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22/04/2024 | FRANCE | N°474492

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 22 avril 2024, 474492


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération nationale entrepreneurs des territoires (FNEDT) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la Première ministre du 24 novembre 2022 relatif à l'approbation du cahier des charges de l'appel à manifestation d'intérêt " Equipements pour la troisième révolution agricole " ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cet arrêté ; <

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Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération nationale entrepreneurs des territoires (FNEDT) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la Première ministre du 24 novembre 2022 relatif à l'approbation du cahier des charges de l'appel à manifestation d'intérêt " Equipements pour la troisième révolution agricole " ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 a prévu, dans le cadre du programme des " investissements d'avenir ", le versement d'aides financières à certains projets à partir du budget général de l'Etat. Son article 8, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 qui a étendu son champ d'application aux investissements dans le cadre du plan " France 2030 ", prévoit que la gestion des fonds ainsi créés peut être confiée à des organismes publics. Son II dispose que : " II. - A. - (...) les conditions de gestion et d'utilisation des fonds mentionnés au I font préalablement à tout versement l'objet d'une convention entre l'Etat et chacun des organismes gestionnaires (...) / La convention est publiée au Journal officiel et précise notamment : (...) / 2° Les modalités d'instruction des dossiers conformément à un cahier des charges approuvé par arrêté du Premier ministre ainsi que les dispositions prises pour assurer la transparence du processus de sélection ; (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, une première convention a été conclue le 8 avril 2021 entre l'Etat, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale de la recherche (ANR), la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) Bpifrance et la société anonyme Bpifrance, modifiée par un avenant du 28 septembre 2022, pour encadrer les dispositions communes aux conventions relatives à la mise en œuvre du quatrième Programme d'investissements d'avenir et du plan France 2030, puis une seconde convention a été conclue le 4 juin 2021 entre les mêmes parties pour la mise en œuvre de l'action " Soutien au déploiement " de ce programme d'investissement.

2. Pour la mise en œuvre de ces conventions, la société anonyme Bpifrance a ouvert un " appel à manifestation d'intérêt " (AMI), en vue de sélectionner des projets relatifs aux " équipements pour la troisième révolution agricole ". Le cahier des charges de cet AMI a été approuvé par un arrêté de la Première ministre du 24 novembre 2022. Ce cahier des charges prévoit notamment qu'un jury d'experts externes analyse les dossiers de candidature éligibles déposés en réponse à l'AMI et rend un avis en vue de la sélection des lauréats décidée par le comité de pilotage " Agriculture - Alimentation ".

3. La FNEDT demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de la Première ministre du 24 novembre 2022 mentionné au point 2 ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cet arrêté. Eu égard aux moyens qu'elle présente, qui portent tous sur la composition et le fonctionnement du jury d'experts externes, elle doit être regardée comme ne demandant l'annulation de cet arrêté qu'en tant qu'il a approuvé les dispositions de la section " Processus de sélection " du cahier des charges et son annexe " Composition du jury d'experts externes ".

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

4. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (...) ". Aux termes de l'article R. 341-1 du même code : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif (...) ".

5. D'une part, en tant qu'elles déterminent les règles régissant le fonctionnement du jury d'experts externes, les dispositions du cahier des charges litigieux approuvé par un arrêté de la Première ministre ont un caractère réglementaire. Par suite, en application des dispositions du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat est compétent pour statuer en excès de pouvoir sur les conclusions des requêtes dirigées contre ces clauses réglementaires. D'autre part, si les dispositions du même cahier des charges nommant les membres du jury d'experts externes ont le caractère d'une décision individuelle détachable du reste du cahier des charges et si la contestation de leur validité doit en principe être portée devant le tribunal administratif territorialement compétent, le Conseil d'Etat peut également statuer sur ces conclusions par connexité, en application des dispositions de l'article R. 341-1 du même code.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

6. Aux termes du 2° du B du I de l'article 8 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 mentionnée au point 1 : " Les procédures de sélection des projets sont ouvertes et objectives, favorisent la concurrence entre ceux-ci et font appel à des experts indépendants ou à des jurys comprenant, le cas échéant, des personnalités étrangères ". Aux termes de l'article 2.4 de la convention du 8 avril 2021 mentionnée au même point, dans sa version modifiée par l'avenant du 28 septembre 2022 : " (...) L'Opérateur ou le Gestionnaire est responsable de la mise en œuvre des procédures de sélection (...) : (...) recours à des experts externes ou le cas échéant internes (...) ". Aux termes de l'article 2.1 de la convention du 4 juin 2021 mentionnée au même point : " (...) L'instruction des dossiers est conduite dans le cadre d'une procédure de sélection ouverte et transparente, sous la responsabilité des gestionnaires. Au cours de cette instruction, les gestionnaires (...) font appel à des experts externes à l'administration et aux gestionnaires, qui peuvent se constituer sous forme de jurys ou de comités de sélection, de façon à éclairer les instances décisionnelles. Ces experts sont soumis à une obligation de confidentialité et sont tenus de se déporter lorsqu'ils identifient un risque de conflit d'intérêts ". Enfin, aux termes de l'article 2.3.3 de la même convention : " En leur qualité de tiers de confiance, les opérateurs et les gestionnaires s'engagent à respecter les règles de déontologie habituelles applicables à leur activité et à informer, dès leur identification, le SGPI et le Comité exécutif (i) des situations de conflit d'intérêts éventuellement rencontrées dans le cadre d'un projet, et (ii) des dispositions mises en œuvre pour y remédier dans les meilleurs délais ".

7. En premier lieu, ni les dispositions de l'article 8 de la loi du 9 mars 2010, ni aucune autre disposition, ni aucun principe n'imposent que les règles régissant la composition et le fonctionnement du jury d'experts externes assurent une représentation équilibrée de l'ensemble des groupes d'intérêts concernés par cet AMI, ni que les experts représentant Bpifrance soient nommément désignés dans le cahier des charges. Les moyens tirés de ce que les règles régissant la composition et le fonctionnement du jury méconnaîtraient sur ces points la loi du 9 mars 2010 et seraient entachées, faute de prévoir l'inclusion d'un représentant de la FNEDT, d'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent par suite qu'être écartés.

8. En deuxième lieu, la fédération requérante soutient que les règles régissant la composition et le fonctionnement du jury d'experts externes méconnaissent les mêmes dispositions de la loi du 9 mars 2010 et le principe général d'impartialité en ne comportant pas de garanties suffisantes pour assurer l'indépendance et l'impartialité des membres de ce jury, notamment en ne prévoyant pas d'obligation de déposer une déclaration d'intérêts. Toutefois, d'une part, hors disposition spéciale prévoyant une telle obligation, le principe d'impartialité, qui s'impose à toute l'activité administrative, n'implique pas que chaque personne qui y concourt établisse une déclaration d'intérêts. D'autre part, afin d'assurer le respect de ce principe, une procédure de signalement en cas de conflit d'intérêts de l'un des experts et un mécanisme de déport sont prévus par les dispositions de la convention du 4 juin 2021 citées au point 6. L'absence de telles garanties dans le cahier des charges lui-même n'en affecte donc pas la légalité.

9. En dernier lieu, si la fédération requérante soutient que le président du jury d'experts externes désigné par le cahier des charges litigieux entretient des liens d'intérêts avec des entreprises susceptibles d'être candidates à l'AMI, cette seule circonstance, à la supposer avérée, ne saurait par elle-même entacher d'illégalité cette désignation, dès lors que le président est soumis à l'obligation de déport mentionnée au point précédent et qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'il se trouverait, du fait de cette obligation, dans l'impossibilité systématique de participer aux travaux du jury ou tenu à des déports si fréquents que le fonctionnement du jury en serait affecté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la FNEDT doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la FNEDT est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la fédération nationale entrepreneurs des territoires et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.

Rendu le 22 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Levasseur

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 474492
Date de la décision : 22/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 2024, n° 474492
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Levasseur
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474492.20240422
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