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30/04/2024 | FRANCE | N°464500

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 30 avril 2024, 464500


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 464500, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 29 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat CFDT-Magistrats demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l'application de l'article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.







2° Sous le n° 464593, par une requête sommaire, un mémoi

re complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin, 1er septembre 2022 et le 4 déc...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 464500, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 29 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat CFDT-Magistrats demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l'application de l'article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

2° Sous le n° 464593, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin, 1er septembre 2022 et le 4 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux (CNB) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 464614, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juin et 1er septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code de procédure civile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, notamment ses articles 38 ter et 38 quater ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;

- l'arrêté du 8 décembre 2014 portant création d'une commission permanente d'études au ministère de la justice et d'une commission permanente d'études de service déconcentré placée auprès de chaque premier président de cour d'appel ;

- la décision par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat du Conseil national des barreaux et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Syndicat des avocats de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Par trois requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le syndicat CFDT-Magistrats, le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 31 mars 2022 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : " Dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l'image utilisés en violation de cette interdiction ". D'autre part, aux termes de l'article 38 quater de la même loi, créé par l'article 1er de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : " I. - Par dérogation au premier alinéa de l'article 38 ter, l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience peut être autorisé, pour un motif d'intérêt public d'ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion. La demande d'autorisation d'enregistrement et de diffusion est adressée au ministre de la justice. L'autorisation est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président du Tribunal des conflits, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, concernant leurs juridictions respectives. Elle est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président de la juridiction concernant les juridictions administratives et les juridictions comprenant un magistrat du siège membre de la Cour de cassation, et par le premier président de la cour d'appel concernant les cours d'appel et les juridictions de l'ordre judiciaire de leur ressort. / Lorsque l'audience n'est pas publique, l'enregistrement est subordonné à l'accord préalable et écrit des parties au litige. Lorsqu'un majeur bénéficiant d'une mesure de protection juridique est partie à l'audience, qu'elle soit publique ou non, l'enregistrement est subordonné à l'accord préalable du majeur apte à exprimer sa volonté ou, à défaut, de la personne chargée de la mesure de protection juridique. Lorsqu'un mineur est partie à l'audience, qu'elle soit publique ou non, l'enregistrement est subordonné à l'accord préalable du mineur capable de discernement ainsi qu'à celui de ses représentants légaux ou, le cas échéant, de l'administrateur ad hoc désigné. / Les modalités de l'enregistrement ne portent atteinte ni au bon déroulement de la procédure et des débats, ni au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées, dont la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. Le magistrat chargé de la police de l'audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l'enregistrement. Cette décision constitue une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours. / La diffusion, intégrale ou partielle, de l'enregistrement n'est possible qu'après que l'affaire a été définitivement jugée. En cas de révision d'un procès en application de l'article 622 du code de procédure pénale, la diffusion de l'enregistrement peut être suspendue. / La diffusion est réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d'innocence. Cette diffusion est accompagnée d'éléments de description de l'audience et d'explications pédagogiques et accessibles sur le fonctionnement de la justice. / Sans préjudice de l'article 39 sexies de la présente loi, l'image et les autres éléments d'identification des personnes enregistrées ne peuvent être diffusés qu'avec leur consentement donné par écrit avant la tenue de l'audience. Les personnes enregistrées peuvent rétracter ce consentement dans un délai de quinze jours à compter de la fin de l'audience. / L'image et les autres éléments d'identification des mineurs ou des majeurs bénéficiant d'une mesure de protection juridique ne peuvent, en aucun cas, être diffusés. / Aucun élément d'identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé cinq ans après la première diffusion de l'enregistrement ou dix ans après l'autorisation d'enregistrement. / L'accord écrit des parties au litige ou des personnes enregistrées ne peut faire l'objet d'aucune contrepartie. / II. - Après recueil de l'avis des parties, les audiences publiques devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation peuvent également être diffusées le jour même, sur décision de l'autorité compétente au sein de la juridiction, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / III. - Le présent article est également applicable, par dérogation à l'article 11 du code de procédure pénale, aux audiences intervenant au cours d'une enquête ou d'une instruction ainsi qu'aux auditions, interrogatoires et confrontations réalisés par le juge d'instruction. Lors des auditions, interrogatoires et confrontations, l'enregistrement est subordonné à l'accord préalable et écrit des personnes entendues et le juge d'instruction peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l'enregistrement. / IV. - Le fait de diffuser un enregistrement réalisé en application du I sans respecter les conditions de diffusion prévues au même I est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. / V. - La cession des droits sur les images enregistrées emporte de droit transfert au cessionnaire des obligations et interdictions prévues au présent article. / VI. - Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'Etat ".

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, si l'article 12 du décret attaqué prévoit que l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience ne constitue pas un acte de procédure, ces dispositions n'ont, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ni pour objet ni pour effet de fixer des règles concernant la procédure pénale, au sens de l'article 34 de la Constitution. Dès lors, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait, en édictant ces dispositions, excédé sa compétence ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 8 décembre 2014 portant création d'une commission permanente d'études au ministère de la justice et d'une commission permanente d'études de service déconcentré placée auprès de chaque premier président de cour d'appel : " La commission permanente d'études instituée au ministère de la justice est chargée de donner un avis sur les problèmes concernant le statut des magistrats de l'ordre judiciaire et des fonctionnaires des services judiciaires, les structures judiciaires et les conditions de fonctionnement et d'équipement des juridictions. / Elle peut, en outre, être consultée sur les projets de textes législatifs et réglementaires élaborés à l'initiative du ministère de la justice et ayant une incidence directe sur le fonctionnement des juridictions ". Il résulte des dispositions de cet article 2 que la consultation de cette commission revêtait, s'agissant du décret attaqué, qui ne porte sur aucun des sujets mentionnés au premier alinéa de cet article, un caractère facultatif. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute pour la commission permanente d'études du ministère de la justice d'avoir été consultée, ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes du a) du 4° de l'article 11 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi du 7 octobre 2016, la Commission nationale de l'informatique et des libertés " est consultée sur tout projet de loi ou de décret ou toute disposition de projet de loi ou de décret relatifs à la protection des données à caractère personnel ou au traitement de telles données ". Il résulte de ces dispositions que la Commission nationale de l'informatique et des libertés doit être préalablement consultée sur tout projet de loi ou de décret comportant des dispositions soit qui portent sur le cadre général de la protection des droits et libertés des personnes s'agissant de leurs données à caractère personnel ou du traitement de ces données, soit qui déterminent, dans certaines de leurs caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d'un traitement ou une catégorie de traitements de données à caractère personnel.

6. En l'espèce, si l'enregistrement et la diffusion d'une audience juridictionnelle sont susceptibles de donner lieu à un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi du 6 janvier 1978, les dispositions du décret attaqué, qui ne portent pas sur le cadre général de la protection des droits et libertés des personnes s'agissant de leurs données à caractère personnel ou du traitement de ces données, ne déterminent pas elles-mêmes, dans leurs caractéristiques essentielles, les formalités de création ou les conditions de mise en œuvre d'un tel traitement. Dès lors, contrairement à ce que soutient le Syndicat des avocats de France, le Premier ministre n'était pas tenu de consulter la Commission nationale de l'informatique et des libertés avant leur adoption.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne le motif d'intérêt public d'ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique :

7. Il résulte des dispositions du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 citées au point 2 que le législateur, en subordonnant l'autorisation d'enregistrement à l'existence d'un motif d'intérêt public d'ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, a, contrairement à ce que soutient le Syndicat des avocats de France, défini les raisons susceptibles de justifier que, par dérogation à l'interdiction figurant au premier alinéa de l'article 38 ter de cette loi, une audience juridictionnelle puisse faire l'objet d'un enregistrement en vue de sa diffusion. En outre, l'article 2 du décret attaqué prévoit que la demande d'autorisation d'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience en vue de sa diffusion, adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, précise le motif qui la justifie et est accompagnée d'une description circonstanciée du projet éditorial. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret, faute d'avoir précisé le motif permettant d'autoriser l'enregistrement d'une audience juridictionnelle en vue de sa diffusion, porterait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée, aux droits de la défense, à la présomption d'innocence, à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi, ainsi qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la sérénité et la sincérité des débats :

8. Le Conseil national des barreaux soutient que le décret attaqué, eu égard aux risques que ferait peser l'enregistrement d'une audience juridictionnelle sur la sérénité et la sincérité des débats, lesquelles participent de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, serait entaché d'illégalité faute d'avoir prévu les garanties suffisantes de nature à les préserver.

9. Toutefois, au titre des garanties prévues à ce titre, il résulte des dispositions de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 que le législateur a prévu que les modalités de l'enregistrement ne doivent pas porter atteinte au bon déroulement de la procédure et des débats, a subordonné l'enregistrement d'une audience non publique à l'accord préalable et écrit des parties au litiges et a confié au magistrat chargé de la police de l'audience le pouvoir d'ordonner à tout moment, sans devoir s'en justifier et sans que sa décision soit susceptible d'aucun recours, la suspension ou l'arrêt de l'enregistrement. D'autre part, le législateur a subordonné la diffusion de l'enregistrement réalisé, en toute hypothèse, à la double condition que l'affaire ait été définitivement jugée et que l'image et les autres éléments d'identification des personnes enregistrées ne soient diffusés qu'avec leur consentement écrit avant la tenue de l'audience.

10. En outre, l'article 5 du décret attaqué prévoit que l'autorisation d'enregistrement peut être accompagnée de prescriptions relatives aux conditions techniques d'enregistrement et de diffusion visant à garantir le respect des principes mentionnés au troisième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881, parmi lesquels figure notamment le bon déroulement de la procédure et des débats. D'autre part, l'article 10 de ce décret prévoit qu'une discrétion particulière est requise en ce qui concerne l'installation et le fonctionnement des appareils d'enregistrement. Il prévoit, en outre, que les enregistrements sont réalisés à partir de points fixes et que le nombre de personnes autorisées à procéder à l'enregistrement et la disposition des appareils d'enregistrement à l'intérieur de la salle d'audience sont fixés en accord avec les chefs de juridiction ou leurs représentants.

11. Enfin, s'il est loisible aux autorités auxquelles la loi donne compétence pour se prononcer sur les demandes d'autorisation d'enregistrement et de diffusion des audiences de s'entourer de tous avis utiles, notamment de celui des parties au litige, pour éclairer leur appréciation des risques d'atteinte à la sérénité et à la sincérité des débats que pourrait comporter un tel enregistrement, le décret attaqué n'avait pas, à peine d'illégalité, à le prévoir expressément.

12. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, et alors même que le décret attaqué n'a prévu la possibilité de former un recours contentieux qu'à l'encontre des décisions refusant l'enregistrement, à l'exclusion des décisions l'autorisant, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué n'aurait pas entouré l'enregistrement des audiences de garanties propres à assurer la sauvegarde de la sérénité et de la sincérité des débats doit être écarté.

En ce qui concerne la protection des communications entre l'avocat et son client :

13. Le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France soutiennent que le décret attaqué n'aurait pas prévu les garanties nécessaires à la préservation du secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients, qui participe du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et que prévoit l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

14. Toutefois, au titre des garanties énoncées à ce titre, le législateur a expressément prévu, au troisième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881, que les modalités de l'enregistrement ne doivent pas porter atteinte au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées, dont la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. Il a également confié au magistrat chargé de la police de l'audience le pouvoir d'ordonner à tout moment la suspension ou l'arrêt de l'enregistrement, qu'il lui appartiendrait d'exercer s'il apparaissait qu'en dépit des précautions prises avant la tenue de l'audience, les conditions de réalisation de l'enregistrement méconnaissent l'obligation de préserver la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. Enfin, les dispositions du IV de l'article 38 quater, qui punissent d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de diffuser un enregistrement réalisé en application du I sans respecter les conditions de diffusion prévues au même I, répriment notamment la diffusion d'un enregistrement réalisé en méconnaissance de cette obligation.

15. En outre, d'une part, l'article 5 du décret attaqué prévoit que l'autorisation d'enregistrement peut être accompagnée de prescriptions relatives aux conditions techniques d'enregistrement et de diffusion visant à garantir le respect des principes mentionnés au troisième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881, parmi lesquels figure la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. D'autre part, l'article 10 du décret prévoit que les conditions d'enregistrement ne portent pas atteinte au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées. Enfin, l'article 13 du décret prévoit que les séquences enregistrées non retenues lors du montage effectué en vue de leur diffusion sont détruites.

16. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le moyen tiré de ce que le décret attaqué n'aurait pas prévu les garanties nécessaires à la préservation du secret des propos échangés à l'audience entre les avocats et leurs clients et, par voie de conséquence, aurait porté atteinte au droit à un procès équitable et méconnu les dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques doit être écarté.

