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02/04/2024 | FRANCE | N°471229

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 02 avril 2024, 471229


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 février et 25 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... V... et M. C... D... demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1543 du 8 décembre 2022 portant dissolution du groupement de fait " Ferveur Parisienne " ;



2°) de diligenter une mesure d'instruction auprès du procureur de la République de Lille afin de se voir communiquer le procès-verb

al d'interpellation et de fouille en date du 20 août 2022 concernant la découverte de gants coqués...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 février et 25 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... V... et M. C... D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1543 du 8 décembre 2022 portant dissolution du groupement de fait " Ferveur Parisienne " ;

2°) de diligenter une mesure d'instruction auprès du procureur de la République de Lille afin de se voir communiquer le procès-verbal d'interpellation et de fouille en date du 20 août 2022 concernant la découverte de gants coqués ou toute autre arme ;

3°) de produire l'avis du 9 novembre 2022 de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. V..., ancien président de l'association " Ferveur Parisienne ", et M. D..., représentant du groupement de fait " Ferveur Parisienne ", demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 8 décembre 2022 ayant prononcé la dissolution de ce groupement de fait sur le fondement de l'article L. 332-18 du code du sport.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Après l'expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s'ils sont d'ordre public, les moyens soulevés par le demandeur qui relèvent d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués dans sa demande avant l'expiration de ce délai. Ce délai de recours commence, en principe, à courir à compter de la publication ou de la notification complète et régulière de l'acte attaqué.

3. Il en résulte que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'adoption du décret attaqué, qui n'ont été soulevés par les requérants que dans leur mémoire enregistré le 25 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, sont irrecevables, dès lors qu'ils ont été présentés plus de deux mois après l'expiration du délai de recours contentieux qui courait en l'espèce à compter de la publication du décret attaqué au Journal officiel de la République française du 10 décembre 2022.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 332-18 du code du sport : " Peut être dissous ou suspendu d'activité pendant douze mois au plus par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l'article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l'occasion d'une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d'une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ". L'article L. 332-19 du même code prévoit des sanctions pénales pour les personnes qui participent au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une association ou d'un groupement dissous en application de l'article L. 332-18, ou qui organisent ce maintien ou cette reconstitution, ou qui participent aux activités qu'une association suspendue d'activité s'est vu interdire en application du même article ou qui organisent ces activités, ces peines étant aggravées lorsque les infractions à l'origine de la dissolution ou de la suspension de l'association ou du groupement ont été commises à raison de l'origine de la victime, de son orientation sexuelle ou identité de genre, de son sexe ou de son appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

5. La décision de dissolution ou de suspension de l'activité d'une association ou d'un groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive, prise sur le fondement de l'article L. 332-18 du code du sport, ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

6. Compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, dans le cas où une association ou un groupement de fait s'avère poursuivre les activités d'une association ou d'un groupement de fait dont les organes statutaires ou les dirigeants ont volontairement prononcé la dissolution, l'autorité administrative peut, pour prendre une mesure de suspension ou de dissolution sur le fondement de l'article L. 332-18 du code du sport à l'égard de l'association ou du groupement de fait qui a poursuivi les activités de l'association ou du groupement dissous, se fonder non seulement sur les agissements commis par ses membres entrant dans le champ de cet article mais aussi sur de tels agissements commis, antérieurement à la dissolution volontaire, par les membres de l'association ou du groupement de fait dissous dont il a poursuivi l'activité.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'en dépit de sa dissolution volontaire le 6 avril 2022, l'association de supporteurs dénommée " Porte 411 " puis " Ferveur Parisienne ", a, ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur et des outre-mer, poursuivi, sous la forme d'un groupement de fait, son activité consistant à soutenir l'équipe du Paris Saint-Germain, association sportive mentionnée à l'article L. 122-1 du code du sport, en continuant à rassembler de nombreux membres autour de ses principaux animateurs, dont M. V..., ancien président de l'association, et son ancien vice-président, ainsi qu'en adoptant les symboles et les modes d'intervention antérieurs de cette association. L'existence du groupement de fait dit " Ferveur Parisienne ", dont M. D... déclare d'ailleurs être le représentant dans la présente instance, s'est manifestée tout au long de l'année 2022 à l'occasion de différentes rencontres sportives comme en attestent en particulier les photographies versées au dossier. Il ressort également des pièces du dossier que des membres de l'association puis du groupement de fait ont commis en réunion, entre 2019 et 2022, soit avant comme après la dissolution volontaire, en relation ou à l'occasion de manifestations sportives, des actes répétés constitutifs de dégradations de biens ou de violence sur des personnes. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en l'absence de continuité caractérisée de l'association " Ferveur Parisienne ", qui a prononcé d'elle-même sa dissolution, à travers un groupement de fait qui maintiendrait ses activités, un tel groupement de fait n'existerait pas et ne pourrait faire l'objet d'une mesure de dissolution.

8. En deuxième lieu, pour justifier la mesure de dissolution, le décret attaqué, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, pouvait légalement se référer à des incidents intervenus avant la dissolution volontaire de l'association dont il a pris la suite, retient que les membres de " Ferveur Parisienne " sont régulièrement impliqués, depuis plusieurs années, dans des violences et des rixes qui ont occasionné plusieurs blessés ou des tentatives de rixes dans des enceintes sportives ou à leurs abords. Parmi les seize incidents mentionnés par le décret, dont un en 2019, deux en 2020, huit en 2021 et cinq en 2022, il ressort des éléments versés au dossier, qui ne sont pas sérieusement contestés par les allégations ou les éléments produits par les requérants, que les membres de " Ferveur Parisienne " se sont, parfois avec usage d'armes par nature ou par destination, livrés à des actes de violence contre les supporteurs d'autres équipes sous forme de rixes, d'agressions individuelles ou d'affrontements avec d'autres groupes, en relation ou à l'occasion de rencontres sportives, certaines de ces actions ayant pris fin du fait de l'intervention des forces de l'ordre. Il n'est par ailleurs pas contesté que les membres de " Ferveur Parisienne " se sont, comme le retient le décret attaqué, aussi livrés à des dégradations de biens dans des enceintes sportives ou à leurs abords lors de manifestations sportives. En revanche, ainsi que le font valoir les requérants, il n'est pas établi par les pièces versées au dossier que seraient imputables à des membres de " Ferveur Parisienne ", du fait de leur simple présence attestée dans les villes ou aux abords des stades, les actes de violence commis les 28 août 2020, 6 septembre 2021, 21 septembre 2021 et 23 septembre 2022. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le décret s'est à bon droit fondé sur la commission, entre 2019 et 2022, d'actes répétés constitutifs de violence sur des personnes ou de dégradations de biens imputables aux membres du groupement de fait ou de l'association dont il a poursuivi l'activité.

9. Eu égard au caractère répété des actes constitutifs de violence sur des personnes, ainsi que de leur gravité, ou constitutifs de dégradation de biens, qui se sont au demeurant poursuivis en dépit de mesures administratives et judiciaires prises individuellement à l'encontre de certains membres du groupement de fait, la mesure de dissolution attaquée, qui n'avait pas à être précédée d'une première mesure de suspension temporaire et qui est, par ailleurs, indépendante de l'exercice de poursuites pénales et du prononcé de mesures administratives d'interdiction de stade, est adaptée, nécessaire et proportionnée. Si quatre incidents sur les seize retenus par le décret attaqué doivent être regardés comme ne pouvant justifier la mesure prise, il résulte de l'instruction que la Première ministre aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur les autres incidents imputés aux membres du groupement de fait, qui sont, à eux seuls, de nature à justifier la dissolution. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté d'association ou les stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées, que la requête de M. V... et M. D... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. V... et M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F... V..., premier désigné pour l'ensemble des requérants, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 mars 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 2 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Emmanuel Weicheldinger

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 471229
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 avr. 2024, n° 471229
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel Weicheldinger
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471229.20240402
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