Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 mars 2023 du ministre de la santé et de la prévention et de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche le suspendant de ses fonctions ainsi que la décision du 21 juillet 2023 rejetant son recours gracieux formé contre cet arrêté ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la lettre du 15 mars 2023 par laquelle le ministre de la santé et de la prévention et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont saisi la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers, ainsi que la décision du 21 juillet 2023 rejetant son recours gracieux formé contre cette lettre ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de ces décisions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le décret n° 2021-1645 du 13 décembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 relatif au personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers universitaires : " I. - Lorsque l'intérêt du service l'exige, la suspension d'un agent qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire ou d'une procédure pour insuffisance professionnelle peut être prononcée, à titre conservatoire, par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé. L'arrêté précise si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers ou détermine la quotité de la retenue qu'il subit, qui ne peut être supérieure à la moitié du montant total du traitement universitaire et des émoluments hospitaliers. (...) En tout état de cause, il continue à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. Sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales, lorsqu'aucune décision n'est intervenue dans le délai de trois mois à compter de la suspension, l'intéressé reçoit de nouveau l'intégralité de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers et a droit au remboursement des retenues opérées sur son traitement universitaire. (...) / II. - Par dérogation au I, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ou celle des étudiants, le directeur général du centre hospitalier universitaire et le président de l'université concernée peuvent décider conjointement de suspendre les activités de l'agent mentionnées à l'article 8. Ils en réfèrent sans délai aux autorités mentionnées au I, qui confirment cette suspension ou y mettent fin. "
2. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 27 juin 2022, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et le président de l'université de Paris Créteil ont suspendu de ses fonctions, sur le fondement du II des dispositions citées au point 1, M. A..., professeur des universités-praticien hospitalier exerçant à l'hôpital Henri Mondor. Puis, par un courrier du 15 mars 2023, le ministre de la santé et de la prévention et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont saisi de faits relevés à son encontre la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers et, dans l'attente de la décision de cette juridiction, ont suspendu M. A... de ses fonctions par un arrêté du 15 mars 2023, pris sur le fondement du I des dispositions citées au point 1. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce courrier et de cet arrêté, ainsi que de la décision du 21 juillet 2023 par laquelle les ministres ont rejeté son recours gracieux.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la saisine de la juridiction disciplinaire et de la décision du 21 juillet 2023 rejetant le recours gracieux contre cet acte :
3. Le courrier du 15 mars 2023 par lequel le ministre de la santé et de la prévention et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont saisi la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale des griefs imputés à M. A... est une simple mesure préparatoire qui ne constitue pas par elle-même une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il en va de même de la décision du 21 juillet 2023 en tant qu'elle rejette le recours gracieux formé par M. A... contre ce courrier. Les conclusions tendant à l'annulation de ce courrier et, dans cette mesure, de cette décision sont, par suite, irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2023 et de la décision du 21 juillet 2023 rejetant le recours gracieux contre cet arrêté :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. En premier lieu, les moyens pris, d'une part, du défaut d'impartialité prétendu de certains des auteurs du rapport de la mission d'audit du service dans lequel M. A... est affecté par des membres du Conseil national des universités et de la Société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire et d'irrégularités formelles qui entacheraient ce document et les conditions dans lesquelles il a été élaboré, et d'autre part, de l'irrégularité de l'avis de la commission centrale de contrôle d'accès aux dossiers patients, instance interne à l'AP-HP appelée à délibérer sur les conditions dans lesquelles le requérant a été amené à consulter les dossiers informatisés de patients hospitalisés dans son service sont inopérants, tant cet audit que cet avis n'étant pas des éléments de la procédure disciplinaire.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. En premier lieu, il résulte des termes mêmes du rapport mentionné au point 4 qu'en énonçant, dans la lettre par laquelle ils rejettent le recours gracieux formé par M. A... contre l'arrêté de suspension de fonctions du 15 mars 2023, qu'il concluait à l'existence d'" une atmosphère perturbée par le climat de suspicion permanente entretenue par le Pr A... à l'encontre des autres chirurgiens, une situation de blocage entre deux camps irréconciliables ", engendrant " un climat potentiellement néfaste à la sécurité des soins " et une situation jugée grave " au regard de l'éthique, de la déontologie et de la confraternité ", le ministre de la santé et de la prévention et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche se sont bornés à en résumer les conclusions sans les dénaturer de manière tendancieuse. Les circonstances, à les supposer établies, que le rapport, tout en affirmant avoir examiné tous les dossiers de patients décédés en 2019, en aurait omis deux, et qu'un seul anesthésiste aurait été auditionné, alors que le rapport décrit un climat délétère chez " les anesthésistes ", ne permettent pas de regarder la décision attaquée comme fondée sur des faits matériellement inexacts.
