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22/03/2024 | FRANCE | N°459000

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 22 mars 2024, 459000


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 novembre 2021 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant les conditions d'organisation et de prise en charge des parcours d'assistance médicale à la procréation.





Vu les autres pièces d

u dossier ;



Vu :

- la Constitution ;

- la con...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 novembre 2021 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant les conditions d'organisation et de prise en charge des parcours d'assistance médicale à la procréation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;

- la décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article L. 2141-10. / Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs. / Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons. / (...) Une étude de suivi est proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit. / Les conditions d'âge requises pour bénéficier d'une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître. / Lorsqu'un recueil d'ovocytes par ponction a lieu dans le cadre d'une procédure d'assistance médicale à la procréation, il peut être proposé de réaliser dans le même temps une autoconservation ovocytaire ". Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " I.- Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée peut bénéficier du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, en vue de la préservation ou de la restauration de sa fertilité ou en vue du rétablissement d'une fonction hormonale (...) ". Aux termes de l'article L. 2141-12 de ce code : " I.- Une personne majeure qui répond à des conditions d'âge fixées par un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine, peut bénéficier, après une prise en charge médicale par l'équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, du recueil, du prélèvement et de la conservation de ses gamètes en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation dans les conditions prévues au présent chapitre (...) ".

2. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 28 septembre 2021 fixant les conditions d'organisation et de prise en charge des parcours d'assistance médicale à la procréation a notamment précisé, dans un nouvel article R. 2141-36 du code de la santé publique, les conditions d'âge pour bénéficier d'un prélèvement ou recueil de ses gamètes en vue d'une assistance médicale à la procréation ou d'un prélèvement ou recueil de gamètes ou de tissus germinaux effectué en application de l'article L. 2141-11 de ce code en vue d'une assistance médicale à la procréation ultérieure, dans un nouvel article R. 2141-37, celles pour bénéficier de l'autoconservation de ses gamètes en vue de la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation, ainsi que, dans un nouvel article R. 2141-38, celles pour bénéficier de l'insémination artificielle, de l'utilisation de gamètes ou de tissus germinaux recueillis, prélevés ou conservés à des fins d'assistance médicale à la procréation ainsi que du transfert d'embryons. Dans le dernier état de ses écritures, le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles demande l'annulation du seul article R. 2141-38 en tant qu'à son 1°, il prévoit que ces opérations peuvent être réalisées jusqu'à son quarante-cinquième anniversaire " chez la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l'enfant ".

3. En premier lieu, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions qu'elle attaque seraient illégales faute que l'avis émis par l'Agence de la biomédecine le 14 juin 2021 en application des articles L. 2141-2 et L. 2141-12 du code de la santé publique ait été préalablement rendu public, aucun texte ni aucun principe ne l'imposant.

4. En deuxième lieu, par sa décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans la présente instance par l'association requérante, le Conseil constitutionnel a, s'agissant des dispositions de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, citées au point 1, qui ouvrent l'accès à l'assistance médicale à la procréation aux couples formés d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ainsi qu'aux femmes non mariées et privent de cet accès les hommes seuls ou en couple avec un homme, excluant ainsi les personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles, écarté les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité, de l'incompétence négative, de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale, de la liberté personnelle, ainsi que de la méconnaissance des autres droits ou libertés que la Constitution garantit et déclaré ces dispositions, dans les motifs et le dispositif de sa décision, conformes à la Constitution.

5. Par suite, d'une part, le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles n'est pas fondé à soutenir que l'article R. 2141-38 du code de la santé publique serait illégal au motif que les dispositions législatives dont il fait application seraient contraires à la Constitution.

6. D'autre part, en faisant référence à " la femme (...) qui a vocation à porter l'enfant ", le 1° de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique crée par l'article 1er du décret attaqué s'est borné à tirer les conséquences de ce que le législateur avait entendu exclure que des personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles accèdent à l'assistance médicale à la procréation en vue de mener elles-mêmes une grossesse. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'article R. 2141-38 du code de la santé publique méconnaîtrait, pour ce motif, l'article L. 2141-2 de ce code ou le principe d'égalité.

7. Enfin, ni ces dispositions, qui se bornent comme il a été dit à tirer les conséquences des choix opérés par le législateur, ni celles de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, si le moyen devait être regardé comme également dirigé contre ces dispositions législatives, ne privent par elles-mêmes les personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles, de la possibilité de devenir parent ou de celle de bénéficier, dans les conditions prévues par la loi pour les couples formés d'un homme et d'une femme, de l'assistance médicale à la procréation. L'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en prenant ainsi en considération la situation des personnes au regard de leur état civil en vue notamment de permettre l'établissement d'une filiation maternelle à l'égard de la personne qui accouche, aurait excédé la marge d'appréciation qui est la sienne en la matière, de sorte que ces dispositions porteraient par elles-mêmes une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou seraient constitutives d'une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de cette convention.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions qu'elle attaque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à l'Agence de la biomédecine.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 mars 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Célia Verot, M. Alban de Nervaux, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 22 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 459000
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2024, n° 459000
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:459000.20240322
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