Vu la procédure suivante :
Mme A... de G..., Mme C... de G..., Mme E... de G..., Mme A... J... de K..., Mme C... de I..., M. F... de I..., M. B... de I... et M. D... de I... ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la délibération du 17 mai 2017 du conseil municipal du Cannet des Maures (Var) en tant qu'elle porte incorporation dans le domaine communal d'une parcelle cadastrée section D n° 145, ainsi que l'arrêté du 30 mai 2017 du maire du Cannet des Maures portant constatation d'incorporation dans le domaine communal de la parcelle cadastrée section D n° 145. Par un jugement n° 1702237 du 27 juin 2019, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt no 19MA04079 du 18 février 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme de G... et autres contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 avril et 21 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme de G... et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la commune du Cannet des Maures la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de Mme de G... et autres et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la commune du Cannet-des-Maures ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune du Cannet-des-Maures a, par délibération de son conseil municipal en date du 17 mai 2017, décidé d'incorporer dans son domaine la parcelle cadastrée section D n° 145, sur laquelle est édifiée une chapelle, que le préfet du Var avait fait figurer, par arrêté du 9 mai 2016, parmi la liste des parcelles présumées sans maître situées sur le territoire de cette commune. Par arrêté du 30 mai 2017, le maire du Cannet des Maures a constaté l'incorporation de la parcelle dans le domaine de la commune. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande formée par Mme de G... tendant à l'annulation de cet arrêté et de cette délibération. Mme de G... et autres se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce jugement.
2. Selon l'article L. 1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sont considérés comme n'ayant pas de maître les biens autres que ceux relevant de l'article L. 1122-1 et qui : (...) 2° Soit sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans la taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers. Ces dispositions ne font pas obstacle à l'application des règles de droit civil relatives à la prescription ". Les dispositions de l'article L. 1123-3 de ce code, qui fixent les modalités d'acquisition de tels immeubles, prévoient que dans un délai de six mois à compter de la date d'accomplissement de la dernière des mesures de publicité de l'arrêté fixant la liste des biens sans maîtres, " la commune (...) peut, par délibération de son organe délibérant, l'incorporer dans son domaine. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire (...). A défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l'Etat ".
3. La délibération que prend le conseil municipal pour incorporer dans le domaine de la commune, sur le fondement de ces dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui sont présumés sans maître, de même que l'arrêté du maire constatant cette incorporation à l'issue de la procédure qu'elles instituent, ont le caractère de décisions prises par une autorité administrative dans l'exercice d'une prérogative de puissance publique. Le contrôle de leur légalité relève, sous réserve de la question préjudicielle qui peut naître d'une contestation sur la propriété de la parcelle appréhendée et qui serait à renvoyer à l'autorité judiciaire, de la compétence du juge administratif.
4. Il ressort des pièces soumises aux juges du fond qu'à l'appui de leur contestation, Mme de G... et autres faisaient notamment valoir que la commune ne pouvait ignorer que la chapelle érigée sur la parcelle incorporée à son domaine avait été cédée par la commune, le 28 janvier 1942, à MM. Jean et Guy de Colbert.
5. Aux termes des dispositions de l'article 1322 du code civil, dans sa version alors applicable, dont la substance est aujourd'hui reprise à l'article 1372 du code civil : " L'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique ". Aux termes de l'article 1328 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, dont la substance est aujourd'hui reprise à l'article 1377 : " Les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire ".
6. En se fondant sur la circonstance que l'acte de vente signé au nom de la commune du Cannet-des-Maures n'avait pas été enregistré au bureau des hypothèques, pour juger qu'il n'était pas opposable à la commune, alors que la preuve de la propriété est indifférente aux modalités de publicité et, au surplus, que la commune, partie à l'acte, n'était pas un tiers au sens des dispositions alors en vigueur de l'article 1328 du code civil, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché son arrêt d'erreur de droit.
