne intéressée est simplement soupçonnée d'avoir commis une infraction mentionnée à l'article 706-55 du même code ou en a été définitivement déclarée coupable ou a fait l'objet d'une décision définitive d'irresponsabilité pénale. De plus, elles tiennent compte de la minorité de la personne intéressée à la date du prélèvement ou, si cette date n'est pas connue, à compter de la date d'une de ces deux décisions. Ces dispositions tiennent aussi compte de la nature des infractions justifiant la conservation des empreintes génétiques, dès lors que seules les infractions mentionnées à l'article 706-55 sont susceptibles de donner lieu à la conservation des données de personnes soupçonnées ou déclarées coupables durant les délais maximaux mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article R. 53-14 du code de procédure pénale et que le 4° de cet article augmente ces délais pour les infractions dont il indique la nature. Enfin, la Ligue des droits de l'Homme se borne à affirmer, sans étayer ses allégations, que les durées maximales de conservation seraient déterminées sans tenir compte de la gravité intrinsèque du comportement reproché aux personnes intéressées. Par suite, le moyen selon lequel les durées maximales de conservation méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée doit être écarté.

En ce qui concerne les garanties de sécurité :

21. L'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 dispose : " Le responsable du traitement est tenu de prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu'elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès ". Ces dispositions, qui sont relatives aux obligations du responsable du traitement dans le fonctionnement de ce dernier, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions dirigées contre les dispositions réglementaires autorisant le traitement automatisé dont la légalité n'est pas susceptible d'être affectée par les conditions dans lesquelles ce traitement sera mis en œuvre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne prévoirait pas de garanties de sécurité suffisantes ne peut qu'être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la Ligue des droits de l'Homme n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du Syndicat de la magistrature et autres n'est pas admise.

Article 2 : La requête de la Ligue des droits de l'Homme est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'Homme, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au Syndicat de la magistrature, premier dénommé pour les intervenants.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Sophie Delaporte, conseillers d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Emmanuel Weicheldinger

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 459967
Date de la décision : 14/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 mai. 2024, n° 459967
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:459967.20240514
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