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22/03/2024 | FRANCE | N°474404

France | France, Conseil d'État, Formation spécialisée, 22 mars 2024, 474404


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 mai et 1er décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat :



1°) de vérifier si des techniques de renseignement ont été irrégulièrement mises en œuvre à son égard ;



2°) si tel est le cas, d'annuler leur autorisation, d'ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés et de l'en informer ;



3°) de condamner l'

Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre irrégulière ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 mai et 1er décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) de vérifier si des techniques de renseignement ont été irrégulièrement mises en œuvre à son égard ;

2°) si tel est le cas, d'annuler leur autorisation, d'ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés et de l'en informer ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre irrégulière de techniques de renseignement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

-la décision n° 2015-713 DC du Conseil constitutionnel du 23 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, Mme C... et, d'autre part, le Premier ministre et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;

Et après avoir entendu en séance :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat,

- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a saisi la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) afin de vérifier qu'aucune technique de renseignement n'était irrégulièrement mise en œuvre à son égard. Par lettre du 20 mars 2023, le président de la Commission a informé Mme C... qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications requises et que la procédure était terminée, sans apporter à l'intéressée d'autres informations. Mme C... demande au Conseil d'Etat de vérifier si des techniques de renseignement n'ont pas été irrégulièrement mises en œuvre à son égard.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 821-1 du code de la sécurité intérieure : " La mise en œuvre sur le territoire national des techniques de recueil de renseignement mentionnées aux chapitres Ier à IV du titre V du présent livre est soumise à autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ". Aux termes de l'article L. 833-1 du même code: " La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement veille à ce que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le territoire national conformément au présent livre ". L'article L. 833-4 du même code précise que : " De sa propre initiative ou lorsqu'elle est saisie d'une réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à son égard, la commission procède au contrôle de la ou des techniques invoquées en vue de vérifier qu'elles ont été ou sont mises en œuvre dans le respect du présent livre. Elle notifie à l'auteur de la réclamation qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer leur mise en œuvre ".

3. L'article L. 821-7 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste ne peut être l'objet d'une demande de mise en œuvre, sur le territoire national, d'une technique de recueil de renseignement mentionnée aux chapitres Ier à IV du titre V du présent livre à raison de l'exercice de son mandat ou de sa profession. Lorsqu'une telle demande concerne l'une de ces personnes ou ses véhicules, ses bureaux ou ses domiciles, l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est examiné en formation plénière. / Le caractère d'urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 821-1 ne peut être invoqué pour les autorisations concernant l'une des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article ou ses véhicules, ses bureaux ou ses domiciles. / La commission est informée des modalités d'exécution des autorisations délivrées en application du présent article. / Les transcriptions des renseignements collectés en application du présent article sont transmises à la commission, qui veille au caractère nécessaire et proportionné des atteintes, le cas échéant, portées aux garanties attachées à l'exercice de ces activités professionnelles ou mandats. ". Aux termes de l'article L. 854-3 du même code : " Les personnes qui exercent en France un mandat ou une profession mentionné à l'article L. 821-7 ne peuvent faire l'objet d'une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concerné ".

4. L'article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Sous réserve des dispositions particulières prévues à l'article L. 854-9 du présent code, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du présent livre. / Il peut être saisi par : / 1° Toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à son égard et justifiant de la mise en œuvre préalable de la procédure prévue à l'article L. 833-4 ; /2° La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les conditions prévues à l'article L. 833-8. / Lorsqu'une juridiction administrative ou une autorité judiciaire est saisie d'une procédure ou d'un litige dont la solution dépend de l'examen de la régularité d'une ou de plusieurs techniques de recueil de renseignement, elle peut, d'office ou sur demande de l'une des parties, saisir le Conseil d'Etat à titre préjudiciel. Il statue dans le délai d'un mois à compter de sa saisine ". Ces dispositions s'appliquent aux techniques de renseignement mises en œuvre à compter de la date de leur entrée en vigueur, y compris celles qui, initiées avant cette date, ont continué à être mises en œuvre après.

5. Aux termes de l'article L. 773-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat examine les requêtes présentées sur le fondement des articles L. 841-1 et L. 841-2 du code de la sécurité intérieure conformément aux règles générales du présent code, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 773-2 du même code : " Sous réserve de l'inscription à un rôle de l'assemblée du contentieux ou de la section du contentieux qui siègent alors dans une formation restreinte, les affaires relevant du présent chapitre sont portées devant une formation spécialisée (...). Dans le cadre de l'instruction de la requête, les membres de la formation de jugement et le rapporteur public sont autorisés à connaître de l'ensemble des pièces en possession de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ou des services mentionnés à l'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure et ceux désignés par le décret en Conseil d'Etat mentionné à l'article L. 811-4 du même code et utiles à l'exercice de leur office, y compris celles protégées au titre de l'article 413-9 du code pénal ". Aux termes de l'article L. 773-3 du même code : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 du présent code sont adaptées à celles du secret de la défense nationale (...) /. La formation chargée de l'instruction entend les parties séparément lorsqu'est en cause le secret de la défense nationale ". Aux termes de l'article L. 773-4 du même code : " Le président de la formation de jugement ordonne le huis-clos lorsque est en cause le secret de la défense nationale ". Aux termes de l'article L. 773-6 du même code : " Lorsque la formation de jugement constate l'absence d'illégalité dans la mise en œuvre d'une technique de recueil de renseignement, la décision indique au requérant ou à la juridiction de renvoi qu'aucune illégalité n'a été commise, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d'une technique ". Aux termes de l'article L. 773-7 : " Lorsque la formation de jugement constate qu'une technique de recueil de renseignement est ou a été mise en œuvre illégalement ou qu'un renseignement a été conservé illégalement, elle peut annuler l'autorisation et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés. / Sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale, elle informe la personne concernée ou la juridiction de renvoi qu'une illégalité a été commise. Saisie de conclusions en ce sens lors d'une requête concernant la mise en œuvre d'une technique de renseignement ou ultérieurement, elle peut condamner l'Etat à indemniser le préjudice subi (...) ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. / Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. / Lorsqu'une intervention est formée, le président de la formation spécialisée ordonne, s'il y a lieu, que le mémoire soit communiqué aux parties, et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles mentionnées à l'alinéa précédent ".

6. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative, saisie de conclusions tendant à ce qu'elle s'assure qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à l'égard du requérant, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant fait ou non l'objet d'une telle technique. Lorsqu'il apparaît soit qu'aucune technique de renseignement n'est mise en œuvre à l'égard du requérant, soit que cette mise en œuvre n'est entachée d'aucune illégalité, la formation de jugement informe le requérant de l'accomplissement de ces vérifications, sans indiquer si une technique de recueil de renseignement a été mise en œuvre à son égard. Dans le cas où une technique de renseignement est mise en œuvre dans des conditions entachées d'illégalité, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut, par ailleurs, annuler l'autorisation et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés.

Sur la demande de Mme C... :

7. D'une part, il ressort des dispositions des articles L. 821-7 et L. 854-3 du code de la sécurité intérieure, citées au point 3, que la mise en œuvre de techniques de renseignement, sur le territoire national comme dans le cadre des communications internationales, est interdite à l'égard de tout avocat à raison de l'exercice de sa profession. Si cette mise en œuvre est possible en dehors de l'exercice de sa profession, elle fait alors l'objet des modalités de contrôle renforcées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, mentionnées au point 3, et exclut la mise en œuvre de la procédure d'urgence prévue par l'article L. 821-1 en cas d'avis défavorable de cette commission. Enfin ces techniques sont soumises à l'entier contrôle de la formation spécialisée. Il s'ensuit que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions législatives méconnaitraient le droit au respect de la vie privée et le respect des droits de la défense, garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute d'instituer un principe clair d'interdiction de mise en œuvre des techniques de renseignement dans les relations entre un avocat et son client. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, ces dispositions législatives ne nécessitaient pas de mesures réglementaires spécifiques d'application pour entrer en vigueur.

8. D'autre part, la formation spécialisée a examiné, selon les modalités décrites au point 6, les éléments fournis par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui a précisé l'ensemble des vérifications auxquelles elle a procédé, et par le Premier ministre. A l'issue de cet examen, il y a lieu de répondre à Mme C... que la vérification qu'elle a sollicitée a été effectuée et n'appelle aucune mesure de la part du Conseil d'Etat. Ses conclusions à fin d'injonction et de condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis doivent en conséquence être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il a été procédé à la vérification demandée par Mme C....

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., au Premier ministre et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mars 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président de la formation spécialisée, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 22 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Escaut

Le secrétaire :

Signé : M. Valéry Cérandon-Merlot


Synthèse
Formation : Formation spécialisée
Numéro d'arrêt : 474404
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROITS DE LA DÉFENSE ET DROIT À LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE (ART - 6 ET 8 CONV - EDH) – MÉCONNAISSANCE PAR LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE À L’ÉGARD DES AVOCATS DE TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT (ART - L - 821-7 DU CSI) – ABSENCE [RJ1].

26-055-01 Il ressort des articles L. 821-7 et L. 854-3 du code de la sécurité intérieure (CSI) que la mise en œuvre de techniques de renseignement, sur le territoire national comme dans le cadre des communications internationales, est interdite à l’égard de tout avocat à raison de l’exercice de sa profession. Si cette mise en œuvre est possible en dehors de l’exercice de sa profession, elle fait alors l’objet des modalités de contrôle renforcées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et exclut la mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue par l’article L. 821-1 en cas d’avis défavorable de cette commission. Enfin ces techniques sont soumises à l’entier contrôle de la formation spécialisée....Par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée et le respect des droits de la défense, garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH).

POLICE - ÉTENDUE DES POUVOIRS DE POLICE - TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT – CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE À L’ÉGARD DES AVOCATS (ART - L - 821-7 DU CSI) – MÉCONNAISSANCE DU DROIT À LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE ET DES DROITS DE LA DÉFENSE (ART - 6 ET 8 CONV - EDH) – ABSENCE [RJ1].

49-03 Il ressort des articles L. 821-7 et L. 854-3 du code de la sécurité intérieure (CSI) que la mise en œuvre de techniques de renseignement, sur le territoire national comme dans le cadre des communications internationales, est interdite à l’égard de tout avocat à raison de l’exercice de sa profession. Si cette mise en œuvre est possible en dehors de l’exercice de sa profession, elle fait alors l’objet des modalités de contrôle renforcées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et exclut la mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue par l’article L. 821-1 en cas d’avis défavorable de cette commission. Enfin ces techniques sont soumises à l’entier contrôle de la formation spécialisée....Par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée et le respect des droits de la défense, garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (conv. EDH).


Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2024, n° 474404
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Escaut
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474404.20240322
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