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08/04/2024 | FRANCE | N°477349

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 08 avril 2024, 477349


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 3 août 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, la société à responsabilité limitée unipersonnelle Össur France demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 février 2023 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé l'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables men

tionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que le rejet de son recour...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, la société à responsabilité limitée unipersonnelle Össur France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 février 2023 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé l'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que le rejet de son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de reprendre la procédure d'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, y compris les négociations avec le Comité économique des produits de santé sur la fixation du tarif de responsabilité et du prix limite de vente au public de ce dispositif, dans le délai de quinze jours à compter de la date de la décision à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et, subsidiairement, de procéder à une nouvelle instruction du dossier de demande d'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur cette liste dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont, par une décision du 13 février 2023, rejeté la demande, présentée par la société Össur France, d'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1, dite " liste des produits et prestations remboursables ". La société Össur France demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que du rejet de son recours gracieux.

Sur la légalité externe :

2. Le premier alinéa de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale prévoit que : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel (...) est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 161-37 (...) " dénommée, aux termes du premier alinéa de l'article R. 165-1 du même code, " Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 165-3 du code de la sécurité sociale : " Le Comité économique des produits de santé peut fixer par convention ou, à défaut, par décision les prix des produits et des prestations mentionnés à l'article L. 165-1. Lorsque le produit est inscrit sous forme de nom de marque ou de nom commercial, la convention est établie entre l'exploitant du produit concerné et le Comité économique des produits de santé dans les conditions prévues au I de l'article L. 165-4-1 ou, à défaut, par décision du Comité économique des produits de santé. / (...) L'accord mentionné au II de l'article L. 165-4-1 peut, le cas échéant, préciser le cadre applicable aux conventions mentionnées au premier alinéa du présent article ".

4. Enfin, selon l'article R. 165-7 du même code : " Lorsque l'inscription d'un produit ou d'une prestation sur la liste prévue à l'article L. 165-1 ou la modification de cette inscription est sollicitée par le fabricant ou le distributeur, la demande est adressée aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale (...). Le fabricant ou le distributeur adresse au comité économique des produits de santé copie du dossier de demande d'inscription accompagnée d'un dossier comportant les informations utiles à la tarification du produit ou de la prestation. ". Selon le premier alinéa de l'article R. 165-8 : " Les décisions relatives, d'une part, à l'inscription ou à la modification de l'inscription d'un produit ou d'une prestation sur la liste prévue à l'article L. 165-1 et, d'autre part, à la fixation de son tarif et, le cas échéant, de son prix sont prises et communiquées dans un délai de cent quatre-vingt jours à compter de la réception de la demande présentée par le fabricant ou le distributeur (...) ".

5. En premier lieu, il ne résulte pas des dispositions précitées des articles L. 165-3 et R. 165-8 du code de la sécurité sociale que la décision du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé relative à l'inscription d'un dispositif médical sur la liste prévue à l'article L. 165-1 ne pourrait être prise, ainsi que le soutient la société requérante, qu'après que le Comité économique des produits de santé a fixé, par voie conventionnelle ou unilatéralement, le tarif de responsabilité et le prix de ce dispositif. Au demeurant, la décision attaquée ayant refusé l'inscription du dispositif Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables, il n'y avait pas lieu pour le Comité économique des produits de santé de déterminer le tarif de responsabilité et le prix de ce dispositif. Enfin, la société requérante ne peut utilement, pour soutenir qu'une décision du Comité économique des produits de santé aurait été requise, invoquer l'accord-cadre conclu le 16 décembre 2011 entre ce comité et les organisations professionnelles concernées sur le fondement des dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 165-3 du code de la sécurité sociale, qui ne saurait régir les conditions d'inscription des dispositifs médicaux sur la liste des produits et prestations remboursables.

6. En deuxième lieu, si la société Össur France fait valoir que la décision attaquée est intervenue le 13 février 2023, plus de cent quatre-vingt jours après la réception de sa demande le 30 juillet 2021, soit au-delà du délai prévu par les dispositions précitées de l'article R. 165-8 du code de la sécurité sociale, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité, son expiration étant seulement susceptible de faire naître une décision implicite de rejet, à laquelle s'est substituée en l'espèce une décision expresse de refus d'inscription.

7. En troisième lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir que la décision en litige, qui revêt un caractère réglementaire, aurait été prise en méconnaissance du principe général des droits de la défense ou de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration soumettant au respect d'une procédure contradictoire préalable certaines décisions individuelles ou celles prises en considération de la personne.

Sur la légalité interne :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 165-2 du code de la sécurité sociale : " Les produits ou les prestations mentionnés à l'article L. 165-1 sont inscrits sur la liste prévue audit article au vu de l'appréciation du service qui en est attendu. " Aux termes de l'article R. 165-4 du code de la sécurité sociale : " Ne peuvent être inscrits sur la liste prévue à l'article L. 165-1 : (...) / 2° Les produits ou prestations qui n'apportent ni amélioration du service qui en est attendu ou du service qu'ils rendent, ni économie dans le coût du traitement ou qui sont susceptibles d'entraîner des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie (...) ". Sont notamment de nature à entraîner des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie, au sens de ces dispositions, les produits ou les prestations dont les tarifs de responsabilité et prix limites de vente au public proposés par le fabricant ou le distributeur ne sont pas justifiés, notamment au regard de ceux des comparateurs pertinents inscrits sur la liste.

