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19/02/2024 | FRANCE | N°475953

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 19 février 2024, 475953


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires, enregistrés les 13 et 29 juillet, le 20 novembre 2023 et le 16 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annoncée le 13 juillet 2023, de maintenir à 3 % pour une période de dix-huit mois le taux du livret A, ainsi que le premier al

inéa et le 1° de l'article 1er de l'arrêté de ce ministre du 28 juillet 2023 relatif au...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires, enregistrés les 13 et 29 juillet, le 20 novembre 2023 et le 16 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annoncée le 13 juillet 2023, de maintenir à 3 % pour une période de dix-huit mois le taux du livret A, ainsi que le premier alinéa et le 1° de l'article 1er de l'arrêté de ce ministre du 28 juillet 2023 relatif aux taux d'intérêt des produits d'épargne réglementée ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer l'abrogation de cette décision du

13 juillet 2023 et de ces dispositions de l'arrêté du 28 juillet 2023.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- l'arrêté du 27 janvier 2021 relatif aux taux d'intérêt des produits d'épargne réglementée ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 février 2024, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par un communiqué du 13 juillet 2023, le gouverneur de la Banque de France a proposé de fixer le taux du livret A à 3 % jusqu'en janvier 2025 et que, le même jour, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a annoncé publiquement son intention de suivre cette proposition. Par un arrêté du 28 juillet 2023, ce ministre a fixé à 3 % le taux d'intérêt des produits d'épargne réglementée pour la période du 1er août 2023 au 31 janvier 2025. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 13 juillet ainsi que de l'arrêté du 28 juillet 2023 en tant qu'il fixe le taux du livret A à 3 % et prévoit son maintien inchangé jusqu'au

31 janvier 2025. A titre subsidiaire, il en demande l'abrogation.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article L. 221-1 du code monétaire et financier : " Le livret A peut être proposé par tout établissement de crédit habilité à recevoir du public des fonds à vue et qui s'engage à cet effet par convention avec l'Etat ". Aux termes de l'article R. 221-4 de ce code : " L'intérêt servi aux déposants sur un livret A est fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. / L'intérêt servi aux déposants part du 1er ou du 16 de chaque mois après le jour du versement. Il cesse de courir à la fin de la quinzaine qui précède le jour du remboursement. Au 31 décembre de chaque année, l'intérêt acquis s'ajoute au capital et devient lui-même productif d'intérêts ".

3. Aux termes du I de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 relatif aux taux d'intérêt des produits d'épargne réglementée : " (...) 1° Le taux des livrets A (...) sont égaux, après arrondi au dixième de point le plus proche ou à défaut au dixième de point supérieur, au chiffre le plus élevé entre les a et b ci-dessous : / a) La moyenne arithmétique entre : / - la moyenne semestrielle des taux à court terme en euros (€STR) tels que définis par l'orientation modifiée (UE) 2019/1265 de la Banque centrale européenne du 10 juillet 2019 sur le taux à court terme en euros (€STR) ; / - l'inflation en France mesurée par la moyenne semestrielle de la variation sur les douze derniers mois connus de l'indice INSEE mensuel des prix à la consommation, hors tabac, de l'ensemble des ménages (série : 001763852) ; / b) 0,5 % (...) ".

