Vu la procédure suivante :
Mme C... B... par l'intermédiaire de ses parents et responsables légaux, M. E... B... et Mme D... A..., a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 22 juillet 2021 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile tendant à lui reconnaître la qualité de réfugiée ou, à défaut, à lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une décision n° 21057096 du 14 mars 2022, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 octobre 2022 et 23 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... par l'intermédiaire de ses représentants légaux, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle en appréciation de validité sur le point de savoir si l'article 1 er , A, 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 lu en combinaison avec les articles 78§1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et 18 de la Charte des droits fondamentaux doit-il être interprété comme s'opposant à une disposition permettant aux autorités d'un État membre de prendre en compte, lors de l'évaluation du bien-fondé d'une demande d'asile, le fait qu'il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d'un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté, ainsi qu'en dispose l'article 4 e) de la directive 2011/95 ;
4°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la une somme de 3 000 euros à verser à la SCP de Nervo et Poupet au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de Mme B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des refugies et apatrides ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que M. E... B... et Mme D... A..., en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure C... B..., née le 7 octobre 2019, ont sollicité pour celle-ci, née le 7 octobre 2019 en France, la reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire, qui lui ont été refusés par une décision du 22 juillet 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). M. B... et Mme A... se pourvoient en cassation contre la décision du 14 mars 2022 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté leur recours contre cette décision.
2. Aux termes du 2 de la section A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967 : " dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression "du pays dont elle a la nationalité" vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité, et ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité ".
3. Aux termes de l'article L. 531-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour statuer sur une demande d'asile : " L'office tient compte également, le cas échéant, du fait que le demandeur peut se prévaloir de la protection d'un autre pays dont il est en droit de revendiquer la nationalité ".
4. Pour rejeter la demande dont elle était saisie au regard des stipulations et dispositions rappelées aux deux points précédents, la Cour nationale du droit d'asile a, dans sa décision, rappelé les termes de l'article 56 du Code civil guinéen selon lesquels est guinéen l'enfant dont l'un des parents au moins est guinéen et de l'article 57 du même code selon lesquels, si un seul des parents est guinéen, l'enfant qui n'est pas né en Guinée à la faculté de répudier la nationalité guinéenne dans les six mois précédant sa majorité ou dans les douze mois la suivant. Elle a, également, rappelé qu'aux termes de la loi congolaise n°04/024 sur la nationalité du 12 novembre 2004, l'enfant dont l'un des parents est congolais, est considéré comme congolais dès la naissance, mais que l'article premier de cette même loi prévoit que la nationalité congolaise est une et exclusive et ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité.
5. Il résulte ensuite des énonciations de sa décision qu'après avoir relevé que l'enfant mineure C... B..., dont le père est guinéen, se présentait comme guinéenne et qu'elle pouvait éprouver des craintes fondées en cas de retour en République de Guinée du fait de son appartenance au groupe social des enfants et femmes non mutilés en Guinée, la Cour nationale du droit d'asile a retenu que sa mère étant congolaise, ses parents n'établissaient pas qu'elle serait dans l'impossibilité de se prévaloir de la nationalité congolaise, et que ses craintes n'étaient pas établies en cas de retour en République démocratique du Congo.
6. Par suite, en jugeant que les parents de la requérante n'établissaient pas qu'elle serait dans l'impossibilité de se prévaloir de la nationalité congolaise, alors qu'il ressortait de la combinaison des textes applicables qu'elle avait cités ainsi qu'il a été dit au point 4, qu'il était impossible, dès lors que la nationalité guinéenne de l'enfant était établie, qu'elle puisse également avoir la nationalité congolaise, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides une somme de de 1 500 euros à verser à la SCP de Nervo et Poupet au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 14 mars 2022 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera une somme de 1 500 euros à la SCP de Nervo et Poupet sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... par l'intermédiaire de ses parents et responsables légaux, M. E... B... et Mme D... A....
Copie en sera adressée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er février 2024 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Jean de L'Hermite, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 février 2024.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Jean de L'Hermite
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq