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26/04/2024 | FRANCE | N°458958

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 26 avril 2024, 458958


Vu la procédure suivante :



La société Kyowa Synchro Technology Europe a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1710969 du 11 mars 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 20PA01692 du 13 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Kyowa Synchro Tech

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Vu la procédure suivante :

La société Kyowa Synchro Technology Europe a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1710969 du 11 mars 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA01692 du 13 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Kyowa Synchro Technology Europe, annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions et majorations contestées.

Par un pourvoi, enregistré le 29 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Kyowa Synchro Technology Europe.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Kyowa Synchro Technology Europe ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité des sommes versées par la société par actions simplifiées Kyowa Synchro Technology Europe (KSTE) à la société Sojitz Corporation, qui la détient à hauteur de 51 %, en exécution d'un contrat en vertu duquel la seconde mettait l'un de ses salariés à la disposition de la première en vue de l'exercice des fonctions de président, au motif que faute d'avoir été autorisée par l'assemblée générale de la société KSTE, cette prise en charge indirecte de la rémunération de son président avait le caractère d'un acte anormal de gestion. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société KSTE, prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 en conséquence de cette réintégration.

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

3. Il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Il apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que l'article 16 des statuts de la société KSTE stipule que " (...) Le président est désigné par décision de Sojitz Corporation. (...) " et que " La rémunération du président est fixée chaque année par décision de Sojitz Corporation ". Il en résulte, d'autre part, que la société KSTE a conclu avec la société Sojitz Corporation, son associé majoritaire, une convention prévoyant la mise à disposition par celle-ci de l'un de ses employés pour exercer les fonctions de président et mettant à la charge de la société KSTE le remboursement à la société Sojitz Corporation de la rémunération de l'intéressé ainsi que de ses avantages en nature.

6. Après avoir relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, d'une part, qu'il était constant que les salariés de la société Sojitz Corporation successivement détachés auprès de la société KSTE au cours des deux exercices en litige avaient exclusivement exercé leur activité auprès de celle-ci et avaient effectivement assuré sa direction et l'ensemble des fonctions qui leur étaient dévolues en qualité de président de cette dernière, conformément à la convention conclue entre les deux sociétés, et que, d'autre part, l'administration n'avait jamais regardé comme excessives, au regard de cette activité, les sommes remboursées au vu des factures émises par la société Sojitz Corporation en exécution de cette convention, la cour administrative d'appel a pu, sans entacher son arrêt d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits, juger que les charges ainsi exposées par la société KSTE ne procédaient pas d'un acte anormal de gestion. La cour n'a pas davantage entaché son arrêt d'erreur de droit en écartant comme dépourvue d'incidence à cet égard la circonstance que la rémunération servie par la société Sojitz Corporation à ceux de ses salariés ayant successivement été mis à la disposition de la société KSTE et que celle-ci lui remboursait en exécution de la convention susmentionnée n'avait pas été approuvée par l'assemblée générale de ses actionnaires, que ses statuts, dont elle n'a pas dénaturé les stipulations, prévoyaient à leur article 19 que ses associés fixaient la rémunération de son président et que le procès-verbal de cette même assemblée générale du 27 mars 2013 excluait toute rémunération directe par KSTE de son président et ne prévoyait que le remboursement à celui-ci des frais exposés à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la société Kyowa Synchro Technology Europe.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Kyowa Synchro Technology Europe.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat ; M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 26 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Isidoro

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 458958
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2024, n° 458958
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:458958.20240426
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