9. Il ressort des pièces du dossier que, par un avis du 19 juillet 2022, la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé a estimé que le système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot présentait un service attendu suffisant, qu'il y avait lieu de retenir comme comparateur les pieds à restitution d'énergie de classe III et que l'amélioration du service attendu était mineure. Toutefois, eu égard au fait que la société Össur France, dans son courrier du 14 septembre 2022, demandait l'application d'un tarif de responsabilité et d'un prix limite de vente au public de 21 916,35 euros, alors que le Comité économique des produits de santé avait proposé, dans son courrier du 9 septembre 2022, un tarif de responsabilité et un prix limite de vente au public de 6 282,05 euros calculés à partir du tarif et du prix des pieds à restitution d'énergie de classe III, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé l'inscription du système prothétique Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale au motif que, compte tenu des conditions tarifaires applicables aux comparateurs pertinents du dispositif Proprio Foot, des propositions du Comité économique des produits de santé et des revendications tarifaires de la société Össur France, l'inscription de ce dispositif serait susceptible d'entraîner des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie.

10. Pour contester le refus qui lui a été opposé, la société Össur France fait valoir que le dispositif médical Proprio Foot, alors même que la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé lui a reconnu une amélioration mineure du service médical attendu par rapport aux pieds à restitution d'énergie de classe III, comparateur pertinent revendiqué par la société elle-même, repose sur une technologie très différente de ceux-ci, qui comprend notamment une cheville contrôlée par microprocesseur.

11. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de l'avis de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, que si les données d'utilisation du dispositif suggèrent une amélioration de la marche face à des obstacle de la vie courante et permettent d'attendre un réel effet sur la qualité de vie des patients, aucune diminution significative de la consommation d'oxygène moyenne en cas d'utilisation de ce dispositif n'a été mise en évidence, alors que ce critère d'appréciation avait été retenu en concertation avec la société lors d'une réunion dite " précoce " avec les services de la Haute Autorité de santé en 2014. Dans ces conditions, dès lors que les propositions tarifaires de la société Össur France étaient très supérieures aux tarifs et prix des pieds à restitution d'énergie de classe III, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pouvaient, sans erreur manifeste d'appréciation, retenir que, compte tenu de l'amélioration du service attendu mineure par rapport aux pieds à restitution d'énergie de classe III et du niveau de prix proposé par la société, l'inscription du dispositif Proprio Foot sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale était susceptible d'entraîner des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie.

12. Enfin, le dispositif Proprio Foot ne peut être regardé comme comparable au dispositif " 3100 C-Leg " d'articulation du genou intégrant un microprocesseur, lequel est destiné à traiter une autre partie du corps humain et s'est vu reconnaître une amélioration du service attendu modérée. Le moyen tiré d'une rupture d'égalité, dont résulterait une distorsion de concurrence, tenant au tarif très supérieur dont cet autre dispositif aurait pour sa part bénéficié par rapport à des dispositifs prothétiques de genoux mécaniques, ne peut dès lors qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Össur France n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 13 février 2023 lui refusant l'inscription du système prothétique pied-cheville avec microprocesseur Proprio Foot sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et du rejet de son recours gracieux. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Össur France est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée unipersonnelle Össur France et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 mars 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Verot, M. Vincent Mazauric, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 8 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 477349
Date de la décision : 08/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

SANTÉ PUBLIQUE - PHARMACIE - PRODUITS PHARMACEUTIQUES - REFUS D'INSCRIPTION SUR LA LISTE DES DISPOSITIFS MÉDICAUX À USAGE INDIVIDUEL REMBOURSABLES (ART - L - 165-1 DU CSS) – MOTIFS – PRODUITS DE NATURE À ENTRAÎNER DES DÉPENSES INJUSTIFIÉES (2° DE L’ART - R - 165-4) – INCLUSION – PRODUITS DONT LES TARIFS DE RESPONSABILITÉ ET PRIX LIMITES DE VENTE AU PUBLIC NE SONT PAS JUSTIFIÉS.

61-04-01-023 Sont notamment de nature à entraîner des dépenses injustifiées pour l’assurance maladie, au sens du 2° de l’article R. 165-4 du code de la sécurité sociale (CSS), les produits ou les prestations dont les tarifs de responsabilité et prix limites de vente au public proposés par le fabricant ou le distributeur ne sont pas justifiés, notamment au regard de ceux des comparateurs pertinents inscrits sur la liste.

SÉCURITÉ SOCIALE - PRESTATIONS - PRESTATIONS D'ASSURANCE MALADIE - REFUS D'INSCRIPTION SUR LA LISTE DES DISPOSITIFS MÉDICAUX À USAGE INDIVIDUEL REMBOURSABLES (ART - L - 165-1 DU CSS) – MOTIFS – PRODUITS DE NATURE À ENTRAÎNER DES DÉPENSES INJUSTIFIÉES (2° DE L’ART - R - 165-4) – INCLUSION – PRODUITS DONT LES TARIFS DE RESPONSABILITÉ ET PRIX LIMITES DE VENTE AU PUBLIC NE SONT PAS JUSTIFIÉS.

62-04-01 Sont notamment de nature à entraîner des dépenses injustifiées pour l’assurance maladie, au sens du 2° de l’article R. 165-4 du code de la sécurité sociale (CSS), les produits ou les prestations dont les tarifs de responsabilité et prix limites de vente au public proposés par le fabricant ou le distributeur ne sont pas justifiés, notamment au regard de ceux des comparateurs pertinents inscrits sur la liste.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 avr. 2024, n° 477349
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:477349.20240408
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