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16/02/2024 | FRANCE | N°489591

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 16 février 2024, 489591


Vu les procédures suivantes :



L'association Alsace Nature, Mme G... D..., M. A... C..., Mme H... C..., Mme B... M..., M. I... E..., Mme K... L... et M. J... L... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a autorisé la prolongation, pour une durée illimitée, de l'autorisation donnée à la société Les Mines de potasse d'Alsace de stockage souterrain en couche

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Vu les procédures suivantes :

L'association Alsace Nature, Mme G... D..., M. A... C..., Mme H... C..., Mme B... M..., M. I... E..., Mme K... L... et M. J... L... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a autorisé la prolongation, pour une durée illimitée, de l'autorisation donnée à la société Les Mines de potasse d'Alsace de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim.

Par une ordonnance n° 2307183 du 7 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, suspendu l'exécution de cet arrêté et, d'autre part, enjoint au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la maintenance du site, en particulier de l'ensemble des galeries.

1° Sous le n° 489591, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 et 23 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société en liquidation amiable Les Mines de potasse d'Alsace demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de l'association Alsace Nature et autres ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'association Alsace Nature, de Mme G... D..., de M. A... C..., de Mme H... C..., de Mme B... M..., de M. I... E..., de Mme K... L... et de M. J... L... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 489601, par un pourvoi, enregistré le 22 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler la même ordonnance.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Les Mines de potasse d'Alsace et à la SCP Zribi et Texier, avocat de l'association Alsace Nature ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 515-7 du code de l'environnement : " Le stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, de quelque nature qu'ils soient, est soumis à autorisation administrative. Cette autorisation ne peut être accordée ou prolongée que pour une durée limitée et peut en conséquence prévoir les conditions de réversibilité du stockage. Les produits doivent être retirés à l'expiration de l'autorisation. / A l'issue d'une période de fonctionnement autorisé de vingt-cinq ans au moins, ou si l'apport de déchets a cessé depuis au moins un an, l'autorisation peut être prolongée pour une durée illimitée, sur la base d'un bilan écologique comprenant une étude d'impact et l'exposé des solutions alternatives au maintien du stockage et de leurs conséquences. (...) / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas au stockage des déchets radioactifs ".

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que, par un arrêté du 28 septembre 2023, le préfet du Haut-Rhin a, sur le fondement des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 515-7 du code de l'environnement, autorisé la prolongation, pour une durée illimitée, de l'autorisation donnée à la société Les Mines de potasse d'Alsace, anciennement Stocamine, de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim. La société Les Mines des potasse d'Alsace et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demandent, par deux pourvois distincts, l'annulation de l'ordonnance du 7 novembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, suspendu l'exécution de cet arrêté et, d'autre part, enjoint au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la maintenance du site, et en particulier de l'ensemble des galeries. Il y a lieu de joindre ces deux pourvois et de statuer par une même décision.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour juger remplie la condition d'urgence et suspendre l'exécution de l'arrêté litigieux, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, notamment, écarté comme inopérante l'argumentation du préfet du Haut-Rhin et de la société Les Mines de potasse d'Alsace invoquant en défense l'urgence à effectuer les travaux autorisés par l'arrêté, au motif que ces derniers ne démontraient pas que ces travaux n'auraient pu être effectués auparavant. Il résulte toutefois des pièces du dossier soumis au juge des référés que le préfet et la société avaient, afin de justifier de l'urgence à exécuter la décision en cause, invoqué les intérêts publics tenant, d'une part, à la prévention de risques d'atteinte à l'environnement et, d'autre part, à la sécurité des agents chargés de ces travaux. En se fondant sur la seule circonstance que la décision contestée aurait pu intervenir à une date antérieure à celle à laquelle elle a été édictée pour écarter comme inopérante l'argumentation qui tendait, en défense, à justifier de l'urgence s'attachant à l'exécution de la décision en cause, alors qu'il résulte des principes rappelés au point 4 qu'il appartient au juge des référés, dans cette hypothèse, de se livrer à une appréciation objective, globale et concrète de la situation d'urgence, tenant compte notamment de l'urgence à exécuter la décision litigieuse au regard des intérêts publics invoqués en défense, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit.

6. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que la société Les mines de potasse d'Alsace sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. En premier lieu, si, pour justifier de l'urgence à suspendre l'arrêté contesté, l'association Alsace Nature et autres font valoir que l'exécution de cette décision porterait une atteinte grave à l'environnement et à la santé des populations, ils n'avancent aucun élément permettant d'établir que le démarrage des travaux de confinement des déchets sur le site en cause présenterait un danger immédiat pour les intérêts publics qu'ils invoquent.

