Vu la procédure suivante :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 17 août 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement du tribunal, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2107325 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 22DA01750 du 26 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel du préfet du Nord, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars et 27 juin 2023, 19 et 23 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. A..., ressortissant vietnamien né le 8 janvier 1994, est entré en France, selon ses déclarations, en mai 2009 et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité. Il lui a été délivré, à compter du 4 avril 2012, une carte de séjour temporaire, portant la mention " vie privée et familiale ", renouvelée jusqu'au 16 février 2017, date à laquelle lui a été délivrée une carte de séjour pluriannuelle portant la même mention. Le 24 février 2021, il a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle. Par un arrêté du 17 août 2021, le préfet du Nord a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêt du 26 janvier 2023 contre lequel M. A... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel du préfet du Nord, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par celui-ci devant le tribunal. Le pourvoi de M. A... doit être regardé comme dirigé contre les articles 2 et 3 de cet arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 412 5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle (...) au renouvellement (...) de la carte de séjour pluriannuelle (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du même code : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article L. 433-4 de ce code : " Au terme d'une première année de séjour régulier en France accompli au titre (...) d'une carte de séjour temporaire, l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : / 1° Il justifie de son assiduité, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration républicaine conclu en application de l'article L. 413-2 et n'a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; / 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / L'étranger bénéficie, à sa demande, du renouvellement de cette carte de séjour pluriannuelle s'il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il été précédemment titulaire ".
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la date de l'arrêté contesté, M. A..., qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale, avait fait l'objet de dénonciations anonymes pour des faits, reconnus par l'intéressé, d'aide au séjour irrégulier en faveur de compatriotes qui se sont révélés être, pour le premier, son frère et, pour le second, un compatriote à qui il a fourni un travail et un logement.
5. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la date de l'arrêté contesté, M. A..., arrivé en France en 2009 à l'âge de 15 ans et confié à l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, était titulaire, depuis 2012, de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale " renouvelés jusqu'à l'arrêté litigieux et qu'il est le père d'un enfant né en février 2021 dont la mère, également mère d'un enfant français né en 2017, est domiciliée à la même adresse que lui. Il ressort enfin des pièces du dossier soumis aux juges du fond que sa mère et sa sœur, qui était alors encore mineure, résidaient également en France, en situation régulière et que l'intéressé a créé une activité au titre de laquelle il déclarait depuis 2019 des revenus annuels lui permettant de subvenir à ses besoins.
6. En déduisant de ces circonstances que la décision par laquelle le préfet du Nord a refusé de renouveler la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " dont M. A... était titulaire n'était pas de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, la cour administrative d'appel de Douai a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. A... est fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt qu'il attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte de ce qui est dit au point 6 que l'arrêté attaqué du préfet du Nord porte une atteinte excessive au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 26 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés.
Article 2 : La requête présentée par le préfet du Nord devant la cour administrative d'appel de Douai est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.