6. En deuxième lieu, si M. A... soutient que le rapport de contrôle daté du 30 mars 2021 émanant de la direction des systèmes d'information de l'AP-HP retient une approche trop restrictive en estimant irrégulières les consultations auxquelles il a procédé de dossiers de patients qu'il n'a ni reçus en consultation, ni opérés, il n'avance aucun élément permettant de considérer que ces consultations étaient néanmoins légitimes au regard des dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique régissant le secret médical, et notamment de démontrer qu'il appartenait à l'équipe de soins des patients dont il s'agit, au sens des dispositions de l'article L. 1110-12 du même code.
7. En troisième lieu, si M. A... revendique la protection reconnue aux " lanceurs d'alerte " par la loi du 16 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dont l'article 6 dispose : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit (...) ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont il a eu personnellement connaissance ", il ne caractérise aucun crime ou délit ni aucune menace ou préjudice grave pour l'intérêt général dont il aurait eu personnellement connaissance et qu'il aurait ensuite signalé dans les conditions prévues à l'article 7-1 de la même loi. Au surplus, la décision qu'il attaque repose d'une part, sur la consultation irrégulière de centaines de dossiers de patients qui, alors même qu'elle aurait été destinée à étayer une " alerte " que l'intéressé aurait lancée conformément à la loi du 16 décembre 2016, ce qui n'est pas établi, ne saurait entrer dans ses prévisions, le lanceur d'alerte ne pouvant rapporter que des faits qu'il a personnellement constatés, et, d'autre part, sur le climat délétère qui s'est instauré au sein du service et qui est largement imputé à M. A..., et non sur celles de ses activités dont il estime qu'elles étaient de nature à le faire regarder comme un lanceur d'alerte.
8. En quatrième lieu, l'arrêté de suspension attaqué et la décision de rejet du recours gracieux formé contre cette décision ne se fondent pas sur la circonstance que M. A... aurait critiqué la composition de la seconde mission d'audit du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital Mondor, dont il est uniquement fait état dans le courrier du 15 mars 2023 de saisine de la juridiction disciplinaire. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que ces décisions porteraient atteinte, pour un tel motif, à sa liberté d'opinion.
9. En cinquième lieu, M. A... ne peut utilement exciper de l'illégalité de l'arrêté du 27 juin 2022 par lequel le directeur général de l'AP-HP et le président de l'université Paris-Créteil Est l'ont suspendu de ses fonctions, cet arrêté, dénué de caractère réglementaire, ne formant pas avec l'arrêté qu'il attaque une opération complexe.
10. En sixième lieu et ainsi qu'il a été dit au point 2, M. A... a d'abord été suspendu par un arrêté du 27 juin 2022 pris par le directeur général de l'AP-HP et du président de l'université Paris-Créteil Est sur le fondement du II de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 cité au point 1, puis par l'arrêté du 15 mars 2023 attaqué pris sur le fondement du I du même article, qui assortit cette suspension d'une suspension du traitement de l'intéressé, à la différence de l'arrêté du 27 juin 2022. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué ne pouvait, sans méconnaitre les dispositions du I de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 cité ci-dessus, prévoir la suspension du traitement de M. A... au motif qu'il était à cette date déjà suspendu depuis plus de trois mois par un arrêté pris sur le fondement du II de ce même article doit être écarté.
11. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2023 et de la décision du 21 juillet 2023 par laquelle le ministre de la santé et de la prévention et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont rejeté son recours gracieux contre cet arrêté. Il y a lieu, par suite, et en tout état de cause, de rejeter ses conclusions indemnitaires, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2024 où siégeaient : M. Alain Seban, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 24 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Alain Seban
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras