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08/03/2024 | FRANCE | N°465044

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 08 mars 2024, 465044


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juin 2022 et 6 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Alsace nature demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-563 du 15 avril 2022 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre d

e l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Vu les autres pièce...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juin 2022 et 6 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Alsace nature demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-563 du 15 avril 2022 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 ;

- la directive 2006/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 janvier 2024, présentée par l'association Alsace nature ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association Alsace nature demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 15 avril 2022 qui a modifié les articles R. 516-1 et R. 515-13 du code de l'environnement.

2. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de l'acte en cause. L'exécution du décret attaqué ne nécessite aucune mesure que devrait signer ou contresigner le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Par suite, le moyen tiré du défaut de contreseing de ce ministre doit être écarté.

Sur l'article 1er du décret attaqué :

3. L'article L. 516-1 du code de l'environnement dispose que la mise en activité de certaines installations présentant des risques importants de pollution ou d'accident est subordonnée à la constitution de garanties financières, destinées à assurer le maintien en sécurité de l'installation et les interventions éventuelles en cas d'accident avant et après la fermeture, ainsi que la réhabilitation du site postérieurement à celle-ci. L'article R. 516-1 du code de l'environnement définit les installations dont la mise en activité est subordonnée à l'existence de garanties financière et prévoyait à son huitième alinéa, dans sa version antérieure au décret attaqué, une exemption de l'obligation de constitution de garanties financières pour les installations classées exploitées directement par l'Etat. Le décret litigieux a complété ce huitième alinéa pour prévoir que cette exemption vaudrait aussi pour les installations classées " qui bénéficient d'une garantie financière de la part de l'Etat leur permettant d'effectuer les opérations visées au deuxième alinéa de l'article L. 516-1 ".

4. En premier lieu, l'article 14 de la directive 2006/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 concernant la gestion des déchets de l'industrie extractive dispose que : " 1. L'autorité compétente exige, avant le démarrage de toute activité impliquant l'accumulation ou le dépôt de déchets d'extraction dans une installation de gestion de déchets, le dépôt d'une garantie financière (par exemple, sous la forme d'une caution, notamment un fonds mutuel de garantie financé par l'industrie, ou sous une forme équivalente), selon des modalités à arrêter par les États membres, afin que : / a) toutes les obligations figurant dans l'autorisation délivrée en vertu de la présente directive, y compris les dispositions relatives au suivi après fermeture, soient respectées; / b) des fonds soient disponibles à tout moment pour remettre en état le terrain du site ayant subi des dommages dus à l'installation de gestion de déchets, comme indiqué dans le plan de gestion des déchets préparé en vertu de l'article 5 et requis pour l'autorisation de l'article 7 ". Il résulte clairement de ces dispositions que l'exploitation d'une installation de stockage de déchets d'extraction est subordonnée au dépôt d'une garantie financière ou à l'existence d'une garantie équivalente permettant d'assurer le respect des obligations figurant dans l'autorisation délivrée et la disponibilité de fonds permettant la remise en état du site ayant subi des dommages dus au fonctionnement de l'installation.

5. L'article 1er du décret litigieux a modifié l'article R. 516-1 du code de l'environnement afin de prévoir que sont exemptées des obligations de constitution de garanties financières les installations classées pour la protection de l'environnement qui disposent d'une garantie financière accordée par l'Etat. Cette exemption est ainsi limitée aux installations pour lesquelles la couverture des coûts des opérations prévues au deuxième alinéa de l'article L. 516-1 du code de l'environnement ou résultant des obligations mentionnées au a) et au b) de l'article 14 de la directive du 15 mars 2006 est assurée par d'autres moyens, notamment par une garantie financière accordée par l'Etat. L'association requérante n'est, par suite et en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'article 1er du décrit litigieux méconnaîtrait l'article 14 de la directive du 15 mars 2006.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 160-1 du code de l'environnement : " Le présent titre définit les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés, en application du principe pollueur-payeur et à un coût raisonnable pour la société, les dommages causés à l'environnement par l'activité d'un exploitant (...) ". L'article 1er du décret attaqué, qui se borne à exempter de l'obligation de garanties financières de l'exploitation des installations classées pour la protection de l'environnement qui bénéficient de la garantie de l'Etat, n'a ni pour objet ni pour effet de modifier le régime de responsabilité de l'exploitant en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux susceptibles de résulter de son activité, prévu aux articles L. 160-1 et suivants du code de l'environnement. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée soutenir que le décret litigieux méconnaîtrait les articles 8 et 14 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

7. Par ailleurs, les dispositions du 3° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, invoquées par la requérante, se bornent à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d'autres lois. Elles n'impliquent, par elles-mêmes, aucune interdiction d'exempter l'exploitant d'une installation classée pour la protection de l'environnement de l'obligation de constituer des garanties financières lorsque l'Etat apporte lui-même de telles garanties. Par suite, l'association requérante ne saurait utilement soutenir que l'article 1er du décret attaqué méconnaîtrait le principe pollueur-payeur énoncé au 3° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

8. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret litigieux méconnaîtrait le principe pollueur-payeur, tel qu'il est mis en œuvre aux articles L. 160-1 et suivants du code de l'environnement, ou, en tout état de cause, tel qu'il résulte de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou de la directive du 21 avril 2004.

