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05/02/2024 | FRANCE | N°472241

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 05 février 2024, 472241


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 mars et 19 juin 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :



1°) à titre principal, de porter à deux années la durée des interdictions prononcées à l'encontre de M. B... par l'article 1er de la décision CS 2021-1776 du 8 février 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD ;



2°) à titre su

bsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée en tant qu'il a limité à trois mois la dur...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 mars et 19 juin 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, de porter à deux années la durée des interdictions prononcées à l'encontre de M. B... par l'article 1er de la décision CS 2021-1776 du 8 février 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée en tant qu'il a limité à trois mois la durée des interdictions prononcées ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée dans son ensemble et de prononcer des sanctions appropriées ;

4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du sport ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2021-488 du 21 avril 2021 ;

- le décret n° 2021-1776 du 23 décembre 2021 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 14 novembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'agence française de lutte contre le dopage, et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. B..., sportif pratiquant la boxe thaïlandaise, a fait l'objet d'un contrôle antidopage, le 2 juillet 2022, à Asnières-sur-Seine, à l'occasion des championnats de France Pro. L'analyse effectuée a révélé la présence dans ses urines de carboxy-THC, métabolite du tetrahydrocannabinol (THC), substance qui appartient à la classe S8 des cannabinoïdes et qui figure sur la liste des substances interdites. Par une décision du 8 février 2023, la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a prononcé à l'encontre de l'intéressé une sanction d'interdiction de participer, pendant trois mois, directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres. L'AFLD conteste cette décision en ce qu'elle a limité à trois mois la durée des interdictions prononcées.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes du I de l'article L. 232-9 du code du sport : " I. - Est interdite la présence, dans l'échantillon d'un sportif, des substances figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article, de leurs métabolites ou de leurs marqueurs. Il incombe à chaque sportif de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. / La violation de l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu'il y ait lieu de faire la preuve que l'usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel ou a résulté d'une faute ou d'une négligence du sportif ". Le dernier alinéa du même article dispose : " La liste des interdictions mentionnées au présent article est la liste énumérant les substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. Elle est publiée au Journal officiel de la République française ".

3. Aux termes de l'article L. 232-21 du code du sport : " La violation des dispositions du présent titre peut emporter pour son auteur une ou plusieurs des conséquences suivantes : / 1° La suspension définie au 2° du I de l'article L. 232-23 ; / (...) / 3° La publication de la décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (...) / 5° L'annulation des résultats du sportif obtenus au cours d'une manifestation sportive, dans les conditions prévues par l'article L. 232-23-5 ". Aux termes de l'article L. 232-23 du même code : " I. - La commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage peut prononcer à l'encontre des personnes ayant enfreint les dispositions des articles L. 232-9 (...) : (...) / 2° Une suspension temporaire ou définitive : / a) De participer, à quelque titre que ce soit, à une compétition autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, par une fédération sportive, ou donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature ; / b) De participer à toute activité, y compris les entraînements, stages ou exhibitions, autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, ou par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes reconnus d'éducation ou de réhabilitation en lien avec la lutte contre le dopage ; / c) D'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération sportive, d'une ligue professionnelle, d'une organisation signataire du code mondial antidopage ou de l'un de leurs membres ; / d) Et de prendre part à toute activité sportive impliquant des sportifs de niveau national ou international et financée par une personne publique. / (...) ".

4. Aux termes du I de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport : " (...) la durée des mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 (...) : (...) 2° Est de deux ans lorsque ce manquement implique une substance ou méthode spécifiée. Cette durée est portée à quatre ans lorsqu'il est démontré par l'Agence française de lutte contre le dopage que le sportif a eu l'intention de commettre ce manquement. / (...) ". Toutefois, aux termes du II du même article : " Lorsque le manquement à l'article L. 232-9 (...) implique une substance d'abus : / 1° Si le sportif peut établir que l'ingestion ou l'usage de la substance s'est produit hors compétition et dans un contexte sans rapport avec la performance sportive, la durée des mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 est de trois mois. Cette durée peut être ramenée à un mois si le sportif suit un traitement contre l'usage de substances d'abus approuvé par l'Agence française de lutte contre le dopage ; / 2° Si l'ingestion, l'usage ou la possession de la substance s'est produit en compétition, dans un contexte dont il est possible au sportif d'établir qu'il est sans rapport avec la performance sportive, le manquement n'est pas considéré comme intentionnel et les circonstances aggravantes mentionnées au V de l'article L. 232-23-3-10 ne peuvent être retenues. / Lorsqu'il est fait application du 1° du II du présent article, la période de suspension n'est soumise à aucune des réductions prévues à l'article L. 232-23-3-10 ". Il résulte du III du même article que les substances d'abus sont celles définies par la convention internationale contre le dopage dans le sport. Aux termes de l'article R. 232-46-3 du code du sport : " Sous réserve de la définition qu'en donne chaque fédération mentionnée au 3° de l'article L. 230-2, la période de compétition commence à 23h59 la veille d'une compétition à laquelle le sportif doit participer et se termine à la fin de cette compétition ou, s'il y a lieu, à l'issue du processus de prélèvement le cas échéant lié à cette compétition ".

