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01/03/2024 | FRANCE | N°472888

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 01 mars 2024, 472888


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 avril et 7 août 2023 et le 19 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Compagnie des experts en assurance demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydr

atation des sols ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euro...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 avril et 7 août 2023 et le 19 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Compagnie des experts en assurance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6 ;

- la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La Compagnie des experts en assurance demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, adoptée sur le fondement de l'article 161 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, l'ordonnance attaquée a été adoptée après examen par la section des finances du Conseil d'Etat. Il ressort des pièces produites par le ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique que cette ordonnance ne contient aucune disposition qui différerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par ailleurs, le Conseil d'Etat n'était nullement tenu de répondre aux observations que la requérante avait choisi de lui transmettre. Dès lors, la compagnie requérante n'est pas fondée à soutenir que les règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets d'ordonnance auraient été méconnus.

3. En deuxième lieu, aucun texte ni aucun principe n'imposait la consultation des représentants des experts en assurance préalablement à la signature de l'ordonnance litigieuse. La seule circonstance que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ait librement recueilli, de façon informelle, l'avis de certains représentants sur le projet de texte n'a pas eu pour effet d'instaurer une procédure de consultation dont l'administration aurait ensuite été tenue de respecter les règles. Par suite, la compagnie requérante ne saurait utilement soutenir que les conditions d'adoption de l'ordonnance attaquée seraient entachées d'irrégularité en raison des modalités selon lesquelles cette consultation informelle a eu lieu, de la modification du projet qui lui avait été transmis ou de ce que ses observations n'auraient pas été suivies.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le Conseil national d'évaluation des normes a examiné le projet d'ordonnance lors de sa séance du 12 janvier 2023, alors que la compagnie requérante n'invoque, par ailleurs, aucun changement des circonstances de droit ou de fait qui aurait été de nature à rendre nécessaire une nouvelle consultation du Conseil sur ce projet.

5. En quatrième lieu, l'article 161 de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale a autorisé le Gouvernement à adopter par voie d'ordonnance des dispositions " afin d'améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti et sur les conditions matérielles d'existence des assurés des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols ", notamment " en régissant les conditions dans lesquelles les dommages doivent être évalués et pris en charge ", " en encadrant les activités d'expertise ", et " en définissant les modalités de contrôle et les sanctions permettant d'assurer l'effectivité " de cet encadrement. Les dispositions contestées définissant un régime qui encadre les activités d'expertise ainsi que les modalités de contrôle et de sanctions dont il est assorti, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient, faute d'être suffisamment précises, les termes de la loi d'habilitation ne peut qu'être rejeté.

Sur la légalité interne :

Sur les moyens tirés de l'inconstitutionnalité des articles L. 125-2-1, L. 125-2-2, L. 125-2-3, L. 125-2-4 issus l'ordonnance du 8 février 2023 :

6. Une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution élargit de façon temporaire le pouvoir réglementaire dont le Gouvernement dispose, en l'autorisant à adopter des mesures qui relèvent du domaine normalement réservé à la loi, que ce soit en vertu de l'article 34 de la Constitution ou d'autres dispositions de celle-ci. Alors même que les mesures ainsi adoptées ont la même portée que si elles avaient été prises par la loi, les ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la Constitution conservent le caractère d'actes administratifs, aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification, qui ne peut être qu'expresse, par le Parlement. Leur légalité peut être contestée, y compris au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle, par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, compétent pour en connaître en premier et dernier ressort, ou par la voie de l'exception, à l'occasion de la contestation d'un acte ultérieur pris sur leur fondement, devant toute juridiction.

7. Après l'expiration du délai d'habilitation, la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, des dispositions relevant du domaine de la loi d'une ordonnance non ratifiée n'est recevable qu'au travers d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui doit être transmise au Conseil constitutionnel si les conditions fixées par les articles 23-2, 23-4 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont remplies. Dans le cas où un moyen mettant en cause, après l'expiration du délai d'habilitation, la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions d'une ordonnance non ratifiée prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution est soulevé à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre l'ordonnance ou de la contestation par voie d'exception de la légalité de l'ordonnance, il appartient au Conseil d'Etat ou à la juridiction saisie de déterminer si les dispositions critiquées de l'ordonnance relèvent du domaine de la loi ou de la compétence réglementaire.

8. En l'espèce, l'ordonnance du 8 février 2023 a été prise sur le fondement des dispositions de l'article 161 de la loi du 21 février 2022 précitée. Le délai d'habilitation fixé par ces dispositions, qui était d'un an à compter de la publication de la loi, est expiré à la date de la présente décision. Par ailleurs, les dispositions en litige de cette ordonnance n'ont pas été ratifiées par le Parlement.

9. Il résulte de ce qui précède que les moyens soulevés par les associations requérantes tirés de ce que les articles L. 125-2-1, L. 125-2-2, L. 125-2-3, L. 125-2-4, issus de l'ordonnance attaquée, méconnaîtraient la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie, le principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe de légalité des délits et des peines et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration, et seraient entachées d'incompétence négative affectant la liberté d'entreprendre, le principe de légalité des délits et des peines, et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi sont irrecevables, faute d'avoir été présentés par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par un mémoire distinct et motivé.

Sur les autres moyens de la requête :

10. L'ordonnance instaure un régime de sanctions administratives, limitativement et précisément énumérées, en prévoyant que celles-ci sont susceptibles d'être prononcées à l'issue d'une procédure contradictoire, qu'elle définit. Le moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, du principe général des droits de la défense ne peut par suite qu'être écarté.

11. Le moyen tiré de la méconnaissance des exigences de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ne peut par suite qu'être écarté.

12. Enfin, la liberté d'entreprise, garantie par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ne peut être utilement invoquée, en application de l'article 51 de la charte, que si les dispositions contestées mettent en œuvre le droit de l'Union. Les dispositions en cause ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprise ne peut qu'être écarté comme inopérant.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la Compagnie des experts en assurance n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance attaquée.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Compagnie des experts en assurance est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Compagnie des experts en assurance, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 1er mars 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 472888
Date de la décision : 01/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 mar. 2024, n° 472888
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472888.20240301
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