4. Enfin, aux termes du II de l'article 1er du même arrêté : " (...) 1° La Banque de France calcule ces taux chaque année les 15 janvier et 15 juillet. Elle transmet le résultat du calcul dans les quatre jours ouvrés au directeur général du Trésor. Lorsque le résultat du calcul conduit à modifier les taux, le directeur général du Trésor fait procéder à la publication des nouveaux taux au Journal officiel de la République française. Ces nouveaux taux sont applicables à compter du 16 du mois de leur publication ou, si la date de publication est comprise entre le 16 et la fin du mois, du premier jour du mois suivant leur publication. / 2° Toutefois, lorsque, à l'occasion de son calcul, la Banque de France estime que des circonstances exceptionnelles justifient une dérogation à l'application de l'un ou de plusieurs des nouveaux taux calculés selon les règles fixées au I ou que l'application de la règle mentionnée au I 1° conduit à un nouveau taux ne permettant pas de préserver globalement le pouvoir d'achat des épargnants, le Gouverneur transmet l'avis et les propositions de taux de la Banque de France au ministre chargé de l'économie. Dans ces cas, les taux sont maintenus à leur niveau antérieur et le ministre chargé de l'économie examine l'opportunité de les modifier. / 3° Au 15 avril et au 15 octobre de chaque année, si la Banque de France estime que la variation de l'inflation ou des marchés monétaires le justifie, le gouverneur de la Banque de France peut proposer au ministre chargé de l'économie de réviser les taux conformément aux dispositions du I, au 1er mai ou au 1er novembre. A cette fin, il transmet un courrier au ministre chargé de l'économie, dans les quatre jours ouvrés suivant le 15 avril ou le 15 octobre ".

Sur les conclusions dirigées contre la décision révélée par l'annonce publique du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique du

13 juillet 2023 :

5. En principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il n'en va différemment que lorsque cette annonce a pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elle s'adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises.

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'annonce, par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le 13 juillet 2023, de son intention de fixer à 3 % le taux du livret A pour dix-huit mois, aurait eu pour objet d'influencer de manière significative le comportement des épargnants, des acteurs du secteur bancaire ou de ceux opérant dans les autres secteurs intéressés par la collecte du livret A afin de leur permettre de se préparer au futur cadre juridique, lequel a d'ailleurs été défini dès son arrêté du 28 juillet suivant. Il suit de là que ce ministre est fondé à soutenir que les conclusions de la requête dirigées contre la décision révélée par cette annonce ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 juillet 2023 :

7. Il ressort des pièces du dossier que, par un communiqué du 13 juillet 2023, le gouverneur de la Banque de France, après avoir constaté que l'application de la formule de calcul prévue par les dispositions du I de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 citées au point 3 ci-dessus conduisait à fixer le taux du livret A à 4,1 % pour une durée de six mois à compter 1er août 2023, a indiqué proposer au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de faire usage de la dérogation pour circonstances exceptionnelles prévue par le 2° du II de cet arrêté, cité au point 4, et de maintenir le taux de ce livret à son niveau antérieur de 3 % tout en " donnant aux épargnants une garantie de maintien de ce taux sur 18 mois ". Il a, selon les termes de ce communiqué, considéré cette dérogation justifiée par l'incidence importante du taux du livret A sur le financement de l'économie française, particulièrement celui du logement social, et par la circonstance que l'inflation avait commencé à baisser.

8. L'arrêté attaqué du 28 juillet 2023 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, faisant suite à cette proposition, dispose à son article 1er que : " Pour la période du 1er août 2023 au 31 janvier 2025, par exception aux dispositions des 1°, (...) du I de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 susvisé, les taux d'intérêt nominaux annuels de rémunération des comptes énumérés ci-dessous sont fixés comme suit : / 1° Les taux des livrets A (...) sont égaux à 3,0 % ; (...) ". Son article 3, non contesté, dispose par ailleurs que : " Pour la période du 1er août 2023 au 31 décembre 2024, les dispositions du II de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 susvisé ne s'appliquent pas aux taux mentionnés aux 1° (...) du I du même article ".

9. M. B... soutient que l'article 1er de cet arrêté méconnaît les dispositions du II de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 citées au point 4 ci-dessus dès lors, en premier lieu, qu'elles ne permettent de déroger à la formule de calcul prévue au I de ce même article qu'en présence de " circonstances exceptionnelles ", lesquelles ne seraient pas réunies en l'espèce et, en second lieu, qu'elles prévoient que le taux du livret A soit fixé pour six mois seulement.