5. Aux termes du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage : " La durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite dans les conditions suivantes, qui s'excluent mutuellement : / (...) / 3° (...) lorsque la violation implique l'absence de soumission au prélèvement d'un échantillon ou la présence dans un échantillon, l'usage, ou la possession non-intentionnels d'une substance ou d'une méthode interdite, si le sportif peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la durée de suspension applicable peut être réduite en fonction du degré de faute, sans toutefois être inférieure à la moitié de la période de suspension normalement applicable. Lorsque la suspension définitive est applicable, la durée de la mesure de suspension prononcée ne peut pas être inférieure à huit ans. (...) / La durée des mesures de suspension prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".

6. Les dispositions citées aux points 4 et 5 permettent, lorsque le manquement implique une substance relevant de la catégorie des " substances d'abus " et si le sportif peut établir que l'ingestion ou l'usage de celle-ci s'est produit dans un contexte sans rapport avec la performance sportive, de réduire la durée de la période de suspension normalement applicable soit en limitant celle-ci à trois mois dans le cas où l'ingestion ou l'usage s'est produit hors compétition, soit, lorsqu'il intervient en compétition, en le regardant comme non intentionnel, ce qui, en application du 3° du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport permet le cas échéant de réduire la durée de la suspension dans la limite de la moitié de la durée normalement applicable, et en écartant la possibilité de retenir des circonstances aggravantes.

Sur le litige :

7. Il résulte de l'instruction que les analyses effectuées par le département des analyses de l'AFLD à la suite du contrôle antidopage mentionné au point 1 ont fait ressortir la présence dans les urines de M. B... de carboxy-THC, métabolite du tetrahydrocannabinol (THC), substance qui figure sur la liste des substances interdites en compétition, annexée au décret du 23 décembre 2021 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, qui la répertorie parmi les substances dites " spécifiées " et la qualifie de " substance d'abus ". La concentration constatée, de 2 689 nanogrammes par millilitre, est plus de dix fois supérieure à la limite de décision ajustée en fonction de la densité urinaire, qui était en l'espèce de 261 nanogrammes par millilitre, et dont l'Agence mondiale anti-dopage indique, dans une note d'orientation de 2021 pour les organisations antidopage, qu'elle devrait être regardée comme la plus susceptible de correspondre à une consommation de cannabis en compétition. Si M. B... a indiqué être un consommateur régulier de cannabis sous forme de " joints " le week-end ou lors de soirées entre amis tout en précisant n'en avoir pas consommé dans les jours précédant la compétition en raison des incidences sur ces capacités respiratoires, ces seules déclarations ne sauraient expliquer la concentration détectée de cette substance aux effets désinhibiteurs et antalgiques reconnus. Dans ces conditions, en estimant que la consommation de cannabis en cause avait eu lieu hors compétition et dans un contexte sans rapport avec la performance sportive, la commission des sanctions a commis une erreur d'appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède que la commission des sanctions ne pouvait pas légalement faire bénéficier M. B... des dispositions du 1° du II de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport pour limiter la durée des suspensions prononcées à son encontre à trois mois. M. B... n'établissant pas son absence de faute ou de négligence significative, il ne peut être fait droit à ces conclusions subsidiaires tendant à ce que la durée de la sanction prononcée soit limitée à un an. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, au regard du principe de proportionnalité et comme demandé par l'AFLD, de porter à deux ans la durée des suspensions mentionnées au point 1. Il y a lieu de déduire de la durée des interdictions prononcées par la présente décision la période pendant laquelle la décision de la commission des sanctions de l'AFLD a produit effet. La présente décision, qui réforme la durée des interdictions prononcées par la décision du 8 février 2023, publiée sur le site internet de l'AFLD, implique qu'il en soit fait mention sur ce même site internet.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la présidente de l'AFLD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AFLD, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La durée de la sanction d'interdiction faite à M. B... de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres, est portée à deux ans.

Article 2 : La décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage du 8 février 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Agence française de lutte contre le dopage au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions présentées par M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'Agence française de lutte contre le dopage et à M. A... B....

Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Jérôme Goldenberg

La secrétaire :

Signé : Mme Catherine Xavier


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 472241
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 fév. 2024, n° 472241
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Goldenberg
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX ; SCP BOUCARD-MAMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:472241.20240205
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