7. Par suite, Mme G... et autres sont fondés à demander, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. En premier lieu, le tribunal administratif a substitué aux dispositions alors en vigueur de l'article L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques, dont il avait été initialement fait application, celles de l'article L. 1123-3 de ce code qui, s'agissant de l'incorporation au domaine d'une parcelle comportant une construction assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties, étaient seules applicables. S'il est constant que ce dernier article, dans sa version applicable, confie au maire, et non au représentant de l'Etat dans le département, le soin d'établir la liste des immeubles susceptibles d'être considérés comme n'ayant pas de maître, cette différence de procédure n'a privé les requérants d'aucune des garanties, tenant notamment aux conditions de publicité et de délais, dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Le moyen tiré de ce que la commune aurait irrégulièrement mis en œuvre les dispositions de l'article L. 1123-4 du code général de la propriété des personnes publiques ne peut, par suite, qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, selon les dispositions de l'article L. 1123-3 du code général des propriétés des personnes publiques alors en vigueur : " L'acquisition des immeubles mentionnés au 2° de l'article L. 1123-1 est opérée selon les modalités suivantes. Un arrêté du maire [...] pris dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat constate que l'immeuble satisfait aux conditions mentionnées au 2° de l'article L. 1123-1. Il est procédé par les soins du maire [...] à une publication et à un affichage de cet arrêté et, s'il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l'immeuble est habité ou exploité, à l'habitant ou à l'exploitant ainsi qu'au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Cet arrêté est, dans tous les cas, notifié au représentant de l'Etat dans le département. Les dispositions du deuxième alinéa sont applicables lorsque les taxes foncières font l'objet d'une exonération ou ne sont pas mises en recouvrement conformément aux dispositions de l'article 1657 du code général des impôts. Dans le cas où un propriétaire ne s'est pas fait connaître dans un délai de six mois à dater de l'accomplissement de la dernière des mesures de publicité mentionnées au deuxième alinéa, l'immeuble est présumé sans maître ".
11. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. F... de I..., informé par courrier du 4 juillet 2016 du maire de la commune que la parcelle en litige était susceptible d'être regardée sans maître, a bénéficié d'un délai initial de cinq mois pour produire tout justificatif de propriété. Ce délai a, par courrier du 5 décembre 2016, été porté jusqu'au 7 janvier 2017. Il en résulte qu'alors qu'il n'est pas contesté que le délai de six mois mentionné au point précédent était arrivé à son terme, la commune pouvait, sans réitérer la notification mentionnée par les dispositions précitées ni informer l'intéressé de la suite de la procédure en cours, soumettre à la délibération du conseil municipal l'incorporation du bien qui pouvait régulièrement être présumé sans maître.
12. Il résulte, en troisième lieu, des dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Le défaut d'envoi de cette note ou son insuffisance entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
13. Il ressort des pièces du dossier que la note de synthèse adressée aux conseillers municipaux en vue du conseil municipal du 17 mai 2017 mentionnait l'incorporation dans le domaine communal des biens vacants et sans maître situés sur le territoire de la commune du Cannet-des-Maures. Cette note, qui reproduit la liste et les extraits cadastraux des parcelles énumérées par l'arrêté préfectoral du 9 mai 2016, rappelle les étapes de la procédure et fait état de l'étude particulière dont a fait l'objet la parcelle cadastrée section D. n° 145, d'une superficie de 245 m², située au Vieux-Cannet, quartier Saint Jean, sur laquelle est édifiée une église, permettait aux membres du conseil municipal de disposer d'une information suffisante pour solliciter, le cas échéant, des explications complémentaires et ainsi délibérer de manière éclairée sur l'affaire soumise à délibération. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ne peut, par suite, qu'être écarté.
14. En quatrième lieu, pour contester la délibération attaquée, Mme H... et autres soutiennent être propriétaires de la chapelle érigée sur la parcelle que le conseil municipal a regardée comme appartenant à la commune du Cannet-des-Maures. L'appréciation du bien-fondé de ce moyen dépend de la question de savoir si, à la date de cette délibération, certains des requérants étaient, en tout ou partie, propriétaires de la parcelle en litige. Cette question présente à juger, au vu des diverses pièces produites pour justifier tant de la vente intervenue en 1942 que de la succession des acquéreurs allégués, une difficulté sérieuse qu'il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de trancher.
15. Par suite, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de surseoir à statuer sur l'appel de Mme de G... et autres tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 juin 2019, jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Draguignan, saisi sur le fondement de l'article R. 771-2 du code de justice administrative, se soit prononcé sur cette question préjudicielle.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt no 19MA04079 du 18 février 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête d'appel de Mme de G... et autres jusqu'à ce que le tribunal judiciaire de Draguignan se soit prononcé sur la propriété de la chapelle érigée sur la parcelle incorporée au domaine public communal par délibération du conseil municipal du Cannet-des-Maures.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Mme A... de G..., regardée comme la représentante unique des auteurs du pourvoi, à la commune du Cannet des Maures et au président du tribunal judiciaire de Draguignan.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Nathalie Escaut, Mme Sylvie Pellissier, M. Vincent Mahé, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 mars 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle