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28/03/2024 | FRANCE | N°476014

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 28 mars 2024, 476014


Vu la procédure suivante :



Mme D... B... A..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, dont le président a transmis sa demande au tribunal administratif de Toulon, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 217 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un délai excessif d'instruction de sa demande d'échange de son permis de conduire malgache contre un permis français. Par un jugement n° 2101670 du 11 mai 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a fait droit

sa demande.



Par un pourvoi enregistré le 17 juillet 20...

Vu la procédure suivante :

Mme D... B... A..., épouse C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, dont le président a transmis sa demande au tribunal administratif de Toulon, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 217 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un délai excessif d'instruction de sa demande d'échange de son permis de conduire malgache contre un permis français. Par un jugement n° 2101670 du 11 mai 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande.

Par un pourvoi enregistré le 17 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions de première instance de Mme B... A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la route ;

- le décret n° 2014-1294 du 23 octobre 2014 ;

- l'arrêté interministériel du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme B... A..., épouse C..., titulaire d'un permis de conduire obtenu à Madagascar, réside habituellement en France depuis le mois de juillet 2018. Le 7 janvier 2019, elle a demandé l'échange de son permis de conduire malgache contre un permis français. Sa demande a fait l'objet d'une décision explicite de rejet le 12 mai 2020, au motif de l'inexistence d'un accord de réciprocité entre la France et Madagascar. Estimant avoir subi des préjudices du fait d'un délai excessif d'instruction de sa demande, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser, en réparation, une indemnité de 4 217 euros. Par le jugement du 11 mai 2023 contre lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : " Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article R. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères. Au terme de ce délai, ce permis n'est plus reconnu et son titulaire perd tout droit de conduire un véhicule pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé ". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012 pris pour l'application de ces dispositions : " I. - Pour être échangé contre un titre français, tout permis de conduire délivré par un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen doit répondre aux conditions suivantes : / A. Avoir été délivré au nom de l'Etat dans le ressort duquel le conducteur avait alors sa résidence normale, sous réserve qu'il existe un accord de réciprocité entre la France et cet Etat (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que, pour déterminer si un permis de conduire délivré par un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne ni à l'Espace économique européen est susceptible d'être échangé contre un permis français, il y a lieu de vérifier si cet Etat est lié à la France par un accord de réciprocité en matière d'échange de permis de conduire.

4. Pour juger que la requérante aurait pu bénéficier avant le 31 mars 2020 de l'échange de son permis de conduire malgache contre un permis de conduire français, le tribunal administratif s'est fondé sur un faisceau d'indices démontrant selon lui que, contrairement à ce que soutenait le préfet en défense en produisant la liste des traités et accords internationaux de la France publiée par le ministère des Affaires étrangères, Madagascar avait été lié à la France par un " accord au moins informel de réciprocité en matière d'échange de permis de conduire jusqu'au 31 mars 2020 ". En s'appuyant notamment sur une circulaire du ministre de l'intérieur du 3 août 2012, une liste publiée sur un site internet administratif et la réponse du ministre de l'Europe et des affaires étrangères à la question d'une parlementaire, qui montraient tout au plus l'existence d'une pratique d'échange des permis de conduire malgaches par l'administration française, sans rechercher s'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu'il existait un accord de réciprocité conclu entre la France et Madagascar et régulièrement introduit dans l'ordre juridique français, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande d'indemnisation :

7. D'une part, si Mme B... A... soutient qu'il a été mis fin le 31 mars 2020 à un accord de réciprocité en matière d'échange de permis de conduire entre la France et Madagascar, aucun accord de ce type n'existe, ni n'existait avant cette date, ainsi que le fait valoir le ministre sans être utilement contredit. Il s'ensuit que la requérante, qui ne saurait en tout état de cause se prévaloir d'une pratique administrative non conforme à la loi, n'avait aucun droit, même à la date de dépôt de sa demande, à l'échange de son permis de conduire malgache contre un permis de conduire français. Elle n'est dès lors pas fondée à demander l'indemnisation des préjudices que lui aurait causés l'obligation de passer les épreuves du permis de conduire en France, qui est sans lien avec le délai mis à statuer explicitement sur sa demande d'échange.

8. D'autre part, il est constant que Mme B... A..., qui disposait d'une attestation de dépôt de son permis de conduire malgache l'autorisant à conduire jusqu'au 7 janvier 2020, n'a eu de réponse explicite et motivée à sa demande d'échange que le 12 mai 2020, soit quatre mois après l'expiration de cette autorisation. Elle n'allègue pas, cependant, avoir entrepris une quelconque démarche pour la faire prolonger, ou pour contester la décision implicite de rejet de sa demande d'échange qui, en application des dispositions de l'article 1er du décret du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe " silence vaut acceptation " (ministère de l'intérieur), était née deux mois après le dépôt de sa demande. En tout état de cause, en se bornant à affirmer que l'usage d'une voiture lui était nécessaire pour différentes activités, elle ne démontre nullement les troubles dans les conditions d'existence qu'elle dit avoir subis, à supposer que le délai mis à statuer explicitement sur sa demande puisse être qualifié d'excessif et de fautif.

9. Il résulte de ce qui précède que la demande de Mme B... A... devant le tribunal administratif doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 11 mai 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La requête de Mme B... A... devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme D... B... A..., épouse C....

Délibéré à l'issue de la séance du 29 février 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Amel Hafid

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 476014
Date de la décision : 28/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 mar. 2024, n° 476014
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amel Hafid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:476014.20240328
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