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26/04/2024 | FRANCE | N°489308

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 26 avril 2024, 489308


Vu la procédure suivante :



La société civile immobilière Tournier Sallanches a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 17 août 2023 du président de la communauté d'agglomération Arlysère portant préemption du terrain cadastré section H nos 747 et 759 sur le territoire de la commune d'Albertville. Par une ordonnance n° 2306519 du 26 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble

a fait droit à cette demande.



Par un pourvoi sommaire, un mémo...

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Tournier Sallanches a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 17 août 2023 du président de la communauté d'agglomération Arlysère portant préemption du terrain cadastré section H nos 747 et 759 sur le territoire de la commune d'Albertville. Par une ordonnance n° 2306519 du 26 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 22 novembre 2023 et les 30 janvier et 27 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération Arlysère demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Tournier Sallanches ;

3°) de mettre à la charge de la société Tournier Sallanches la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la communauté d'agglomération Arlysère, et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la société Tournier Sallanches ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier aliéna de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que, par une décision du 17 août 2023, le président de la communauté d'agglomération Arlysère a exercé le droit de préemption sur un bâtiment à usage industriel et d'habitation situé sur un terrain d'une superficie de 3 900 m2, cadastré section H nos 747 et 759, sur le territoire de la commune d'Albertville. La communauté d'agglomération Arlysère se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 26 octobre 2023 par laquelle ce juge, saisi par la société Tournier Sallanches, acquéreur évincé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a fait droit à la demande de suspension de l'exécution de cette décision de préemption présentée par cette société.

3. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les collectivités titulaires du droit de préemption peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant. Il résulte également des termes de l'article L. 210-1 que le droit de préemption est ouvert non seulement en vue de la réalisation des actions ou opérations d'intérêt général entrant dans les prévisions de ce texte, mais également pour constituer des réserves foncières permettant la réalisation à terme de telles opérations ou actions.

5. Il ressort de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a retenu, pour prononcer la suspension demandée, comme propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption attaquée, les moyens tirés de l'incompétence du président de la communauté d'agglomération d'Arlysère pour signer cette décision, faute qu'il soit justifié d'une délégation régulière à cette fin, et de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée quant à l'existence d'un projet justifiant l'exercice du droit de préemption. Dès lors toutefois que, d'une part, la mention des délibérations par lesquelles le droit de préemption urbain a été institué à Albertville et délégué à la communauté d'agglomération Arlysère et par lesquelles le conseil communautaire de cette communauté d'agglomération a accepté cette délégation et en a délégué l'exercice à son président et, d'autre part, la description du projet, visant à procéder au réaménagement d'ensemble du secteur commercial de la zone Chiriac-Grand Pré et à l'amélioration de l'accueil des activités économiques, en vue duquel la communauté d'agglomération s'est engagée dans une politique de constitution de réserves foncières, et répondant de manière suffisamment précise aux exigences des dispositions précitées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme figuraient, respectivement, dans les visas et les motifs de la délibération attaquée, produite par la société requérante à l'appui de sa demande de suspension, le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, la communauté d'agglomération Arlysère est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, en l'état de l'instruction, les moyens soulevés, tirés de l'incompétence du président de la communauté d'agglomération Arlysère pour signer cette décision, faute qu'il soit justifié d'une délégation régulière à cette fin, et de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée quant à l'existence d'un projet justifiant l'exercice du droit de préemption, ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige.

9. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, la société Tournier Sallanches n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 17 août 2023.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Tournier Sallanches une somme de 3 000 euros à verser à la communauté d'agglomération Arlysère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la société Tournier Sallanches.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 26 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Tournier Sallanches devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est rejetée.

Article 3 : La société Tournier Sallanches versera une somme de 3 000 euros à la communauté d'agglomération Arlysère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Tournier Sallanches au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération Arlysère et à la société civile immobilière Tournier Sallanches.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; Mme Célia Verot, conseillère d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 avril 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 489308
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 489308
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON ; CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489308.20240426
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