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10/05/2024 | FRANCE | N°490915

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 10 mai 2024, 490915


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 9 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 novembre 2023 l'ayant déchu de la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièce

s du dossier ;



Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 9 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 novembre 2023 l'ayant déchu de la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative, notamment son article R. 122-21-1 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.

2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du même code.

3. M. B... a été déchu de la nationalité française par un décret du 15 novembre 2023 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, après avoir été condamné par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 juillet 2016 devenu définitif pour avoir participé à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal.

4. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que ce décret a été signé par la Première ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur et des outre-mer. La circonstance que l'ampliation notifiée à M. B... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".

6. Après avoir cité les textes applicables et énoncé que M. B..., qui a acquis la nationalité française par l'effet collectif attaché au décret de naturalisation de son père en 2000, a été condamné par un arrêt définitif de la cour d'appel de Paris à une peine de neuf années d'emprisonnement, assortie d'une peine de sûreté des deux tiers, pour avoir courant 2013 et jusqu'au 13 mai 2014, participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, sur le territoire national ainsi qu'en Allemagne, en Turquie et en Syrie, le décret attaqué indique que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant et aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné à la peine mentionnée au point précédent pour des faits qualifiés de participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. B... a rejoint en Syrie un groupe terroriste, suivi un entrainement de type militaire et participé aux opérations de ce groupe en tant que combattant.

8. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.

9. En dernier lieu, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 avril 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

La rapporteure :

Signé : Mme Amélie Fort-Besnard

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 490915
Date de la décision : 10/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2024, n° 490915
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amélie Fort-Besnard
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490915.20240510
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