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09/04/2024 | FRANCE | N°475638

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 09 avril 2024, 475638


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 4 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et de la prévention a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, en tant que le rejet porte sur les articles 5 à 7 de ce décret

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2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en appli...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 4 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et de la prévention a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, en tant que le rejet porte sur les articles 5 à 7 de ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 ;

- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire impose la vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, à certaines personnes, dont celles exerçant leur activité dans les établissements de santé. Mme B... a demandé au ministre de la santé et de la prévention d'abroger le décret du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, qui fixe certaines modalités concernant notamment les types de vaccins et le nombre des doses requises. Elle demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le refus né du silence gardé sur sa demande, en tant que ce refus porte sur les articles 5 à 7 du décret.

2. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé / (...) ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.

3. En premier lieu, le décret du 13 mai 2023, toujours en vigueur à la date de la présente décision, suspend l'obligation vaccinale, faisant application du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 qui dispose : " Lorsque, au regard de l'évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute Autorité de santé, l'obligation prévue au I n'est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même I ". Dans sa recommandation du 29 mars 2023 au vu de laquelle ce décret a été pris, la Haute autorité de santé a constaté l'évolution de l'épidémie ainsi que des connaissances sur le variant " Omicron " et ses sous-variants et sur l'efficacité des vaccins à leur égard. Ces circonstances ont ainsi été prises en compte. Elles ne sont pas de nature à établir que les dispositions dont l'abrogation a été demandée n'auraient plus d'utilité en cas de reprise de l'épidémie. En application du même décret du 13 mai 2023, il a été mis fin aux mesures de suspension dont avaient fait l'objet les agents publics et les salariés qui ne satisfaisaient pas à leur obligation vaccinale. Il ne peut pas, en tout état de cause, être utilement soutenu qu'elles auraient eu, lorsqu'elles étaient en vigueur, des conséquences excessives pour les personnels concernés et pour le fonctionnement du service public hospitalier dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, le juge de l'excès de pouvoir doit apprécier la légalité du refus d'abrogation du décret en litige au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa décision.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 du décret en litige, le justificatif du statut vaccinal ne peut procéder que de l'administration " a) de l'un des vaccins contre la covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'Agence européenne du médicament ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé " ou " b) d'un vaccin dont l'utilisation a été autorisée par l'Organisation mondiale de la santé et ne bénéficiant pas de l'autorisation ou de la reconnaissance mentionnées au a), à condition que toutes les doses requises aient été reçues, sept jours après l'administration d'une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager bénéficiant d'une telle autorisation ou reconnaissance ". En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, l'autorisation ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Le nombre des doses prescrites a été fixé sur la base des connaissances disponibles, notamment des avis de la Haute autorité de santé. Ainsi, les moyens tirés de ce que les vaccins et les modalités de la vaccination seraient trop peu efficaces et comporteraient des risques excessifs doivent être écartés.

5. En troisième et dernier lieu, en édictant l'obligation vaccinale pour les agents hospitaliers, le législateur a entendu protéger les personnes vulnérables et garantir la continuité des soins et de certains services. Dans sa recommandation déjà mentionnée, la Haute autorité de santé, tout en estimant que l'obligation pouvait être suspendue, a ajouté que la vaccination restait " fortement recommandée " pour ces professionnels. Il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à soutenir que la différence de traitement entre ceux-ci et le reste de la population ne serait pas justifiée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le refus implicite d'abrogation des articles 5 à 7 du décret du 30 juillet 2022 en litige serait illégal dès lors que les mesures contenues dans ces articles ne seraient ni nécessaires, ni adaptées à l'objectif poursuivi et comporteraient des effets négatifs disproportionnés à ce même objectif, et à demander l'annulation de ce refus.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 mars 2024 où siégeaient : Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 avril 2024.

La présidente :

Signé : Mme Rozen Noguellou

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 475638
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 avr. 2024, n° 475638
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475638.20240409
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