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02/04/2024 | FRANCE | N°470790

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 02 avril 2024, 470790


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Le Bloc Lorrain " et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 23 novembre 2022 portant dissolution de l'association Le Bloc Lorrain.





Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Le Bloc Lorrain " et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 23 novembre 2022 portant dissolution de l'association Le Bloc Lorrain.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association " Le Bloc Lorrain " et de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

2. Eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public.

3. Il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qu'une dissolution ne peut être justifiée sur leur fondement que lorsqu'une association ou un groupement, à travers ses dirigeants ou un ou plusieurs de ses membres agissant en cette qualité ou directement liés à ses activités, dans les conditions fixées à l'article L. 212-1-1, incite des personnes, par propos ou par actes, explicitement ou implicitement, à se livrer à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public. Si la commission d'agissements violents par des membres de l'organisation n'entre pas par elle-même dans le champ de ces dispositions, le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions. Constitue également une telle provocation le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence.

4. La décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

Sur la requête :

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'association " Le Bloc Lorrain " a associé à ses nombreuses publications sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des scènes d'émeute et des violences contre les forces de l'ordre, des incendies et des dégradations de biens. Elle les a diffusées, en particulier, à l'appui de ses messages appelant à manifester et de ceux rendant compte des manifestations auxquelles elle avait appelé à participer. Dans le contexte de ces diffusions, et alors que ses textes et dessins étaient par ailleurs haineux, menaçants et injurieux à l'encontre de la police nationale, ces diffusions ne peuvent être regardées que comme légitimant explicitement de tels actes de violence à l'encontre de personnes ou de biens et appelant, au moins implicitement, à en commettre de semblables.

6. En deuxième lieu, si le ministre n'établit pas par les éléments versés au dossier que l'association a effectivement organisé les stages destinés à entraîner ses membres à l'affrontement contre les forces de l'ordre qu'elle avait publiquement annoncés, il ressort des pièces du dossier que l'association " Le Bloc Lorrain ", qui s'est réclamée, explicitement et implicitement, des " black blocs ", a diffusé des consignes d'habillement et d'équipement destinées à l'affrontement contre les forces de l'ordre et visant à éviter l'identification des manifestants à l'occasion de tels affrontements.

7. En troisième lieu, si la condamnation de certains membres de l'association pour des agissements violents n'entre pas, par elle-même, dans le champ des dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, il en va différemment, comme cela a été dit au point 3, du fait pour l'association de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soient les auteurs. Or, il ressort des pièces du dossier que l'association n'a jamais désavoué les actes de violence contre les forces de l'ordre, dont elle n'a cessé, au contraire, de faire la promotion, publiant notamment des images de fonctionnaires de police violemment attaqués, en particulier une vidéo d'un gendarme mobile blessé à terre et frappé par un manifestant.

8. En quatrième lieu, si l'association soutient qu'elle déclarait ses manifestations et négociait leurs itinéraires, il ressort des pièces du dossier qu'elle ne respectait pas ceux-ci et que ses actions conduisaient à des débordements.

9. Eu égard à la teneur, à la gravité et à la récurrence des actes relevés et à la gravité des atteintes qu'ils étaient de nature à porter à l'ordre public, et alors même que l'association fait valoir qu'elle entendait s'inscrire dans un débat d'intérêt général, la mesure de dissolution contestée ne peut être regardée, en l'espèce, comme portant à la liberté d'expression et à la liberté d'association des limitations qui ne seraient pas adaptées, nécessaires et proportionnées.

10. Il résulte de ce tout qui précède que l'association " Le Bloc Lorrain " et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qui a prononcé la dissolution de cette association.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association " Le Bloc Lorrain " et de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association " Le Bloc Lorrain ", première requérante dénommée, pour les deux requérants, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 mars 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 2 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470790
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 avr. 2024, n° 470790
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470790.20240402
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