S'agissant de la compétence du ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

10. Contrairement à ce que soutient M. B..., dès lors que l'article R. 221-4 du code monétaire et financier cité au point 2 donne compétence au seul ministre chargé de l'économie pour fixer le taux du livret A, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a pu compétemment adopter seul les dispositions de l'arrêté attaqué citées au point 8, alors même qu'elles suspendent en partie l'application de l'arrêté du 27 janvier 2021 qui a été pris conjointement avec le ministre des outre-mer à raison de dispositions d'adaptation prévues à son article 4.

S'agissant de l'usage de la dérogation pour circonstances exceptionnelles :

11. En application des dispositions du II de l'article 1er de l'arrêté du

27 janvier 2021 cité au point 4, la Banque de France est tenue, au 15 juillet de chaque année, de calculer le taux du livret A sur la base de la formule prévue au I de cet article et ne peut proposer d'y déroger qu'en présence de circonstances exceptionnelles ou dans l'objectif de préserver globalement le pouvoir d'achat des épargnants. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la note du 26 octobre 2023 de la Banque de France " sur les éléments justifiant l'application de circonstances exceptionnelles ", jointe au mémoire en défense du ministre, que l'application stricte de la formule de calcul renchérirait brutalement et significativement le coût, d'une part, du financement du logement social et de la politique de la ville et, d'autre part, du financement des petites et moyennes entreprises ainsi que du financement des acteurs opérant dans le secteur de l'économie sociale et solidaire. Il en ressort également que l'inflation des prix à la consommation, hors tabac, de l'ensemble des ménages, après une hausse rapide en 2022, a atteint, en glissement annuel, un niveau exceptionnel de 6,4 % en février 2023, pour ensuite décroître, s'établissant à 4,4 % en juin 2023. Selon les prévisions à la date de la décision contestée, cette inflation devrait revenir à 2,5 % en 2024. Il en ressort enfin qu'accompagnant cette hausse de l'inflation, le taux d'intérêt du livret A a fortement et rapidement augmenté de 0,5 % au second semestre 2021 à 3 % au premier semestre 2023. Compte tenu de ces éléments, le requérant n'est pas fondé à soutenir, par voie d'exception, que l'avis de la Banque de France sur lequel s'est fondé le ministre pour déroger à la formule de calcul prévue au 1° du I de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021 serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que des circonstances exceptionnelles justifiaient d'amortir les effets de ces évolutions économiques sur le taux du livret A et en proposant par suite de déroger temporairement, en application du 2° du II de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021, à cette formule. Il suit de là que le moyen tiré de la contrariété de la proposition de la Banque de France à ces dispositions doit être écarté.

S'agissant du gel du taux pendant une période de 18 mois :

12. Par l'article 3, non contesté, de l'arrêté attaqué cité au point 8, il a temporairement suspendu, pour la période du 1er août 2023 au 31 décembre 2024, l'application des dispositions du II de l'article 1er de l'arrêté du 27 janvier 2021. Cette suspension a pour effet d'écarter, pendant cette période, l'application de la règle de révision semestrielle du taux du livret A prévue au 1° du II de cet article et, ainsi, de dispenser le ministre de réviser ce taux en janvier et juillet 2024. Il suit de là que le requérant ne peut utilement se prévaloir de cette règle à l'encontre des dispositions attaquées de l'article 1er de l'arrêté du 28 juillet 2023 en tant qu'elles maintiennent le taux du livret A à 3 % pour trois semestres à compter du 1er août 2023.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que les conclusions principales de M B... ne peuvent qu'être rejetées. Il en va de même, en tout état de cause, de ses conclusions subsidiaires faute de précisions sur les circonstances de fait et de droit intervenues depuis l'adoption de l'arrêté du 23 juillet 2023 et qui seraient susceptibles d'en affecter la légalité.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la Banque de France.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 février 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 février 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Lignereux

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475953
Date de la décision : 19/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 fév. 2024, n° 475953
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475953.20240219
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