En ce qui concerne la présomption d'innocence :

17. Il résulte de la combinaison des dispositions du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 avec celles de son III que la condition tenant à ce que l'affaire soit définitivement jugée, à laquelle la loi subordonne toute diffusion de l'enregistrement d'une audience juridictionnelle, doit être entendue, lorsqu'est en cause l'enregistrement de l'une des audiences ou de l'un des actes d'instruction mentionnés par les dispositions de ce III, comme impliquant que les faits ayant donné lieu à l'ouverture de l'enquête pénale ou de l'information judiciaire aient fait l'objet d'une décision juridictionnelle insusceptible d'être remise en cause par l'exercice d'un recours en appel ou en cassation. Par suite, le moyen, soulevé par le Conseil national des barreaux et par le Syndicat des avocats de France, tiré de ce que le décret attaqué, en n'apportant pas les précisions suffisantes quant à la notion d'affaire définitivement jugée, méconnaîtrait à ce titre la présomption d'innocence et le droit au respect de la vie privée des personnes poursuivies doit être écarté.

En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et le droit à l'image :

18. D'une part, le Conseil national des barreaux soutient que le délai de quinze jours à compter de la fin de l'audience, dans lequel le sixième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que les personnes enregistrées ayant donné leur consentement à la diffusion de leur image et des autres éléments permettant leur identification peuvent rétracter ce consentement, est insuffisant, et que le décret aurait dû prévoir un délai permettant à ces personnes de retirer leur consentement une fois connu le sens du jugement rendu sur l'affaire ayant donné lieu à l'audience enregistrée. Toutefois, les personnes enregistrées lors de l'audience, y compris les parties et les témoins, disposent, à son issue, de tous les éléments leur permettant d'apprécier s'il y a lieu de maintenir ou rétracter leur consentement à la diffusion de leur image et des éléments permettant leur identification. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées prévoyant que le délai au cours duquel ces personnes peuvent rétracter leur consentement est de quinze jours à compter de la fin de l'audience, méconnaîtraient les exigences découlant du droit au respect de la vie privée doit être écarté

19. D'autre part, le Conseil national des barreaux soutient que le décret attaqué, en ce qu'il ne prévoit pas pour les personnes enregistrées lors d'une audience juridictionnelle de droit à l'effacement de leurs données personnelles, méconnaîtrait les dispositions du 1. de l'article 17 du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui prévoient : " la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l'obligation d'effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l'un des motifs suivants s'applique : / (...) b) la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement (...) et il n'existe pas d'autre fondement juridique au traitement ". Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 5, le décret attaqué n'a pas lui-même pour objet ou pour effet de créer un traitement au sens du règlement général sur la protection des données, et, d'autre part et en tout état de cause, un enregistrement d'audience réalisé dans le cadre fixé par les dispositions contestées repose sur le fondement juridique résultant des dispositions législatives citées au point 2. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne les modalités de décision au sein des juridictions judiciaires :

20. En premier lieu, l'article 4 du décret attaqué prévoit, s'agissant des audiences judiciaires, que l'autorité appelée à statuer sur la demande d'autorisation d'enregistrement sollicite l'avis préalable du ministère public. Il ne résulte, contrairement à ce que soutient le syndicat CFDT-Magistrats, d'aucun principe ni d'aucun texte, en particulier pas des dispositions statutaires relatives à la magistrature ou des dispositions législatives relatives à la police des audiences judiciaires que cite le syndicat requérant, que le pouvoir réglementaire aurait été tenu de prévoir également, s'agissant de l'autorisation d'enregistrement des audiences judiciaires, l'avis préalable du magistrat du siège présidant l'audience. Au demeurant, les dispositions du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 prévoient que le magistrat chargé de la police de l'audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l'enregistrement d'une audience, sans que cette décision soit susceptible de recours. Enfin, s'il est loisible aux autorités auxquelles la loi donne compétence pour se prononcer sur les demandes d'autorisation d'enregistrement et de diffusion des audiences de s'entourer de tous avis utiles, et en particulier de celui des présidents de formation de jugement concernés, ainsi que le recommande d'ailleurs le point 1.2 de la circulaire du 25 avril 2022 abrogeant et remplaçant la circulaire de présentation des dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 et du décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 concernant l'enregistrement et la diffusion des audiences des juridictions de l'ordre judiciaire, le décret attaqué n'avait pas, à peine d'illégalité, à le prévoir expressément. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché le décret, faute d'avoir prévu un avis préalable du magistrat du siège présidant l'audience sur la demande d'enregistrement de cette audience, doit être écarté.

21. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs, et alors qu'aucune des dispositions du décret attaqué ne fait obstacle à ce que le juge d'instruction ou le président de la chambre d'instruction soient consultés sur une demande d'autorisation d'enregistrement des actes d'instruction et des audiences devant la chambre d'instruction, le moyen tiré de l'illégalité du décret attaqué faute d'avoir prévu l'avis préalable obligatoire du juge d'instruction ou du président de la chambre d'instruction, s'agissant de cette demande d'autorisation, doit être écarté.

22. En troisième lieu, si le syndicat CFDT-Magistrats soutient que le décret attaqué aurait dû prévoir le recueil obligatoire de l'avis préalable des chefs de juridiction s'agissant des demandes d'enregistrement d'audience, au regard de l'obligation qui incombe à ces derniers, en tant que chefs de service, en matière de sécurité et de santé au travail des personnels concernés par l'audience, ainsi que de prévention des risques pour les personnes ayant accès à la juridiction, il résulte des dispositions du second alinéa de l'article 10 du décret attaqué que le nombre de personnes autorisées à procéder à l'enregistrement et la disposition des appareils d'enregistrement à l'intérieur de la salle d'audience sont fixés en accord avec les chefs de juridiction ou leurs représentants. En outre, s'il est loisible aux autorités auxquelles la loi donne compétence pour se prononcer sur les demandes d'autorisation d'enregistrement et de diffusion des audiences de s'entourer de tous avis utiles, et en particulier de celui des chefs de juridiction concernés, ainsi que le recommande d'ailleurs le point 1.2 de la circulaire du 25 avril 2022, le décret attaqué n'était pas tenu, à peine d'illégalité, de le prévoir expressément. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait illégal faute d'avoir prévu l'avis préalable du chef de juridiction s'agissant des demandes d'enregistrement d'audiences doit être écarté.

23. En quatrième lieu, les dispositions du second alinéa de l'article 10 du décret attaqué, qui prévoient que le nombre de personnes autorisées à procéder à l'enregistrement et la disposition des appareils d'enregistrement à l'intérieur de la salle d'audience sont fixés en accord avec les chefs de juridiction ou leurs représentants, n'ont pas pour objet et ne peuvent avoir pour effet, contrairement à ce que soutient le syndicat CFDT-Magistrats, de faire obstacle à celles du troisième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 ni à celles de l'article 11 du même décret, qui prévoient que l'enregistrement peut être interrompu à tout moment sur décision du magistrat chargé de la police de l'audience, sans que cette décision soit susceptible de recours. Ainsi, le moyen tiré de ce que les dispositions du second alinéa de l'article 10 du décret attaqué méconnaîtraient les dispositions du code de procédure pénale relatives à la police de l'audience ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les modalités de recueil du consentement des parties :

24. En premier lieu, si le syndicat CFDT-Magistrats soutient que le décret attaqué aurait dû prévoir qu'une copie de la demande d'autorisation d'enregistrement et des éléments qui y sont joints soit transmise aux personnes dont l'avis est recueilli en amont de la décision statuant sur cette demande, il n'invoque aucune norme supérieure qui imposerait l'édiction d'une telle disposition.

25. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles 7 à 9 du décret attaqué que le pouvoir réglementaire, à qui il était loisible de renvoyer à un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice le soin d'établir un modèle pour les formulaires destinés à recueillir, auprès des personnes concernées, le consentement à l'enregistrement des audiences et à la diffusion de l'image et des éléments d'identification, a, contrairement à ce qui est soutenu par le syndicat CFDT-Magistrats, encadré de manière suffisamment précise les conditions dans lesquelles ce consentement serait recueilli. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne permettrait pas le recueil d'un consentement éclairé des personnes concernées doit être écarté.

26. En troisième lieu, le premier alinéa de l'article 14 du décret attaqué prévoit que le bénéficiaire de l'autorisation d'enregistrement est tenu à une obligation d'occultation de l'ensemble des personnes enregistrées qui n'ont pas consenti à la diffusion des images et des éléments d'identification les concernant. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait omis de prévoir l'obligation du recueil du consentement à la diffusion des images et des éléments d'identification concernant les personnes enregistrées qui ne sont pas parties au litige ne peut qu'être écarté.

27. En quatrième lieu, aux termes de l'article 9 du décret attaqué : " Le délai de quinze jours dont disposent les personnes enregistrées pour rétracter leur consentement à la diffusion de leur image et des autres éléments permettant leur identification commence à courir au lendemain du dernier jour de la dernière audience enregistrée. / La rétractation est adressée au bénéficiaire de l'autorisation et se fait par tout moyen conférant date certaine à la réception. Elle peut être effectuée au moyen du formulaire prévu à l'article 8 ". Si le syndicat CFDT-Magistrats soutient que le décret aurait dû prévoir une notification aux parties de la date de la dernière audience enregistrée, compte tenu notamment de la brièveté alléguée du délai de quinze jours courant à compter de cette date, les personnes enregistrées lors de l'audience, y compris les parties et les témoins, disposent toutefois, à son issue, de tous les éléments leur permettant d'apprécier s'il y a lieu de maintenir ou rétracter leur consentement à la diffusion de leur image et des éléments permettant leur identification. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret, en ne prévoyant pas la notification aux intéressés de la date de la dernière audience enregistrée, aurait méconnu les exigences découlant du droit au respect de la vie privée doit être écarté.

En ce qui concerne la diffusion des audiences devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation :

28. Aux termes de l'article 15 du décret attaqué : " La décision de diffusion le jour même d'une audience publique devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation est prise, respectivement, par le vice-président du Conseil d'Etat et, après avis du Procureur général, par le premier président de la Cour de cassation. / Cette décision peut fixer une durée pendant laquelle l'enregistrement de l'audience demeure accessible sur le site internet de la juridiction ". Aux termes de l'article 16 de ce décret : " L'avis des parties est recueilli par tout moyen avant le début de l'audience ". Aux termes de l'article 17 du même décret : " Le consentement à la diffusion de l'image et des éléments d'identification des personnes enregistrées est recueilli avant le début de l'audience, au moyen du formulaire prévu à l'article. La rétractation de ce consentement peut être exercée à tout moment jusqu'au début de la diffusion et, si l'enregistrement demeure accessible sur le site internet de la juridiction, jusqu'à la date de son retrait. / Les images et les éléments d'identification des personnes enregistrées qui n'ont pas consenti à leur diffusion sont occultés selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 14 ".

29. D'une part, il résulte des dispositions du sixième alinéa du I de l'article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881, citées au point 2, que, contrairement à ce qui est soutenu par le Syndicat des avocats de France, le consentement à la diffusion de l'image et des autres éléments d'identification des personnes enregistrées est requis, ainsi que le rappelle d'ailleurs l'article 8 du décret attaqué, pour les audiences enregistrées dans l'ensemble des juridictions, et non uniquement pour les audiences enregistrées au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 17 du décret créerait une rupture d'égalité entre, d'une part, les justiciables devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation et, d'autre part, ceux devant les autres juridictions manque, en tout état de cause, en fait.

30. D'autre part, le II du même article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que les audiences publiques devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation peuvent être diffusées le jour même, sur décision de l'autorité compétente au sein de la juridiction, " après recueil de l'avis des parties ". Il en résulte qu'en prévoyant, à l'article 16 du décret, que l'avis des parties est recueilli avant le début de l'audience, le pouvoir réglementaire s'est borné à déterminer les modalités d'application de la loi. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 16 du décret attaqué serait, faute de prévoir l'accord préalable des parties quant à la décision de diffuser le jour même une audience publique devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation sur le site internet de la juridiction, entaché d'illégalité au regard du principe d'interdiction de filmer dans les audiences, prévu par l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, et méconnaîtrait le droit à l'image, la présomption d'innocence et les droits de la défense des personnes enregistrées ne peut qu'être écarté.

31. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat CFDT-Magistrats, le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 31 mars 2022 qu'ils attaquent. Leurs requêtes doivent, par suite, être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du syndicat CFDT-Magistrats, du Conseil national des barreaux et du Syndicat des avocats de France sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat CFDT-Magistrats, au Conseil national des barreaux, au Syndicat des avocats de France et au garde des sceaux, ministre de la justice. Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 30 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464500
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 avr. 2024, n° 464500
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:464500.20240430
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