9. S'il est soutenu, en outre, que l'urgence à suspendre se justifierait en raison du caractère irréversible des travaux de confinement des déchets et donc des incidences de ce choix sur les générations futures, il résulte de l'instruction, d'une part, que les déchets contenant du mercure ainsi que les déchets phytosanitaires contenant du zirame, qui constituaient les déchets présentant le plus haut degré de dangerosité pour la nappe phréatique d'Alsace, ont déjà été extraits du site dans le cadre des opérations dites de " déstockage partiel " effectuées entre 2014 et 2017. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) le 16 février 2023 à la suite d'une inspection sur site réalisée le 10 février 2023, que l'option consistant à procéder à un déstockage intégral des déchets qui demeurent enfouis sur le site, dont au demeurant le bénéfice environnemental n'est pas établi par les différentes études réalisées, ne peut désormais plus être envisagée, la durée nécessaire à une telle opération étant supérieure à la période pendant laquelle ce déstockage pourrait être effectué dans des conditions de sécurité suffisantes pour les personnels chargés d'y procéder, compte tenu du risque d'effondrement à brève échéance des galeries souterraines. Il résulte aussi de l'instruction que la décision d'autoriser pour une durée illimitée le stockage des déchets sur le site en cause, laquelle a reçu l'avis favorable du conseil municipal, de la commission d'enquête publique, du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques et du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, a été prise sur le fondement de plusieurs expertises récentes concluant de manière convergente que cette solution, qui vise, principalement par la construction de barrières de béton et par le remblayage des puits et des galeries vides, à contenir la remontée vers la nappe phréatique d'eau contaminée par les déchets stockés sur le site, constitue aujourd'hui, en l'état des meilleures techniques disponibles, la plus susceptible de préserver l'environnement des atteintes que ce site de stockage de déchets dangereux pourrait entraîner à court, moyen et long termes.

10. En second lieu, le préfet du Haut-Rhin et la société Les Mines de potasse d'Alsace font valoir en défense que, pour pouvoir être menés à leur terme, les travaux de confinement des déchets qu'autorise l'arrêté contesté, dont la durée est estimée hors aléas à quarante-deux mois, doivent débuter sans délai, parce que le site dans lequel sont stockés les déchets ne sera accessible dans des conditions suffisantes de sécurité, pour les agents chargés de réaliser les travaux, que jusqu'à la fin de l'année 2027, en raison des effets conjugués, d'une part, du phénomène dit de " convergence " naturelle de la mine, lequel est de nature à entraîner l'aggravation de la fracturation des piliers, la rupture des dalles de toiture et l'effondrement subséquent des galeries, et, d'autre part, de l'état de dégradation croissante des installations minières, notamment les puits dits F... et Else. Au regard de ces éléments, qui se fondent sur plusieurs expertises récentes convergentes, notamment le rapport du BRGM du 16 février 2023 mentionné ci-dessus, qui préconise " un démarrage au plus tôt des travaux de réalisation du confinement définitif ", des conclusions de la commission d'enquête publique du 26 juin 2023, selon lesquelles " les barrières de confinement doivent être réalisées dans les meilleurs délais ", ainsi que des éléments qui ont été énoncés au point précédent, il y a lieu de considérer, compte tenu des intérêts publics qui s'attachent à la préservation des risques d'atteinte à l'environnement et à la sécurité des agents chargés de ces travaux, que l'urgence à débuter les travaux en cause est en l'espèce caractérisée.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, que la condition d'urgence à suspendre l'exécution de cet arrêté ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la demande de suspension présentée par l'association Alsace nature et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg.

12. Les dispositions l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, au titre des frais de l'instance, à la charge de l'Etat et de la société Les Mines de potasse d'Alsace, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Les Mines de potasse d'Alsace.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 7 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La demande présentée par l'association Alsace Nature et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Les Mines de potasse d'Alsace est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'association Alsace Nature au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Les Mines de potasse d'Alsace, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association Alsace Nature, à Mme G... D..., à Mme H... C..., à M. A... C..., à Mme B... M..., à M. I... E..., à Mme K... L... et à M. J... L....

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 février 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489591
Date de la décision : 16/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-02 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART. L. 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE. - URGENCE. - INTÉRÊT PUBLIC S’ATTACHANT À L’EXÉCUTION RAPIDE DE TRAVAUX – ILLUSTRATION – ARRÊTÉ AUTORISANT DES TRAVAUX DANS L’ESPACE DE STOCKAGE DE DÉCHETS DANGEREUX NON-RADIOACTIFS AMÉNAGÉ AU SEIN DES ANCIENNES MINES DE POTASSE D’ALSACE.

54-035-02-03-02 Déchets présentant le plus haut degré de dangerosité ayant déjà été déstockés du site, alors qu’aucun élément n’est avancé pour établir que le démarrage des travaux présenterait un danger immédiat pour l’environnement et la santé des populations. ...Option du déstockage intégral des déchets qui demeurent enfouis sur le site ne pouvant plus être envisagée, compte tenu du risque d’effondrement à brève échéance des galeries souterraines, qui ne permet plus de réaliser les travaux dans des conditions suffisantes de sécurité que pour une période de quelques années, ainsi qu’il ressort de plusieurs expertises et rapports convergents. ...Décision d’autoriser pour une durée illimitée le stockage des déchets sur le site en cause ayant reçu des avis favorables de plusieurs instances au vu d’expertises récentes et convergentes concluant que la technique de confinement envisagée constitue aujourd’hui, en l’état des meilleures techniques disponibles, la plus susceptible de préserver l’environnement des atteintes que ce site de stockage de déchets dangereux pourrait entraîner à court, moyen et long termes....Il y a lieu de considérer, compte tenu des intérêts publics qui s’attachent à la préservation des risques d’atteinte à l’environnement et à la sécurité des agents chargés de ces travaux, que l’urgence à débuter les travaux en cause est en l’espèce caractérisée.


Publications
Proposition de citation : CE, 16 fév. 2024, n° 489591
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:489591.20240216
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