Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 mai 2022 et le 8 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d'application de la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement ;
2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " La prohibition consacrée par l'article 12§2 de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d'assurances, selon laquelle les autorités nationales compétentes désignées par les Etats membres, et chargées de veiller à la mise en œuvre des dispositions de la présente directive, ne sont pas des entreprises d'assurance ou de réassurance, ou des intermédiaires d'assurance ou de réassurance, permet-elle aux associations professionnelles nationales, lesquelles sont constituées d'intermédiaires d'assurance ou de réassurance, de contrôler et de sanctionner le respect par leurs pairs des dispositions de l'article 10 de cette même directive ' Dans l'affirmative, l'exigence d'impartialité, consacrée à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit-elle être interprétée comme permettant aux associations nationales professionnelles, composées d'intermédiaires d'assurance ou de réassurance, de contrôler et de sanctionner leurs pairs ' " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 12 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 ;
- la directive 2016/97/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 ;
- le code des assurances ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2021-402 du 8 avril 2021 ;
- la décision n° 2022-1015 QPC du 21 octobre 2022 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement a respectivement institué, aux articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-1 du code monétaire et financier, l'obligation, d'une part, pour les courtiers d'assurance ou de réassurance et leurs mandataires et, d'autre part, pour les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement et leurs mandataires, d'adhérer à une association professionnelle agréée chargée du suivi de l'activité et de l'accompagnement de ses membres. Cette association professionnelle représentative offre à ses membres un service de médiation, vérifie les conditions d'accès et d'exercice de leur activité ainsi que le respect des exigences professionnelles et organisationnelles qui leur sont applicables et offre un service d'accompagnement et d'observation de l'activité et des pratiques professionnelles, notamment par la collecte de données statistiques.
2. L'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d'application de la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, pris pour l'application des articles L. 513-3 et suivants du code des assurances et L. 519-11 et suivants du code monétaire et financier.
3. En premier lieu, l'obligation d'adhérer à une association professionnelle agréée, tout comme la détermination des personnes soumises à cette obligation, résultent directement des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier, dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution, dans leur rédaction issue de la loi du 8 avril 2021, par la décision n° 2022-1015 QPC du 21 octobre 2022 du Conseil constitutionnel. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué porterait atteinte à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à la liberté syndicale et à la liberté d'association, en ce qu'il imposerait aux courtiers d'assurance ou de réassurance, aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ainsi qu'à leurs mandataires respectifs d'adhérer à une association professionnelle agréée, doit être écarté, dès lors qu'il se borne, ce faisant, à mettre en œuvre ces dispositions législatives. Doit également être écarté le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait le principe constitutionnel d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en imposant cette adhésion à certains professionnels alors qu'il en dispense les autres intermédiaires d'assurance, notamment les agents généraux d'assurance et leurs mandataires respectifs.
4. En deuxième lieu, s'il est soutenu qu'en imposant aux courtiers d'assurance ou de réassurance, aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ainsi qu'à leurs mandataires respectifs d'adhérer à une association professionnelle agréée, alors qu'il ne prévoit qu'une simple faculté d'adhésion pour ces mêmes personnes lorsqu'elles exercent en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement, le décret attaqué institue une discrimination à rebours au détriment des ressortissants nationaux, la différence de traitement critiquée résulte directement des dispositions du paragraphe I de l'article L. 513-3 du code des assurances et du paragraphe I de l'article L. 519-11 du code monétaire et financier. Or, ainsi qu'il a été dit au point 3, ces dispositions législatives ont été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2022-1015 QPC du 21 octobre 2022 après que le Conseil constitutionnel a relevé que les professionnels soumis à l'obligation d'adhérer à une association professionnelle agréée, " qui exercent leurs activités à titre indépendant et sous le statut de commerçant, ne se trouvent pas placés dans la même situation que les courtiers exerçant en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement, qui sont déjà immatriculés dans leur État d'origine ". Par suite, ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.
