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18/03/2024 | FRANCE | N°474558

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 18 mars 2024, 474558


Vu la procédure suivante :



MM. C... et B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Châtenois (Bas-Rhin) à leur verser une indemnité de 111 500 euros, assortie des intérêts de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'incorporation dans le domaine de cette commune d'une parcelle dont ils font valoir qu'ils étaient les propriétaires. Par un jugement n° 1800524 du 6 décembre 2019, ce tribunal a r

ejeté leur demande.



Par un arrêt n° 20NC00256 du 17 novembre ...

Vu la procédure suivante :

MM. C... et B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Châtenois (Bas-Rhin) à leur verser une indemnité de 111 500 euros, assortie des intérêts de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'incorporation dans le domaine de cette commune d'une parcelle dont ils font valoir qu'ils étaient les propriétaires. Par un jugement n° 1800524 du 6 décembre 2019, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20NC00256 du 17 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par MM. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Châtenois la somme de 3 500 euros à verser à la SAS Buk Lament-Robillot, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de MM. A... et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la commune de Châtenois ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 13 octobre 2015, le maire de Châtenois a constaté que la parcelle non bâtie cadastrée sous le numéro 1, section 13 n'avait pas de propriétaire connu et que les taxes foncières n'avaient pas été acquittées depuis plus de trois ans. Par une délibération du 7 juillet 2016, le conseil municipal de Châtenois a considéré cette parcelle comme étant sans maître et l'a incorporée dans le domaine communal. MM. C... et B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Châtenois au paiement d'une indemnité de 111 500 euros, correspondant à la valeur de ce terrain dont ils s'estimaient les propriétaires, en réparation du préjudice résultant de son incorporation dans le domaine communal. MM. A... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 17 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Nancy rejetant leur appel contre le jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Strasbourg qui avait rejeté leur demande.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sont considérés comme n'ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l'article L. 1121-1 et qui : / (...) 2° Soit sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers (...) / 3° Soit sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n'a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers ". Les articles L. 1123-3 et L. 1123-4 de ce code, dans leur rédaction applicable au litige, prévoient les procédures prévues pour l'acquisition par la personne publique des immeubles respectivement mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 1123-1. La délibération que prend le conseil municipal pour incorporer dans le domaine de la commune, sur le fondement de ces dispositions, les biens qui sont présumés sans maître, de même que l'arrêté du maire constatant cette incorporation à l'issue de la procédure qu'elles instituent, ont le caractère de décisions prises par une autorité administrative dans l'exercice d'une prérogative de puissance publique.

3. D'autre part, l'article L. 2222-20 du même code dispose : " Lorsque la propriété d'un immeuble a été transférée ou attribuée, dans les conditions fixées aux articles L. 1123-3 et L. 1123-4, à une commune, (...) le propriétaire ou ses ayants droit sont en droit d'en exiger la restitution. (...) Toutefois, il ne peut être fait droit à cette demande si le bien a été aliéné ou utilisé d'une manière s'opposant à cette restitution. Ils ne peuvent, dans ce cas, obtenir de la commune (...) que le paiement d'une indemnité représentant la valeur de l'immeuble au jour de l'acte d'aliénation ou, le cas échéant, du procès-verbal constatant la remise effective de l'immeuble au service ou à l'établissement public utilisateur. / A défaut d'accord amiable, l'indemnité est fixée par le juge compétent en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (...) ".

4. Si relève en principe du juge administratif la demande d'indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d'un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l'occasion de l'incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des dispositions mentionnées au point 2, les dispositions de l'article L. 2222-20 du code général de la propriété des personnes publiques, citées au point 3, impliquent que la demande tendant à l'indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d'accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande de MM. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendait à la condamnation de la commune de Châtenois à leur verser une indemnité de 111 500 euros correspondant à la valeur de la parcelle incorporée dans le domaine communal comme bien sans maître, dont ils soutenaient être propriétaires. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le juge administratif n'est pas compétent pour se prononcer sur une telle demande. Ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à celui par lequel la cour a retenu que MM. A..., faute pour eux d'avoir établi leur qualité de propriétaire du bien en cause, n'étaient pas fondés à soutenir que la commune avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

6. Il résulte de ce qui précède que MM. A... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

7. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Châtenois, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MM. A... la somme que demande la commune de Châtenois au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de MM. A... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Châtenois tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. C... et B... A... et à la commune de Châtenois.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Nathalie Escaut, Mme Sylvie Pellissier, M. Vincent Mahé, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 18 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 474558
Date de la décision : 18/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - DOMAINE - INCORPORATION D’UN BIEN PRÉSUMÉ SANS MAÎTRE AU DOMAINE D’UNE COMMUNE – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DES FAUTES COMMISES PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE À CETTE OCCASION – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DE LA PERTE DU BIEN LUI-MÊME – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES.

17-03-02-02 Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des articles L. 1123-1, L. 1123-3 et L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les dispositions de l’article L. 2222-20 de ce code impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire.

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - RESPONSABILITÉ - RESPONSABILITÉ EXTRA-CONTRACTUELLE - INCORPORATION D’UN BIEN PRÉSUMÉ SANS MAÎTRE AU DOMAINE D’UNE COMMUNE – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DES FAUTES COMMISES PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE À CETTE OCCASION – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DE LA PERTE DU BIEN LUI-MÊME – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES.

17-03-02-05-01 Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des articles L. 1123-1, L. 1123-3 et L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les dispositions de l’article L. 2222-20 de ce code impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire.

24 DOMAINE - INCORPORATION D’UN BIEN PRÉSUMÉ SANS MAÎTRE AU DOMAINE D’UNE COMMUNE – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DES FAUTES COMMISES PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE À CETTE OCCASION – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DE LA PERTE DU BIEN LUI-MÊME – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES.

24 Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des articles L. 1123-1, L. 1123-3 et L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les dispositions de l’article L. 2222-20 de ce code impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - DROIT DE PROPRIÉTÉ - ACTES DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES CONCERNANT LES BIENS PRIVÉS - INCORPORATION D’UN BIEN PRÉSUMÉ SANS MAÎTRE AU DOMAINE D’UNE COMMUNE – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DES FAUTES COMMISES PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE À CETTE OCCASION – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES – DEMANDE TENDANT À LA RÉPARATION DE LA PERTE DU BIEN LUI-MÊME – COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES.

26-04-04 Si relève en principe du juge administratif la demande d’indemnisation formée par la personne qui prétend être propriétaire d’un immeuble présumé sans maître à raison des fautes commises par une personne publique à l’occasion de l’incorporation de cet immeuble dans le domaine communal en application des articles L. 1123-1, L. 1123-3 et L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les dispositions de l’article L. 2222-20 de ce code impliquent que la demande tendant à l’indemnisation du préjudice né de la perte du bien lui-même, indemnisable à hauteur de la valeur de cet immeuble, relève, faute d’accord amiable, de la compétence du seul juge judiciaire.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 mar. 2024, n° 474558
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benjamin Duca-Deneuve
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474558.20240318
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