9. Enfin, l'article 1er du décret litigieux, s'il prévoit que les installations exploitées par l'Etat, ou qui bénéficient d'une garantie financière accordée par l'Etat, ne sont pas soumises à l'obligation de constitution de garanties financières, n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'accorder la garantie financière de l'Etat. Il ne saurait donc être regardé comme conférant un avantage accordé au moyen de ressources de l'Etat, constituant une aide d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

Sur l'article 2 du décret attaqué :

10. L'article L. 181-13 du code de l'environnement dispose que : " Lorsque le projet présente des dangers ou inconvénients d'une importance particulière, l'autorité administrative compétente peut, tant lors de l'instruction d'une demande d'autorisation environnementale que postérieurement à sa délivrance, demander une tierce expertise afin de procéder à l'analyse d'éléments du dossier nécessitant des vérifications particulières. / Cette tierce expertise est effectuée par un organisme extérieur choisi en accord avec l'administration par le pétitionnaire et aux frais de celui-ci ". Aux termes de l'article R. 515-10 du code de l'environnement : " La prolongation pour une durée illimitée d'une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux non radioactifs lorsque tout apport de déchets a cessé définitivement depuis au moins un an, prévue au deuxième alinéa de l'article L. 515-7, est délivrée par le préfet dans les conditions prévues par la présente section ". L'article R. 515-11 du même code décrit les modalités de dépôt de la demande d'autorisation et dispose que celle-ci comprend notamment en annexe : " 4° Un bilan écologique comprenant une étude d'impact (...) / 5° Un exposé des solutions alternatives au maintien du stockage avec leurs conséquences respectives et indiquant les motifs pour lesquels le projet présenté a été retenu ; / 6° Une étude de sûreté du confinement à long terme de la matrice réceptrice compte tenu de ses caractéristiques géotechniques ; / 7° Le cas échéant, une notice relative à la conformité de l'installation projetée avec les prescriptions législatives et réglementaires relatives à l'hygiène et à la sécurité du personnel (...) ".

11. L'article 2 du décret litigieux a modifié la rédaction de l'article R. 515-13 du code de l'environnement, lequel dispose désormais que " Le préfet peut faire procéder, aux frais du demandeur et par un organisme tiers expert, à une analyse critique de ceux des éléments du dossier, et en particulier de l'étude de sûreté, qui justifient des vérifications particulières. Cette analyse critique est jointe au dossier soumis à l'enquête publique ".

12. Dans sa version antérieure au décret litigieux, l'article R. 515-13 du code de l'environnement disposait que : " Le préfet fait procéder, aux frais du demandeur et par un organisme tiers expert, à une analyse critique de ceux des éléments du dossier, et en particulier de l'étude de sûreté, qui justifient des vérifications particulières. Cette analyse critique est jointe au dossier soumis à l'enquête publique ". Il résulte de ces dispositions que la décision de recourir à la tierce expertise qu'elles mentionnent était subordonnée à l'appréciation portée par le préfet sur les éléments du dossier, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 181-13 du code de l'environnement. L'association requérante n'est ainsi, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la modification rédactionnelle introduite par le décret litigieux aurait eu pour effet de supprimer l'automaticité du recours à la tierce expertise en méconnaissance du principe de non-régression énoncé à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Dès lors que cette modification est, par elle-même, sans incidence sur les informations recueillies et mises à disposition du public dans le cadre de l'évaluation des incidences de certains projets sur l'environnement, elle n'est pas non plus fondée, en tout état de cause, à soutenir que cet article méconnaîtrait les dispositions combinées de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 37 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des articles 4 à 6 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011. Contrairement à ce qui est soutenu, ce même article du décret litigieux ne conduit pas, en tout état de cause, à rendre indisponible une information environnementale, auparavant accessible au public, en méconnaissance du droit à l'information du public résultant de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du deuxième paragraphe de l'article 5 et des paragraphes 2 à 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que la demande de l'association Alsace nature doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association Alsace nature est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Alsace nature, au Premier ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 8 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 465044
Date de la décision : 08/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 mar. 2024, n° 465044
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:465044.20240308
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