5. En troisième lieu, le pouvoir de sanction conféré aux associations professionnelles agréées résulte directement des dispositions des articles L. 513-5 et L. 513-6 du code des assurances et L. 519-13 et L. 519-14 du code monétaire et financier. Ainsi, aux termes du paragraphe II des articles L. 513-6 du code des assurances et L. 519-14 du code monétaire et financier, l'association professionnelle agréée n'est pas compétente pour sanctionner les manquements de ses membres qui relèvent exclusivement de la compétence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Or, par sa décision précitée n° 2022-1015 QPC du 21 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots " ainsi que les sanctions qu'elles sont susceptibles de prononcer à l'encontre des membres " figurant aux paragraphes II respectifs de l'article L. 513-5 du code des assurances et de l'article L. 519-13 du code monétaire et financier, ainsi que les premiers alinéas respectifs du paragraphe I de l'article L. 513-6 du code des assurances et de l'article L. 519-14 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de la loi du 8 avril 2021, en retenant que ces dispositions législatives, n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer aux associations professionnelles agréées le pouvoir de prononcer des sanctions ayant le caractère d'une punition. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne peut qu'être écarté, tout comme celui tiré de ce que le décret méconnaîtrait le principe non bis in idem et le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
6. En quatrième lieu, en vertu du paragraphe II des articles L. 513-5 du code des assurances et L. 519-13 du code monétaire et financier, les associations professionnelles sont agréées par l'ACPR, qui vérifie l'impartialité de leur gouvernance et peut retirer leur agrément. Ces associations établissent par écrit et font approuver par l'ACPR, lors de leur agrément, les règles qu'elles s'engagent à mettre en œuvre pour l'exercice de leurs missions ainsi que les sanctions qu'elles sont susceptibles de prononcer à l'encontre des membres. Elles font également approuver par l'ACPR toute modification ultérieure de ces règles. Il résulte, en outre, des dispositions des articles R. 513-20 du code des assurances et R. 519-51 du code monétaire et financier, issues du décret attaqué, que toute association professionnelle agréée est tenue de constituer en son sein une commission, chargée de prononcer à l'encontre de ses membres les sanctions approuvées par l'APCR, répondant, eu égard à ses règles de composition et de fonctionnement, à des garanties d'indépendance et d'impartialité, dont les membres sont soumis à une déclaration d'intérêts, Dans ces conditions, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'impartialité découlant des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d'assurance, les autorités chargées de la mise en œuvre de cette directive " sont soit des autorités publiques, soit des organismes reconnus par le droit national ou par des autorités publiques expressément habilitées à cette fin par le droit national. Elles ne sont pas des entreprises d'assurance ou de réassurance ou des associations dont les membres comprennent directement ou indirectement des entreprises d'assurance ou de réassurance ou des intermédiaires d'assurance ou de réassurance, sans préjudice de la possibilité donnée aux autorités compétentes et à d'autres organismes de coopérer, lorsqu'elle est expressément prévue à l'article 3, paragraphe 1 (...) ". Le considérant 18 de cette directive donne aux États membres " la possibilité d'autoriser d'autres organismes à coopérer avec les autorités compétentes pour ce qui est de l'immatriculation et de la réglementation des intermédiaires d'assurance (...) ". Ainsi, en vertu du paragraphe 1 de l'article 3 de la même directive : " (...) les États membres peuvent prévoir que les entreprises et les intermédiaires d'assurance et de réassurance et d'autres organismes peuvent coopérer avec les autorités compétentes pour l'immatriculation des intermédiaires d'assurance et de réassurance et des intermédiaires d'assurance à titre accessoire ainsi que pour l'application des exigences prévues à l'article 10 ". Enfin, aux termes de l'article 10 de cette directive : " 1. Les États membres d'origine veillent à ce que les distributeurs de produits d'assurance et de réassurance et le personnel des entreprises d'assurance ou de réassurance qui exercent des activités de distribution d'assurances ou de réassurances possèdent les connaissances et aptitudes appropriées leur permettant de mener à bien leurs missions et de satisfaire à leurs obligations de manière adéquate. / 2. Les États membres d'origine veillent à ce que les intermédiaires d'assurance et de réassurance et le personnel des entreprises d'assurance et de réassurance ainsi que le personnel des intermédiaires d'assurance et de réassurance respectent les exigences en matière de formation et de développement professionnels continus, afin de maintenir un niveau de performance adéquat correspondant à la fonction qu'ils occupent et au marché concerné. / (...). 3. Les personnes physiques qui travaillent pour une entreprise d'assurance ou de réassurance ou un intermédiaire d'assurance ou de réassurance et qui exercent une activité de distribution d'assurances ou de réassurances doivent être des personnes honorables. Elles ont au minimum un casier judiciaire ou tout autre équivalent national vierge de toute infraction pénale grave liée soit à une atteinte aux biens, soit à d'autres faits punissables portant sur des activités financières, et elles ne doivent jamais avoir été déclarées en faillite, à moins qu'elles n'aient été réhabilitées conformément au droit national. / Les États membres peuvent permettre, conformément à l'article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, que le distributeur de produits d'assurance ou de réassurance vérifie l'honorabilité de son personnel et, le cas échéant, de ses intermédiaires d'assurance ou de réassurance (...). / 4. Tout intermédiaire d'assurance ou de réassurance est couvert par une assurance de responsabilité civile professionnelle (...) / 5. Les États membres exigent que les intermédiaires d'assurance à titre accessoire soient couverts par une assurance de responsabilité civile professionnelle ou des garanties comparables à un niveau fixé par les États membres en tenant compte de la nature des produits vendus et de l'activité exercée (...) ".
8. Il résulte de l'ensemble des dispositions citées au point 7 que si les entreprises d'assurance ou de réassurance ou les associations dont les membres comprennent directement ou indirectement des entreprises d'assurance ou de réassurance ou des intermédiaires d'assurance ou de réassurance ne peuvent pas être désignées pour veiller au respect des obligations pesant sur ces entreprises et intermédiaires, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'Etat ou les autorités compétentes qu'il désigne, comme l'ACPR, coopèrent avec des associations comprenant directement ou indirectement des entreprises d'assurance ou de réassurance ou des intermédiaires, pour procéder à l'immatriculation de ces professionnels ou pour vérifier le respect par ces derniers de leurs exigences professionnelles et organisationnelles, au nombre desquelles figurent les conditions de formation, d'honorabilité, de capacité financière et de couverture par une assurance de responsabilité civile professionnelle. Par suite, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'article 2 du décret attaqué méconnaîtrait l'article 12 de la directive du 20 janvier 2016. Enfin, la requérante ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de cet article 12 de la directive du fait des missions remplies par l'ORIAS pour l'immatriculation des professionnels dès lors que le décret attaqué ne comporte, en tout état de cause, aucune disposition relative à cet organisme.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain