Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 septembre et 8 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 février 2023 rapportant le décret du 18 septembre 2014 lui accordant la nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant ivoirien a déposé une demande de naturalisation le 20 septembre 2013 auprès de la préfecture de police de Paris dans laquelle il a indiqué être sans enfant. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 18 septembre 2014, publié au Journal officiel de la République française du 20 septembre 2014. Par courriel du 9 mars 2021, le ministre de l'intérieur a été informé par le préfet de police de Paris de ce qu'il avait reçu une demande de naturalisation, au titre de l'article 21-22 du code civil, pour l'enfant mineur de M. A..., M. C... A.... Par décret du 16 février 2023, publié au Journal officiel de la République française du 18 février 2023, la Première ministre a rapporté le décret du 18 septembre 2014 prononçant la naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, le délai de deux ans imparti par 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à l'existence de l'enfant de l'intéressé que le 9 mars 2021, date à laquelle ils ont reçu un courriel du préfet de police de Paris les avisant de la demande de naturalisation formulée par l'intéressé pour son fils. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 16 février 2023, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 272 du code civil.
4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est le père C... A..., né le 15 novembre 2006 à Yopougon (Côte d'Ivoire) et résidant habituellement à l'étranger. La naissance de cet enfant, antérieure à sa naturalisation, aurait dû être portée à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé lors du dépôt de sa demande. Si M. A..., qui ne conteste pas avoir eu connaissance de l'existence de son enfant avant sa naturalisation, soutient que la relation conflictuelle qu'il entretient avec la mère de son enfant l'a empêché de détenir les documents concernant ce dernier et qu'il avait, malgré l'existence de cet enfant, le centre de ses intérêts en France à la date du décret le naturalisant, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française.
6. En troisième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, à la Première ministre de rapporter légalement le décret accordant à M. A... la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'il aurait perdu la nationalité ivoirienne.
7. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, M. A... ne saurait utilement se prévaloir d'une éventuelle perte de son emploi d'agent de sécurité, au demeurant non établie pour soutenir que le décret contesté porte atteinte à ce droit. Eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les stipulations des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent, quant à elles, être utilement invoquées à l'appui des conclusions dirigées contre le décret attaqué.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 février 2023 rapportant le décret du 18 septembre 2014 lui accordant la nationalité française. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2024 où siégeaient : Mme Anne Courrèges, assesseure, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 avril 2024.
La présidente :
Signé : Mme Anne Courrèges
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Delaunay
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy