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06/02/2024 | FRANCE | N°459446

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 06 février 2024, 459446


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 28 786,80 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait, d'une part, du renouvellement abusif de ses contrats à durée déterminée par le recteur de l'académie de Bordeaux et, d'autre part, des conditions de non-renouvellement de son dernier contrat. Par un jugement n° 1703435 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Par un arrêt n°

19BX00031 du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appe...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 28 786,80 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait, d'une part, du renouvellement abusif de ses contrats à durée déterminée par le recteur de l'académie de Bordeaux et, d'autre part, des conditions de non-renouvellement de son dernier contrat. Par un jugement n° 1703435 du 22 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19BX00031 du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de Mme A..., annulé ce jugement et condamné l'État à lui verser la somme de 7 136,04 euros.

Par un pourvoi, enregistré le 14 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme A....

Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports soutient que l'arrêt qu'il attaque est entaché :

- à titre principal, d'erreur de droit en ce qu'il juge que le préjudice subi par Mme A... doit être évalué en fonction des avantages financiers auxquels elle aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ;

- à titre subsidiaire, d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'il juge que le préjudice financier que doit indemniser l'Etat doit être calculé sur la base d'une période de service de douze ans.

Le pourvoi a été communiqué à Mme A..., qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret du 27 octobre 1938 relatif au statut des surveillants d'externat des collèges modernes ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, maitresse des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a été recrutée par des contrats à durée déterminée successifs d'un an pour occuper, pendant douze ans, du 1er septembre 1997 au 31 août 2009, des fonctions de surveillante d'externat au collège Cassignol puis au lycée technologique Saint-Louis à Bordeaux, puis, pendant six ans, du 1er septembre 2009 au 31 août 2015, des fonctions d'assistante d'éducation au lycée Saint-Louis. A la suite du non-renouvellement de son contrat à compter du 1er septembre 2015, elle a demandé au recteur de l'académie de Bordeaux l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du recours abusif à des contrats à durée déterminée pour l'employer et des conditions de non-renouvellement de son dernier contrat. Par une décision du 8 juin 2017, le recteur de l'académie de Bordeaux a rejeté sa demande. Par un jugement du 22 octobre 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce que l'État soit condamné à lui verser la somme de 28 786,80 euros en réparation de ces préjudices. Par un arrêt du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de Mme A..., jugé que si le recours à des contrats successifs de surveillante d'externat dans la limite de six années était légal, l'Etat avait eu recours de manière abusive à une succession de contrats à durée déterminée en employant l'intéressée sur une période de douze années sur le même emploi de surveillante d'externat. La cour a, en revanche, écarté toute illégalité fautive en ce qui concerne le non-renouvellement du dernier contrat de Mme A... par le chef d'établissement du Lycée Saint Louis de Bordeaux. Elle a, en conséquence, annulé le jugement du 22 octobre 2018, condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 7 136,04 euros en réparation du préjudice subi du fait du recours à abusif à une succession de contrats à durée déterminée pour l'employer sur le même poste de surveillante d'externat pendant une durée de douze années, et rejeté le surplus de ses conclusions. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il prononce à l'encontre de l'Etat une telle condamnation.

2. En premier lieu, le 6° de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1984 et l'article L. 935-1 du code de l'éducation excluent expressément les emplois de maîtres d'internat et de surveillants d'externat du champ de la règle énoncée à l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, aujourd'hui codifié à l'article L. 311-1 du code général de la fonction publique, selon laquelle les emplois civils permanents de l'Etat et de ses établissements publics administratifs sont occupés par des fonctionnaires. En outre, l'article 2 du décret du 27 octobre 1938 relatif au statut des surveillants d'externat des collèges modernes dispose : " Ces fonctions (...) cessent de plein droit après six ans de services effectifs pour tous les surveillants ou surveillantes ". Enfin, aux termes de l'article 8 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non contractuels de l'Etat : " le contrat ou l'engagement peut être à durée indéterminée, sauf dans les situations suivantes : / (...) lorsque le poste confié à un agent non titulaire en application des articles 3 (2e, 3e et 6e alinéa) et 5 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée présente, de par sa nature, un caractère temporaire. / Dans ce cas, le contrat ou l'engagement prévoit la date à laquelle il prendra fin. Si à cette date le contrat ou l'engagement est renouvelé, il est réputé être à durée indéterminée, sauf stipulation ou disposition contraire expresse ".

3. Si ces dispositions permettent à l'Etat ou aux établissements publics locaux d'enseignement, pour l'emploi de surveillants d'externat, de recourir, dans la limite de six années, à une succession de contrats à durée déterminée, et s'opposent, en principe, à ce que ces emplois soient occupés dans le cadre de contrats à durée indéterminée, elles ne font pas obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de tels contrats à durée déterminée, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Il incombe au juge, pour apprécier si le recours à des contrats à durée déterminée successifs présente un caractère abusif, de prendre en compte l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d'organisme employeur ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé que le préjudice subi par Mme A... du fait du recours abusif à une succession de contrats à durée déterminée pour l'employer sur une période de douze années en qualité de surveillante d'externat devait être évalué en fonction des avantages financiers auxquels elle aurait pu prétendre en cas de licenciement si elle avait été employée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Alors même que, en application des dispositions citées au point 2, Mme A... ne pouvait prétendre à un contrat à durée indéterminée à l'issue de ses six premiers contrats à durée déterminée en tant que surveillante d'externat, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 51 du décret du 17 janvier 1986 : " En cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, une indemnité de licenciement est versée à l'agent recruté pour une durée indéterminée ou à l'agent recruté pour une déterminée et licencié avant le terme de son contrat ". Aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même décret : " L'indemnité de licenciement est égale à la moitié de la rémunération de base définie à l'article précédent pour chacune des douze premières années de services, au tiers de la même rémunération pour chacune des années suivantes, sans pouvoir excéder douze fois la rémunération de base. Elle est réduite de moitié en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle ".

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour condamner l'Etat à verser à Mme A... la somme de 7 136,04 euros, la cour administrative d'appel s'est fondée sur l'indemnité de licenciement que celle-ci aurait pu percevoir si elle avait été employée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. A ce titre, et bien que, en application des dispositions citées au point 2, elle ait jugé légale, dans la limite de six années, le recours à une succession de contrats à durée déterminée pour employer Mme A..., la cour a pris en compte la moitié de sa rémunération de base pour chacune de ses douze années de services. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel a fait une exacte application des dispositions citées au point 5. Le moyen tiré de l'inexacte qualification juridique des faits doit, par suite, être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques et à Mme B... A....


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 459446
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 fév. 2024, n° 459446
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:459446.20240206
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