Vu la procédure suivante :
Le président de l'université de Bordeaux a engagé contre M. B... A... des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université. Par une décision du 18 juillet 2019, la section disciplinaire a infligé à M. A... la sanction de la révocation et a décidé que sa décision serait immédiatement exécutoire nonobstant appel.
Par une décision du 20 octobre 2022, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de M. A... et appel incident du président de l'université de Bordeaux, annulé la décision du 18 juillet 2019 et infligé à M. A... la sanction d'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement à l'université de Bordeaux pour une durée de dix-huit mois avec privation de la moitié de son traitement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2022, 20 mars et 22 août 2023 au secrétariat du contentieux, l'université de Bordeaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'université de Bordeaux et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 18 juillet 2019, la section disciplinaire du conseil académique de l'université de Bordeaux a infligé à M. A..., maître de conférences, la sanction de la révocation. Par une décision du 20 octobre 2022, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de M. A..., annulé pour irrégularité la décision de la section disciplinaire et infligé la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement à l'université de Bordeaux pour une durée de dix-huit mois assortie de la privation de la moitié de son traitement. L'université de Bordeaux se pourvoit en cassation contre cette décision.
2. Aux termes de l'article R. 232-37 du code de l'éducation, qui fixe la procédure applicable devant le CNESER statuant en formation disciplinaire, dans sa rédaction applicable au litige : " La commission d'instruction entend la personne déférée et instruit l'affaire par tous les moyens qu'elle juge propres à l'éclairer et en fait un rapport écrit comprenant l'exposé des faits et moyens des parties. Ce rapport est transmis au président dans un délai qu'il a préalablement fixé et qui ne peut être supérieur à trois mois. Toutefois, le président peut ordonner un supplément d'instruction s'il estime que l'affaire n'est pas en état d'être jugée. Le rapport et les pièces des dossiers sont déposés par le rapporteur au secrétariat du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche pour être tenus à la disposition des parties, de leur conseil et des membres du conseil statuant en matière disciplinaire, dix jours francs avant la date fixée pour la séance du jugement (...) / Dans le cas où la juridiction est saisie de nouveaux éléments, le président ordonne la réouverture de l'instruction qui se déroule selon les formes prescrites à l'alinéa précédent du présent article ". Il résulte de ces dispositions que tout élément produit par une partie au soutien de son argumentation doit, s'il présente un caractère substantiel, être pris en compte par la commission d'instruction avant la remise de son rapport, à peine d'irrégularité de la décision rendue par le CNESER statuant en formation disciplinaire. Si un tel élément est produit pour la première fois après le dépôt du rapport de la commission d'instruction, il présente alors un caractère nouveau au sens des dispositions citées ci-dessus du dernier alinéa de l'article R. 232-37 du code de l'éducation, qui fait obligation au président de la formation de jugement de rouvrir l'instruction afin que le rapport de la commission d'instruction puisse en tenir compte. Il en va ainsi alors même que cet élément nouveau serait, par ailleurs, soumis au débat contradictoire dans des conditions permettant à la partie adverse d'y répondre utilement.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au CNESER, statuant en formation disciplinaire, que M. A... a produit le 19 octobre 2022 à 16h34 soit la veille de l'audience et postérieurement au dépôt, le 1er septembre 2022, du rapport de la commission d'instruction, un nouveau mémoire comportant des développements supplémentaires par rapport à ceux dont la commission d'instruction avait eu à connaître, dont le jugement du tribunal correctionnel de Bayonne du 5 octobre 2020 qui prononçait sa relaxe dans le cadre de l'instance pénale relative aux faits de harcèlement moral à l'encontre de son ancienne compagne. En outre, ce mémoire était accompagné de nombreuses pièces dont un témoignage et une attestation qui discutaient de manière substantielle l'ensemble des faits reprochés à M. A.... Ce mémoire et les pièces qui l'accompagnaient constituaient ainsi des d'éléments nouveaux au sens des dispositions de l'article R. 232-37 du code de l'éducation citées ci-dessus. Il appartenait dès lors au président du CNESER, comme le prévoient ces mêmes dispositions, d'ordonner la réouverture de l'instruction de façon à ce que la commission d'instruction puisse en tenir compte et l'université de Bordeaux les discuter utilement dans le cadre du caractère contradictoire de la procédure. Faute d'avoir procédé ainsi, la décision attaquée est entachée d'irrégularité.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'université de Bordeaux est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme que l'université de Bordeaux demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'université de Bordeaux qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 20 octobre 2022 du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l'université de Bordeaux est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'université de Bordeaux et à M. B... A....
Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2023 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er mars 2024.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Fischer-Hirtz
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune